Au-delà des aspects budgétaires, financiers ou de ressources humaines, le coeur du réacteur est la dimension pédagogique. Nous menons en ce moment même le dialogue stratégique de gestion et de performance avec les académies : nous passons une journée, ou une demi-journée, avec les académies pour parler de la façon dont elles expérimentent les choses. L'enjeu est le renforcement pédagogique dans le premier et le second degré dans l'ensemble de ces départements, pour que le niveau remonte.
Il s'agit de territoires d'innovation pédagogique. En Martinique, les résultats de 2020 montrent qu'en CP, par exemple, la trajectoire des évaluations est meilleure qu'au niveau national. Et en CE1, tout comme en sixième, je crois, une expérimentation a été lancée à grande échelle : elle s'appelle EOL, pour expression orale libre. Tous les jours, dans les classes, les élèves pratiquent obligatoirement l'expression orale. Quand ils arrivent en sixième, ils sont plus à l'aise, en termes de fluence de lecture, que ceux qui les ont précédés. Nous nous efforçons de tirer toutes les conséquences des évaluations qui ont été mentionnées. Aucun pays au monde ne conduit des évaluations à cette échelle, aussi précises et surtout aussi universelles, et qui permettent d'avoir une photographie du réel. Et ces évaluations - je diverge sur ce point de l'avis de la Cour -, qui sont d'abord des instruments mis à disposition des professeurs, sont aussi au coeur de notre dialogue avec les académies. Nous essayons de comprendre, à l'échelle d'un département, pourquoi l'on observe tels ou tels types de lacunes. C'est sur la base de ces photographies que nous pouvons repenser certaines approches pédagogiques.
Nous avons lancé deux plans de formation : le plan mathématique et le plan français. Chaque année, 16 % des professeurs des écoles en bénéficient. Ainsi, en six ans, tous les professeurs des écoles auront effectué cette formation, fondée sur ce qu'on appelle les constellations, c'est-à-dire des groupes de pairs qui permettent de remonter la pente en mathématiques et en français. Les difficultés en lecture, ou dans la maîtrise des phonèmes, renvoient à cette nécessité impérative. Or ces constellations sont construites au niveau territorial. Il ne s'agit pas d'un objet technocratique, parti de la Centrale, mais de la création de constellations locales, avec des référents au niveau de chaque circonscription, eux-mêmes formés pour cela - à hauteur de 24 jours de formation continue en un an. Il s'agit de reprendre ensemble, les pratiques pédagogiques, pour se demander comment emmener plus haut ses élèves en mathématiques ou en français. C'est bien de l'adaptation à une réalité territoriale, puisque la constellation est conçue au niveau de la circonscription, et même parfois de l'école. En 2020, nous aurons constitué 6 000 constellations en mathématiques, avec 40 000 professeurs sur tout le territoire. Déjà, en sixième, on observe une augmentation régulière, y compris cette année, du niveau. Cette dynamique nous permet de faire ce que la Cour des comptes recommande à juste titre : épouser les réalités pédagogiques territoriales.
J'en viens à la question de la formation, de la préparation, de la sensibilisation des professeurs au sujet des langues parlées localement. Ils exercent leur métier dans un environnement où une partie de la population n'a pas le français pour langue maternelle, et doivent l'intégrer dans leur pédagogie. La formation initiale a été réformée, et la réforme est entrée en vigueur le 1er septembre 2020. Nous avons repensé la maquette de formation dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (Inspé), pour renforcer la formation dans les savoirs fondamentaux et, en même temps, que 10 % de la scolarité soit laissée à la main de l'Inspé, pour être adaptée à la réalité territoriale. Quand nous formons un professeur, nous le formons pour qu'il puisse agir sur tout le territoire national, parce que l'école est une. En même temps, ce n'est pas la même chose de commencer sa carrière dans les académies de Créteil ou de Versailles, de Limoges, ou de Guyane. C'est pourquoi 10 % du temps de formation est consacré à la projection dans une réalité territoriale.
La gestion des ressources humaines a été évoquée, à juste titre, par la Cour des comptes. Certaines académies sont clairement attractives ; du coup, mécaniquement, une population structurellement plus âgée y exerce, ce que révèle le taux de hors classe. Dans d'autres académies, la Guyane et Mayotte, moins attractives, on aura plutôt de jeunes professeurs, attirés par un système de rémunération que la Cour a analysé. L'impact est bien sûr différent en termes de besoin de remplacement. Plus la population est âgée, plus le besoin de remplacement est fort. La géographie a aussi un impact sur les besoins de remplacement. Si un professeur tombe malade au sud de la Guyane, il faut acheminer quelqu'un jusque-là... L'optimisation des moyens de remplacement et l'adaptation complète à la réalité du territoire sont deux aspects qui sont au coeur de notre dialogue avec les académies.
Comment construire des parcours de jeunes professeurs issus de ces territoires ? Je pense notamment à la Guyane et à Mayotte. Un premier dispositif est la pré-professionnalisation : de jeunes étudiants sont recrutés, parallèlement à leurs études, pour découvrir le métier de professeur en étant d'abord en observation, puis en intervention, puis en pratique à responsabilité, toujours sous l'autorité de leur mentor. Quelque 200 pré-professionnalisations sont en cours en Guyane depuis la rentrée. Les intéressés poursuivent leur parcours dans le système universitaire guyanais, tout en découvrant le métier de professeur, avant de passer le concours en Guyane. Une telle démarche les ancre dans une réalité pédagogique très puissante et suscite des vocations, puisque cela les met financièrement à l'abri pendant leurs études.
Deuxième dispositif : nous pratiquons des recrutements dérogatoires de professeurs des écoles à Mayotte, et nous réfléchissons à faire de même en Guyane pour le second degré. La dérogation porte sur le niveau de diplôme : on les recrute plus jeunes, mais avec un processus de titularisation plus long - et donc une formation plus longue. L'idée est de créer un vivier local de professeurs, certes pas exclusif, parce qu'il faut du brassage, car le professorat est un instrument puissant de promotion sociale : les hussards noirs existent encore ! Nous offrons des perspectives à ces jeunes, qui passent par le professorat, avec des modalités de scolarisation en fin de formation et une prise en charge financière adaptées, via la préprofessionnalisation et une stagiairisation précoce dans les études, ce qui leur permet ensuite de s'épanouir dans la transmission et dans la progression de leurs élèves.
Tout cela doit s'articuler avec la mise en oeuvre la plus adaptée possible des dispositifs que je qualifierai, au sens large, « d'égalité des chances », c'est-à-dire ceux qui participent à l'amélioration des conditions d'apprentissage de l'élève.
Il s'agit de dispositifs nationaux - je pense notamment aux cordées de la réussite et aux internats d'excellence - qui ont vocation à se déployer tout particulièrement dans ces départements, dans le cadre de la lutte contre les fractures territoriales. En effet, en Guyane, un élève met parfois trois ou quatre heures pour se rendre au collège - certains doivent même se lever à quatre heures du matin pour s'y rendre en pirogue. Les internats sont donc indispensables.
Dans le cadre du plan Guyane, un certain nombre de lycées et de collèges sont en construction et le sujet de l'internat est une question majeure, car il crée les conditions d'apprentissage adaptées. Il en va de même avec les cordées de la réussite, qui créent une passerelle entre le monde du supérieur et le monde du scolaire, l'objectif étant de libérer les ambitions. Bien entendu, l'internat ne doit pas se trouver dans une ville et le dispositif des cordées de la réussite dans une autre. Leur juxtaposition est nécessaire pour créer la continuité en termes de conditions de l'apprentissage.