Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture ce PLFSS pour 2021 dans la nuit de mardi à mercredi. Comme d’habitude, les délais d’examen sont particulièrement contraints. Je limiterai donc mon propos à l’essentiel.
Tout d’abord, madame la ministre, comme votre collègue Olivier Dussopt nous l’avait annoncé lors de la première lecture, le Gouvernement a déposé à l’Assemblée nationale des amendements pour réviser les prévisions de solde pour la sécurité sociale en 2021.
Celles-ci font apparaître une dégradation très nette, de l’ordre de 8 milliards d’euros par rapport à ce que nous avons voté en première lecture. Vous l’avez dit, il s’agit de prendre en compte les conséquences sur les recettes de la dégradation des hypothèses macroéconomiques. La prévision de croissance du PIB pour 2021 ne serait que de 6 %, contre 8 % prévus auparavant. De même, la croissance de la masse salariale privée en subit le contrecoup. Elle est désormais évaluée à 4, 8 %, soit une baisse de 2 points par rapport à la prévision initiale.
Au bout du compte, le déficit des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) s’établirait à 34, 9 milliards d’euros, pour 552, 4 milliards d’euros de dépenses, et à 35, 8 milliards d’euros pour le seul périmètre du régime général et du FSV. Malgré la reprise attendue, ces chiffres se situeraient donc bien au-delà du précédent record de déficit, qui s’élevait à 28 milliards d’euros en 2010.
Madame la ministre, la pente sera difficile à remonter !
S’agissant du sort des amendements adoptés par le Sénat et du bilan que nous pouvons tirer de la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale, qui a retenu 55 de nos amendements, dont 5 partiellement, je vous renvoie, mes chers collègues, pour une analyse détaillée, au tableau en annexe du rapport de la commission.
Quelques-unes de nos initiatives ont été conservées par l’Assemblée nationale à l’occasion de la nouvelle lecture.
Je pense, par exemple, à la mise en place de la branche autonomie, comme Mme la ministre l’a rappelé. Ont été maintenues les précisions apportées au rôle de la CNSA en matière de soutien à l’habitat inclusif, les conséquences qu’implique la création d’une nouvelle branche pour la caisse centrale de la MSA, dans une rédaction un peu remaniée par le Gouvernement, et surtout le principe d’une conférence des financeurs du soutien à l’autonomie chargée de formuler des recommandations sur le financement des mesures nouvelles ; les députés ont toutefois aligné son périmètre sur celui du conseil de la CNSA, ce qui est peut-être regrettable ; nous pensions pouvoir l’élargir un peu.
Je pense aussi à plusieurs dispositifs anti-fraude introduits au Sénat : l’annulation automatique des numéros d’inscription au répertoire (NIR) de la sécurité sociale obtenus de manière frauduleuse, mesure sur l’initiative de Mme Goulet ; l’extension à cinq ans de la prescription des indus frauduleux de la sécurité sociale, sur l’initiative de la commission ; l’instauration d’une dérogation au délai maximal de sept jours pour le paiement par l’assurance maladie de professionnels de santé convaincus de fraude à des fins de contrôle, sur l’initiative de la commission ; ou encore le déconventionnement d’office en cas de récidive en matière de fraude par un professionnel de santé, toujours sur l’initiative de la commission.
Il faut toutefois reconnaître que l’Assemblée nationale a surtout supprimé un grand nombre d’apports du Sénat. S’ils peuvent paraître mineurs, ces apports ont une grande importance pour les filières concernées.
Je pense ainsi au refus des députés de pérenniser le dispositif d’exonération pour les travailleurs occasionnels demandeurs d’emploi (TO-DE) propre à l’emploi de saisonniers dans le domaine agricole. Madame la ministre, j’avais dit ici même à M. Olivier Dussopt, il y a deux ans, que nous nous retrouverions certainement fin 2020 pour prolonger ce dispositif. Nous y sommes ! Ce dispositif sera sans doute de nouveau prolongé fin 2022, car il répond à l’équilibre économique des filières concernées. Il serait donc beaucoup plus raisonnable de pérenniser l’exonération TO-DE, afin de donner une véritable visibilité aux filières concernées, plutôt que de leur donner l’impression d’un sursis permanent.
Au-delà de ces sujets sectoriels, nos différends avec l’Assemblée nationale portent aussi sur des questions fondamentales pour l’équilibre des finances sociales.
Je pense à la compensation à la sécurité sociale de l’ensemble des pertes de recettes de ces deux dernières années, qui n’avaient pas été compensées, en application des principes définis dans le rapport dit « Charpy-Dubertret » sur la rénovation des relations financières entre l’État et la sécurité sociale.
Je pense aussi à la révision pour 2020 de la compensation de l’État au titre de la prise en charge de l’Agence nationale de santé publique (ANSP), dite Santé publique France, dont le budget est passé en un an de 150 millions d’euros à 4, 8 milliards d’euros.
Je pense également au refus par le Sénat de la prise en charge par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) du financement d’un tiers de la dette des hôpitaux, d’autant que ces remboursements semblent désormais conditionnés à de nouveaux investissements ; voilà qui change de nature cette « défausse » – vous me permettrez cette expression – des dettes de l’hôpital sur la Cades.
Je pense enfin à la mise en place de la conférence de financement des retraites assortie, en cas d’échec, de mesures paramétriques qui auraient été mises en place à compter de 2022. Nous souhaitions – et nous souhaitons toujours ! – que cette conférence sur le financement des retraites puisse reprendre l’année prochaine.
En somme, le désaccord reste entier pour l’ensemble des différends qui ont abouti à l’échec de la commission mixte paritaire. Or, comme vous le savez, il s’agit de sujets qui posent de sérieux problèmes de principe.
Ainsi, comment imaginer revenir à l’équilibre des comptes de la sécurité sociale si on la leste de charges qui ne sont pas les siennes, comme celles de Santé publique France, si on multiplie les entorses à la loi Veil et si on se refuse à engager la concertation sur des réformes qui seront, et sont déjà nécessaires ?
Comment éteindre un jour la dette sociale si l’on commence à faire financer n’importe quoi par la Cades ? Avec un tel précédent, il ne faut pas s’étonner d’entendre déjà certains ministres – mezzo voce bien évidemment – se demander si la dette de l’État liée au covid ne devrait pas aussi y être logée.
Dans ces conditions, madame la ministre, la commission a considéré qu’il était préférable d’acter la fin du dialogue utile entre les deux assemblées. C’est pourquoi elle proposera au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable.