Intervention de Didier Mandelli

Réunion du 27 novembre 2020 à 21h45
Loi de finances pour 2021 — Compte de concours financiers : prêts à des états étrangers

Photo de Didier MandelliDidier Mandelli :

Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d’année 2020, la mission « Aide publique au développement » revêt une symbolique particulière et recouvre de nouveaux enjeux, à la lumière des crises que la pandémie de covid-19 a entraînées.

Le nouvel état d’un monde « covidé » cristallise plus que jamais les inégalités entre les pays et affecte durablement l’avenir des populations partout dans le monde, bouleversant encore davantage les équilibres géopolitiques. C’est d’autant plus vrai qu’il a été extrêmement difficile de mettre en place les dispositifs de production et d’acheminement d’aides d’urgence en matériels et équipements médicaux.

Parallèlement, l’aide publique au développement est autant un vecteur de sécurité globale, reposant sur la sécurité alimentaire et énergétique, qu’un outil d’influence internationale et diplomatique. Cette influence intègre désormais la capacité d’un État à soigner, à gérer une pandémie sur son sol, au travers d’un système de santé et avec des ressources humaines, d’équipement et de recherche.

À l’aune de ce contexte aux inédits multiples, vous comprendrez, monsieur le ministre, notre triple exigence.

La première exigence concerne les objectifs de la politique française d’aide au développement.

Quelles seront les priorités géographiques et stratégiques de l’APD en 2021 ? Quels pays bénéficieront des projets ?

Comment seront fléchés les 344 millions d’euros d’augmentation du programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement » et du programme 110 « Aide économique et financière au développement », gérés par le ministère de l’économie et des finances ? Cette augmentation considérable de 17 %, que nous saluons, prend-elle en compte l’accélération des mutations démographiques et environnementales ?

Force est de constater que ces nouveaux impératifs rendent caduques les priorités de l’APD française définies dans le premier chapitre de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale votée en 2014 ! Une nouvelle loi, annoncée à grand renfort de communication en 2017, est toujours attendue.

Il y a plus d’un an, les membres de la commission des affaires étrangères se sont mobilisés et ont commencé à travailler dans un esprit de proposition et de responsabilité.

Monsieur le ministre, lors de votre audition au Sénat, le 3 novembre dernier, vous aviez déclaré qu’un projet de loi serait présenté à la fin du mois de novembre en conseil des ministres. Nous connaissons votre engagement personnel sur ce sujet et nous vous en remercions, mais nous désespérons d’une transmission de ce texte au Parlement avant la fin de l’année.

Notre deuxième exigence concerne les moyens.

Eu égard à l’état de nos finances publiques, avons-nous les moyens de nos ambitions ?

En 2020, la France devrait consacrer 0, 56 % de son produit intérieur brut à l’aide publique au développement, et 0, 69 % en 2021. Qu’en est-il en termes de volumes de crédits ? N’est-ce pas un effet mécanique résultant de la réduction du PIB liée à la crise et à l’annulation de la dette soudanaise ?

Nous sommes cependant satisfaits que l’objectif des 0, 55 % soit dépassé. Aussi une autre question se pose-t-elle : devons-nous continuer à poursuivre cette tendance haussière sans répondre à l’équation de l’évaluation ?

Logiquement alors, notre troisième exigence concerne la nature de l’aide, qui est indissociable de l’instauration d’un programme d’évaluation fondé sur la transparence.

Nous ne pouvons que constater le fossé grandissant entre l’augmentation des montants dédiés à l’AFD et les carences de pilotage de ces fonds. Certes, l’Agence est une banque sous la tutelle de Bercy. Est-ce pour autant une raison pour s’affranchir des recommandations des commissions des affaires étrangères et des finances du Sénat, ainsi que de la Cour des comptes, sur un problème aussi grave que le déficit de gouvernance, alors même que tous les acteurs du secteur privé déploient actuellement des efforts considérables pour répondre aux impératifs internationaux en termes de normes de gestion ?

Le projet immobilier de 50 000 mètres carrés destiné à héberger le siège de l’AFD témoigne a minima d’une totale déconnexion avec la réalité économique. Son coût de 836 millions d’euros suffirait presque à financer une annuité de prévisions d’opérations extérieures ! Que dire aussi des 1 500 mètres carrés dédiés aux espaces de réunion, au moment où les réunions internationales sont dématérialisées et où les grandes sociétés réduisent leurs parcs de bureaux parisiens ?

À cet instant, je tiens à remercier les rapporteurs pour avis, Hugues Saury et Rachid Temal, qui ont alerté sur les déséquilibres inquiétants du modèle de prêt de l’AFD, lequel nécessite la mobilisation de fonds propres dont elle ne dispose pas.

Monsieur le ministre, avant de conclure, j’aborderai un point important, la fiduciarisation de l’APD internationale.

Les prises de participations dans des banques de développement, comme celles qui sont prises au sein de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, ou le sommet des banques publiques de développement, réuni à Paris le 12 novembre dernier, ne sauraient devenir les tendances lourdes de la politique de développement.

L’ambition, l’expérience, la vision singulière de notre diplomatie, doivent redevenir la boussole d’une APD à la française.

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