La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de Mme Pascale Gruny.
La séance est reprise.
Le Sénat va examiner les crédits de la mission « Aide publique au développement » (et article 53), ainsi que du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
La parole est à M. le rapporteur spécial.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons, ce soir, les crédits de la politique d’aide publique au développement, ou APD.
Nous n’en verrons qu’une seule partie : si les deux tiers des crédits figurent dans cette mission, le tiers restant figure dans d’autres missions, dont celle que nous venons d’examiner, la mission « Action extérieure de l’État », et la mission « Enseignement scolaire ».
Les crédits de la mission « Aide publique au développement » s’élèvent à un peu plus de 5 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à un peu moins de 5 milliards d’euros en crédits de paiement. On observe que le montant des autorisations d’engagement diminue de 30 %, tandis que celui des crédits de paiement augmente de 50 %.
Si l’on enlève l’opération particulière du programme 365, qui a trait à la recapitalisation de l’Agence française de développement, on note que l’augmentation des crédits de paiement est de l’ordre de 21 %, ce qui correspond à un effort réel en direction de la politique de développement.
Il faut savoir que cette mission ne retrace pas réellement tout ce que fait la France en matière d’aide publique au développement, puisque nous participons à un grand nombre d’initiatives, européennes notamment, mais pas seulement. Il existe en effet, dans ce domaine, une multiplicité d’intervenants.
La mission se caractérise par une certaine tendance à l’augmentation des dons et des subventions au détriment des interventions financées par des prêts. Elle comprend trois programmes.
Le programme 110, piloté par le ministère de l’économie, des finances et de la relance, concerne les questions économiques et financières.
Le programme 209, piloté par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères – nous allons pouvoir l’examiner en détail ce soir avec M. le ministre –, a trait notamment à tout ce qui concerne les actions bilatérales, mais aussi au fonctionnement des fonds multilatéraux, à la coopération technique, ainsi qu’à la contribution au Fonds européen de développement, dont on observe qu’elle diminue de 15 %. Toutefois, cette baisse s’explique par un changement imminent dans les modalités de financement de ce fonds : ce financement se fera désormais par le biais d’une autre contribution que celle qui est ici retracée.
Le nouveau programme 365, quant à lui, a pour objet la recapitalisation, à hauteur de 953 millions d’euros, de l’Agence française de développement, afin de respecter des règles prudentielles qui s’imposent à l’ensemble des établissements financiers et bancaires.
Vous le savez, mes chers collègues, la France s’est fixé l’objectif de consacrer, en 2022, 0, 55 % de son revenu national brut, ou RNB, à l’aide publique au développement. Le paradoxe est que nous atteignons cet objectif dès cette année, plus rapidement que prévu donc. Vous n’en ignorez pas la raison : vu la conjoncture économique, le RNB se situe à un niveau bien plus faible que ce qui était espéré…
On observe néanmoins, par exemple, que le montant des actions environnementales – elles sont pour la première fois identifiées dans ce budget – est estimé à 1, 85 milliard d’euros : il s’agit d’un effort important, qui correspond bien aux axes prioritaires que nous avons définis.
Monsieur le ministre, je poserai quatre questions.
Tout d’abord, on constate que 3 millions d’euros de crédits sont affectés à la mise en place d’une « commission d’évaluation » ; vous allez certainement pouvoir nous en dire un peu plus, parce que nous ne disposons d’aucun élément à ce sujet.
En ce qui concerne l’AFD, qui, je le rappelle, intervient dans 110 pays et dispose de 85 agences ou bureaux à travers le monde, une obligation de recapitalisation est posée. Au regard des règles prudentielles, sachant que l’activité de l’AFD s’est beaucoup développée ces dernières années, ce renforcement des fonds propres sera-t-il suffisant ? Il faut, monsieur le ministre, que vous nous rassuriez en nous indiquant quelle est la situation.
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur la cohérence et la complémentarité entre l’action du réseau diplomatique et celle des opérateurs qui interviennent au titre de l’aide publique au développement, singulièrement l’Agence française de développement ; c’est un point important.
Il est un dernier point sur lequel nos collègues s’interrogent, notamment le président Christian Cambon : une opération immobilière est annoncée dans la capitale, pour un montant qui semble tout de même assez élevé. Il convient, en la matière, d’être vigilant.
Nous, rapporteurs de la commission des finances, demandons en tout cas aux sénateurs membres du conseil d’administration – ils sont deux – d’être particulièrement vigilants et de faire en sorte que les choix réalisés par cette structure correspondent aux besoins réels.
Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’intervention de mon collègue Michel Canevet sur les crédits prévus pour 2021, j’en viens à l’appréciation de la politique d’aide publique au développement mise en œuvre par la France depuis plusieurs années.
En 2021, les crédits de la mission poursuivent leur trajectoire haussière. En effet, l’aide publique au développement de la France a amorcé une augmentation depuis 2015, et elle a dépassé le montant de 10 milliards d’euros en 2017. En 2019, elle devrait atteindre 10, 9 milliards d’euros.
Cette augmentation a permis à la France de maintenir son rang, à défaut d’améliorer son classement, parmi les principaux contributeurs de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques. Ainsi, en 2019, la France reste le cinquième pourvoyeur d’aide publique au développement en volume, après les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.
Le pilotage de cette politique publique a fait l’objet de critiques nourries depuis plusieurs années. En effet, fortement interministérielle, la politique d’aide publique au développement apparaît éclatée, en raison des multiples instruments budgétaires qu’elle convoque et de l’intervention de plusieurs acteurs publics, tels que le ministère des affaires étrangères, le ministère de l’économie et l’Agence française de développement.
Les auditions menées nous ont toutefois confortés dans l’idée que l’amélioration du pilotage était désormais une priorité des ministères en charge de ce budget.
Dans cette perspective, les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le Cicid, de février 2018 ont permis de fixer les priorités politiques et géographiques de notre aide publique au développement.
Ce cadrage doit maintenant être confirmé au niveau législatif par une loi de programmation, qui devra redéfinir l’architecture du pilotage de la politique de développement. Annoncé à plusieurs reprises, le projet de loi n’a toujours pas été présenté en conseil des ministres Ces reports successifs deviennent préoccupants, dans la mesure où ce texte a vocation à constituer la boussole de l’aide publique au développement pour les prochaines années.
Il nous reviendra de définir les dispositions législatives permettant d’encadrer le plus efficacement possible le fonctionnement de cette politique publique, qui constitue un instrument incontournable de l’action extérieure de l’État et du rayonnement de la France.
L’examen de ce projet de loi – espérons qu’il advienne prochainement, car, pour l’instant, ce texte est plutôt l’Arlésienne que l’Africaine !
Sourires.
En effet, force est de constater qu’il existe un réel déséquilibre entre les pays désignés comme prioritaires par la France, dont dix-huit sur dix-neuf sont sur le continent africain, le dix-neuvième étant Haïti, et les principaux bénéficiaires de notre aide publique au développement. L’une des raisons de cette anomalie réside en partie dans l’appétence de la France pour les prêts, au détriment des dons, nous encourageant ainsi à investir dans des pays à revenus intermédiaires, qui, comme tels, peuvent rembourser les emprunts.
Plus généralement, ce constat nous conduit à nous interroger sur la stratégie mise en œuvre à l’égard des « très grands émergents », pour lesquels l’accès à l’aide publique internationale n’apparaît plus comme une nécessité. En tout état de cause, les interventions dans ces pays doivent s’inscrire dans une parfaite adéquation aux priorités diplomatiques de la France ; à défaut, le risque serait de nuire à la cohérence de ces dernières.
S’agissant de l’AFD, j’ajouterai quelques mots pour compléter les propos de mon collègue Michel Canevet. Un amendement du Gouvernement visant à accroître la recapitalisation de l’AFD de 500 millions d’euros avait été annoncé à l’Assemblée nationale. Il a finalement été retiré…
… et n’a pas été déposé de nouveau devant notre assemblée.
Monsieur le ministre, nous attendons votre éclairage sur ce sujet, afin de pouvoir mener un débat transparent sur les modifications de ce budget envisagées par le Gouvernement.
Je dirai un mot, pour finir, de la crise sanitaire et de ses conséquences sur le budget de l’aide publique au développement.
La crise a justifié le redéploiement de crédits, au niveau tant bilatéral, avec l’initiative « Santé en commun », que multilatéral, avec l’initiative de suspension du service de la dette. Face à la crise sanitaire, les priorités de long terme ont néanmoins été préservées, telles que les soutiens au climat, à l’éducation ou à la lutte contre les « fragilités » et les « vulnérabilités » de certains pays.
Néanmoins, la dégradation des finances publiques renforce nos exigences en matière de transparence et d’évaluation de l’efficacité de cette politique publique. Ainsi, des dispositions permettant une évaluation indépendante devraient figurer dans le projet de loi à venir.
J’en viens à l’examen de l’article 53 du projet de loi de finances rattaché à la mission. Il s’agit d’autoriser l’augmentation générale de capital de la Banque africaine de développement, qui a été approuvée par le Conseil des gouverneurs. Cette hausse n’est pas un chèque en blanc, et l’activité de cette banque devra faire l’objet d’un suivi particulier et d’une évaluation.
Mes chers collègues, les deux rapporteurs spéciaux recommandent l’adoption sans modification des crédits de cette mission.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Joël Guerriau applaudit également.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits de la mission « Aide publique au développement » vont connaître une nouvelle progression en 2021. En particulier, les crédits de paiement attribués à l’Agence française de développement, l’AFD, augmenteront de 154 millions d’euros, soit de 26 %.
Sur cette toile de fond plutôt positive, j’évoquerai néanmoins deux préoccupations importantes de notre commission.
Premièrement, comme l’a confirmé la Cour des comptes au début de l’année, l’AFD souffre d’un défaut de pilotage. L’Agence s’est trop autonomisée, devenant une sorte de « super-banque » tournée vers les grands émergents. Sa puissance de frappe, de l’ordre de 14 milliards d’euros, explique en partie cette évolution, face à une tutelle qui, elle, a dû au contraire se serrer la ceinture.
Pour y remédier, il conviendrait, selon nous, de nommer un membre du Gouvernement, à vos côtés, monsieur le ministre, spécifiquement en charge de la politique d’aide publique au développement. Cela permettrait de mieux incarner ladite politique parmi l’ensemble des politiques publiques.
Il faut également simplifier l’empilement d’instances qui prétendent encadrer l’AFD et renforcer les capacités de la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, afin que celle-ci exerce une vraie tutelle.
Surtout, une double étape doit désormais être rapidement franchie pour consolider cette reprise en main, en commençant par la présentation du nouveau contrat d’objectifs et de moyens aux deux assemblées – je rappelle que le précédent contrat avait pour terme 2019.
Il faudra examiner, ensuite, le futur projet de loi d’orientation relatif à la politique de solidarité internationale, que nous attendons depuis deux années. Cette loi aura pour ambition, nous l’espérons, une réforme de la politique d’aide au développement ; elle doit notamment prévoir la mise en place d’une commission d’évaluation véritablement indépendante – nous y veillerons.
Deuxième préoccupation : l’AFD, avec son modèle fondé essentiellement sur les prêts, est désormais en difficulté.
D’une part, la crise a fait baisser drastiquement son résultat financier. Elle ne peut donc plus le capitaliser pour accroître ses fonds propres. Nous souhaitons, du reste, que toute éventuelle mesure de recapitalisation fasse l’objet de contreparties importantes de la part de l’Agence : maîtrise des charges, voire désengagement partiel des grands pays émergents, tels que la Chine ou la Turquie. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire où en est la réflexion sur un tel projet de recapitalisation ?
D’autre part, la majorité des pays africains frôlent le surendettement. L’Agence ne pourra bientôt plus leur prêter. Au total, il sera donc nécessaire d’apporter de profonds changements au fonctionnement de l’AFD.
Nous avons, vous l’avez compris, des réserves importantes sur ce budget : un quart seulement de notre aide publique au développement bénéficie aujourd’hui aux pays les moins avancés ; un renforcement du pilotage de l’AFD est en cours, mais nous attendons des résultats ; quant à la loi d’orientation, elle ne nous a toujours pas été présentée.
Compte tenu de l’augmentation des moyens alloués et eu égard aux perspectives que la future loi pourrait dessiner, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a cependant émis un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission.
Toutefois, monsieur le ministre, nous considérons que l’année 2021 sera pour l’AFD une année de probation !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Joël Guerriau applaudit également.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l’aide publique au développement est en augmentation, ce qui nous permet de reprendre progressivement notre rang en la matière ; il nous faut nous en féliciter.
Je formulerai quelques remarques, cependant.
Tout d’abord, j’évoquerai de nouveau la question de l’affectation de la taxe sur les transactions financières, ou TTF. Celle-ci a été créée explicitement dans l’objectif d’alimenter l’aide publique au développement, l’idée étant d’y faire contribuer les gagnants de la mondialisation. Or un tiers seulement de son produit, qui est de 1, 6 milliard d’euros en 2020, est fléché vers l’APD.
Parallèlement, nous assistons à l’effondrement du produit de la taxe sur les billets d’avion. Ne serait-il pas cohérent de compenser cet effondrement par une augmentation de la part de TTF ? J’ai déposé un amendement d’appel en ce sens, mais j’ai eu le regret de constater que M. le ministre délégué aux comptes publics n’a pas souhaité ou n’a pas pu en débattre. Quelle est donc, monsieur le ministre, votre position sur cette proposition ?
Je voudrais ensuite saluer les efforts français en matière de lutte contre le changement climatique. La France a massivement contribué au Fonds vert pour le climat créé en 2015, sa contribution s’élevant à 774 millions d’euros sur la période 2015-2018.
À l’occasion du G7 de Biarritz, en août 2019, le Président de la République a annoncé que la France doublerait sa contribution, ce qui est une bonne chose.
Or, si le Fonds vert a levé au total 10, 3 milliards de dollars de ressources, la part américaine de 2 milliards d’euros n’a toujours pas été versée. Espérons que le président élu Joe Biden y pourvoira, en cohérence avec l’annonce du retour des États-Unis dans l’accord de Paris de 2015.
En outre, la France devrait coprésider le Fonds vert en 2021. À cette occasion, notre pays devrait travailler à ce que la part visant à l’adaptation au changement climatique soit rééquilibrée par rapport à la part visant à l’atténuation dudit changement. En effet, 25 % seulement des projets visent l’adaptation, ce qui pénalise – vous en conviendrez – les pays les plus pauvres. Quelle est, là encore, votre position sur ce point, monsieur le ministre ?
Je souhaite évoquer également un sujet qui a suscité un débat, pour ne pas dire plus, au sein de notre commission. Il s’agit du nouveau siège de l’AFD. Les chiffres ne sont pas loin de donner le vertige : 50 000 mètres carrés sont prévus, pour un total de 836 millions d’euros…
En cette période de crise, et compte tenu de l’état des finances de l’AFD – Hugues Saury en a parlé –, cela ne peut que nous interroger. Le projet avait d’ailleurs été défini sur la base d’une croissance des effectifs, hypothèse devenue peu réaliste : en la matière, c’est plutôt un effort qui va être demandé à l’AFD. Le projet compte ainsi 10 000 mètres carrés de trop, selon l’Agence elle-même.
Pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner des informations sur cette opération en général, sur son financement et sur le devenir de ces mètres carrés excédentaires ?
Pour conclure, comme mon collègue, je souhaite vous interroger sur la date à laquelle le nouveau projet de loi d’orientation et de programmation sera présenté en conseil des ministres. Nous voudrions que ce texte, tant de fois annoncé, jamais arrivé, cesse de jouer l’Arlésienne.
Quant au vote des crédits de cette mission, nous y sommes bien sûr favorables.
Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mme Nathalie Delattre et M. Claude Nougein applaudissent également.
Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque unité de discussion comprend le temps de l’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de dix minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Nicole Duranton.
Madame le président, monsieur le ministre, chers collègues, un pays qui n’aide plus, qui n’a plus les moyens d’aider, c’est le signal d’un pays qui va mal.
La France est l’un des principaux acteurs en matière d’aide publique au développement. En 2019, elle conservait son cinquième rang mondial avec 12, 2 milliards de dollars en volume, derrière les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.
Aujourd’hui, l’enjeu pour la France est de tenir son rang face aux autres puissances européennes et mondiales. Après cinq ans de baisse entre 2010 et 2015, l’aide publique au développement (APD) est la politique publique qui enregistre la plus forte hausse relative pour l’année 2021 : plus 17 %.
C’est un effort sans précédent en faveur de la solidarité internationale. Certes, cet effort pourrait être considéré comme peu prioritaire face à la somme de nos problèmes nationaux, mais n’oublions pas que toutes les économies sont aujourd’hui liées entre elles, dans un contexte où les dettes publiques s’alourdissent considérablement.
Je tiens à saluer le travail de mes collègues Hugues Saury et Rachid Temal, rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur les programmes 110 et 209, ainsi que celui de Michel Canevet et de Jean-Claude Requier, dont les rapports spéciaux incluent le compte de concours financiers dédié.
Monsieur le ministre, vous nous présentez un budget tout à fait conforme aux orientations du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement de 2018. On dénombre ainsi dix-neuf pays prioritaires, principalement sur le continent africain. Sont prévus 2 millions d’euros pour l’Institut Pasteur et plus de 10 millions d’euros en faveur du Fonds français Muskoka ; 2 millions d’euros sont réservés au Forum Génération Égalité, qui se tiendra à Paris en 2021 – c’est un symbole fort pour les droits des femmes. Des fonds dédiés à l’aide humanitaire sont en hausse, avec 330 millions d’euros ; des efforts pour renforcer la part des dons sont maintenus. Enfin, dans ce contexte de pandémie, 60 millions d’euros sont consacrés au secteur de la santé dans le programme 110.
Pourtant, l’an dernier, des doutes avaient été exprimés dans cet hémicycle sur le pilotage et la transparence de l’APD.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous avez fait de la recherche d’un meilleur pilotage politique une priorité. Nous notons avec satisfaction le renforcement du rôle de l’administration centrale du ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour mieux encadrer la diplomatie du développement, et la réactivation du conseil d’orientation stratégique de l’Agence française de développement, l’AFD.
Le programme 365 vise à renforcer les fonds propres de l’AFD pour pérenniser les ressources et reboucler le circuit financier. De nouveau, l’APD ne doit pas être une politique isolée. La réforme des modèles économiques des acteurs du secteur pour intégrer les financements croisés de l’Union européenne et de la Banque mondiale va dans le bon sens.
Depuis l’an dernier, le projet d’une taxe sur les transactions financières européennes poursuit son développement et, nous l’espérons vivement, permettra demain d’abonder l’APD.
Depuis toujours, les restructurations et annulations de dette s’étalent sur plusieurs années, sans dommage majeur pour notre propre balance budgétaire. Surtout, elles sont nécessaires pour éviter que des pays ne soient en faillite, en pleine crise du covid, ce qui endommagerait leur capacité ultérieure à rembourser qui que ce soit.
Tous les rapports ont été adoptés dans les différentes commissions sans modification. Bien sûr, le projet de relocalisation du siège social de l’AFD mérite notre attention et appelle notre vigilance. Toutefois, j’espère que ces garanties sauront apporter une réponse aux doutes exprimés l’an dernier sur ce budget.
Au vu du caractère vital de l’aide publique au développement et de la responsabilité que nous avons en tant que nation, le groupe RDPI votera favorablement les crédits de cette mission.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois encore, nous allons adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement » sans le cadrage maintes fois promis – ce sera peut-être encore le cas ce soir –, mais toujours pas mis en œuvre, d’une loi de programmation pluriannuelle de l’aide publique au développement.
C’est d’autant plus problématique qu’aux enjeux structurels sur l’absence d’un ministre dédié, sur les montants de cette aide publique, sur sa conception, sur ses critères et sur la transparence de sa mise en œuvre s’ajoutent désormais les effets durables, structurants et aggravants en termes d’inégalités de la pandémie sur des pays destinataires déjà bien fragiles.
C’était donc, à l’heure de toutes les urgences, le moment de présenter cette loi de programmation. Or nous n’y sommes toujours pas. Cela en dit long sur les retards pris et sur la sous-estimation des enjeux !
Quoi qu’en disent les chiffres annoncés, nous sommes très loin d’être au niveau, en termes tant de montants que de réorientation stratégique de cette aide publique.
Pour cette année encore, les prêts représentent l’écrasante majorité de l’activité de l’AFD : comparés aux 16 % en moyenne des autres pays du Comité d’aide au développement, c’est peu de dire que nous devons poursuivre et accélérer une profonde réorientation.
La domination des prêts a des conséquences fortes. Elle oriente une part importante de nos aides vers les pays les plus solvables, au détriment des plus fragiles qui devraient avoir la priorité, alors même que, pour la première fois en vingt ans, l’extrême pauvreté reprend sa progression dans le monde.
Le Sahel, pourtant région considérée comme prioritaire et où nous sommes engagés militairement, ne reçoit qu’à peine 5 % de l’aide française, alors que nous ne cessons d’affirmer que la solution ne sera pas militaire, mais qu’elle résidera dans la reconstruction d’un développement pérenne et endogène. Où est la logique ?
De surcroît, pour les pays emprunteurs, le recours prioritaire à l’endettement les enfonce à long terme et nuit à leur capacité d’investissement.
La perpétuation de ce modèle est l’un des aspects majeurs de l’inadéquation de notre aide publique, au même titre que l’amplification d’un continuum entre développement et sécurité, l’intégration dans l’APD des questions migratoires ou la récurrence de l’aide conditionnée, dont les critères sont tous centrés sur une prétendue et discutable « défense de nos intérêts » et non sur les véritables enjeux du développement tels qu’ils sont définis par l’ONU.
Le pré-projet de loi de programmation, rédigé bien avant que n’explosent les besoins liés la crise sanitaire, tablait sur une mission « Aide publique au développement » pour 2021 entre 3, 9 milliards et 4 milliards d’euros, auxquels il fallait ajouter 838 millions d’euros alors prévus d’affectation de taxes. Nous sommes, il est vrai, aujourd’hui au-dessus de ces montants, avec un total de 5, 55 milliards d’euros programmés, dont 655 millions d’euros d’affectation de taxes, malgré un écroulement des recettes de la taxe sur les billets d’avion, la TSBA.
La France, cinquième puissance économique du monde, prévoit de participer à hauteur de 1 % à l’aide d’urgence demandée par les Nations unies pour les pays les plus pauvres, qui subissent de plein fouet toutes les crises. La coordination des ONG estime, quant à elle, que la France pourrait d’ores et déjà mobiliser des sommes beaucoup plus importantes, soit près de 15 milliards d’euros de plus, notamment grâce à une autre politique de gestion de la dette et surtout à une augmentation plus audacieuse des taxes et ressources dédiées à l’APD.
De ce point de vue, le refus d’augmenter le rendement de la taxe sur les transactions financières, réitéré dans la discussion budgétaire, est un crime contre le développement solidaire de l’humanité dans cette situation alarmante d’inégalité dans le monde. Monsieur le ministre, pourquoi le Gouvernement maintient-il sa position d’un plafonnement de l’affectation de la taxe sur les transactions financières, la TTF, au Fonds de solidarité pour le développement (FSD) ?
Malgré la crise sanitaire, qui a eu un léger impact sur la TTF, son produit pour 2020 et 2021 est estimé respectivement à 1, 22 milliard d’euros et à 1, 04 milliard d’euros, dont moins de la moitié est redirigée vers la solidarité internationale, qui est à l’origine de sa création.
Le Président de la République a annoncé à plusieurs reprises que le développement était une priorité et que nous étions « en guerre » face au coronavirus. Nous constatons toutefois chaque jour que la guerre contre la pauvreté se mène, elle, avec toujours aussi peu de moyens.
Notre vote contre les crédits de cette mission exprimera cette exigence et l’impatience de notre groupe.
Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’incroyable bouleversement qu’a connu le monde en 2020 rend plus central encore le sujet de l’aide publique au développement.
Comme de nombreux autres pays, la France est elle-même sinistrée. Avec la pandémie, son économie – notre économie – a été durement touchée : le chômage repart à la hausse, des entreprises ont mis la clé sous la porte et la pauvreté augmente sur notre territoire. Cependant, nous examinons aujourd’hui les crédits destinés à aider d’autres pays à se développer, en leur faisant moins de prêts et plus de dons.
Alors que la situation économique de notre pays est historiquement mauvaise, certains pourraient avoir du mal à comprendre que la France cherche cette année encore à atteindre ses objectifs en matière d’aide au développement. La formule des années 1960 « La Corrèze avant le Zambèze » pourrait ainsi revenir au goût du jour…
Sourires.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires considère cependant que la poursuite de l’action de la France en la matière est primordiale. À deux principaux égards, l’aide publique au développement est un outil précieux dans les relations internationales.
D’une part, l’interdépendance des économies nationales n’est plus à démontrer. Un pays qui se développe grâce à la France est un partenaire économique. En renforçant ses infrastructures et en améliorant le niveau de vie de sa population, ce pays développe des conditions d’échanges propices au renforcement des liens institutionnels et aux opportunités entrepreneuriales avec la France. Dans une économie mondialisée, aider au développement des autres, c’est indirectement favoriser son pays.
D’autre part – et cet aspect majeur est probablement plus important que le premier –, l’aide au développement constitue également un moyen efficace pour lutter contre l’insécurité mondiale. Les zones les plus instables sont souvent celles où le développement est le plus faible, en particulier lorsque l’État n’a pas les moyens de mettre en place une instruction publique. En Afrique, plus particulièrement au Burkina Faso, près de 2 300 établissements ont fermé à cause du terrorisme. C’est dans un tel contexte que l’aide au développement est primordiale afin de lutter contre le risque d’embrigadement des enfants dans des écoles du terrorisme.
Pour éviter la création de zones de non-droit dans des États qui connaissent une certaine instabilité, il est essentiel de les accompagner dans un développement homogène de leur territoire. Le développement contribue ainsi à la résolution politique de conflits qui nous concernent. C’est notamment le cas des pays de la bande sahélo-saharienne.
Pour avoir le meilleur effet, l’aide doit être concentrée sur les pays qui en ont le plus besoin. À cet égard, nous comprenons et nous soutenons le changement de logique consistant à privilégier les subventions et les dons plutôt que les prêts. L’aide est souvent plus cruellement nécessaire aux pays qui n’ont pas la capacité de rembourser.
La France avait jusqu’à présent préféré accorder une aide sous forme de prêts pour des raisons évidentes d’allégement des coûts. Cela a néanmoins conduit à diriger des aides vers des pays qui ne semblent pas être les plus prioritaires. Si le remboursement des prêts que la France accorde à la Chine paie le salaire du directeur de l’Agence française de développement, il n’en est pas moins difficile de justifier que Pékin, capitale de la deuxième puissance mondiale, puisse avoir besoin de l’aide de Paris. Nous devons nous assurer que l’argent consacré à l’aide publique parvient effectivement aux projets choisis par la France.
Dirigée vers les pays qui en ont le plus besoin, majoritairement sous forme de subventions, l’aide publique au développement devra en outre faire l’objet de contrôles d’autant plus étroits.
L’aide au développement est avant tout un défi que l’humanité doit relever. Elle implique des frais de siège, de structure et d’encadrement nécessaires au contrôle et à la conduite de projets. Dans un climat national où la pauvreté sera de plus en plus apparente, nous devons être très vigilants sur toute dépense ostentatoire.
M. Jérôme Bascher renchérit.
Il convient que ces charges de fonctionnement soient les plus faibles possible afin que chaque euro dépensé contribue avant tout à lutter contre la pauvreté et les inégalités dans le monde.
Nous attendons avec impatience le projet de loi destiné à définir le cadre de l’aide publique française.
La France, cinquième pourvoyeur mondial d’aide publique, doit poursuivre son action en la matière, …
… en s’assurant que les fonds versés concourent bien à la réalisation des objectifs qu’elle se fixe.
Sous ces conditions, le groupe Les Indépendants – République et Territoires approuvera ces crédits.
Madame la présidente, monsieur le ministre, confirmant la trajectoire engagée en 2018 et les promesses présidentielles, la mission « Aide publique au développement » est en hausse de près de 50 % pour atteindre 4, 9 milliards d’euros en crédits de paiement.
Cette augmentation s’explique toutefois en très grande partie par un nouveau programme de recapitalisation de l’Agence française de développement, qui vise principalement à se conformer aux nouvelles règles prudentielles européennes.
Il n’en reste pas moins que c’est une hausse que je tiens à saluer, d’autant qu’elle permet de se rapprocher de l’objectif de 0, 55 % du RNB dédié à l’aide publique au développement à l’horizon de 2022.
Toutefois, ne nous méprenons pas, cette hausse n’est en réalité qu’un rattrapage. En 2010, 0, 5 % du RNB était consacré à l’aide publique au développement. Aussi, la France est toujours loin de l’objectif de 0, 7 % auquel elle s’est engagée dans une résolution de l’ONU, en 1970.
L’augmentation des budgets n’est pas encore suffisante pour que l’aide au développement de la France joue le rôle qui doit être le sien. Un récent rapport d’Oxfam intitulé « 50 ans de promesses non tenues » chiffre à 5 000 milliards d’euros sur cinquante ans les sommes non versées.
La pandémie accentue par ailleurs les besoins en termes de financement. Alors que plus de 100 millions de personnes risquent de tomber dans l’extrême pauvreté, l’ONU évalue à 500 milliards d’euros les besoins supplémentaires pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et économique. Pour la France, au regard de son poids dans l’économie mondiale, cela représenterait 14, 5 milliards d’euros supplémentaires. Nous n’y sommes pas encore…
Au-delà de la recapitalisation de l’AFD – j’exprime au passage ma circonspection sur l’opération immobilière à plus de 800 millions d’euros prévue par l’AFD pour son nouveau siège et évoquée par plusieurs de mes collègues –, les crédits des deux programmes utiles passent, quant à eux, de 3, 27 milliards d’euros à 3, 95 milliards d’euros.
Lorsque l’on examine les chiffres dans le détail, la répartition des crédits de la mission soulève plusieurs interrogations.
Je tiens tout d’abord, chers collègues, à appeler votre attention sur le grand paradoxe de l’aide publique au développement française : ce ne sont pas les dix-neuf pays considérés comme prioritaires qui bénéficient le plus de l’aide. Cette aberration est le résultat d’une politique d’aide au développement peu ambitieuse. Depuis des années, la France fait le choix des prêts plutôt que des dons.
De ce fait, ce sont les objectifs prudentiels qui s’imposent, et non les objectifs politiques. Plutôt que de contribuer financièrement à l’agrandissement des lignes de métro d’Istanbul, nous ferions mieux d’aider les pays prioritaires.
D’après Jorge Moreira da Silva, chargé de la direction de la coopération pour le développement à l’OCDE, « le financement du développement durable des pays en développement risque de s’effondrer ». Il faut donc passer outre les règles prudentielles et aider les pays qui n’ont pas les moyens d’assurer leur transition énergétique.
Sur les dix-neuf pays, dix-huit sont africains. Allouer les crédits destinés à la Chine à ces dix-huit pays permettrait d’aider ceux qui en ont le plus besoin. Telle devrait être la vocation première de cette mission budgétaire.
Enfin, il est essentiel de revenir sur la question des conditionnalités. Il serait inutile de conditionner l’aide publique au développement à des engagements en matière migratoire. Le but de l’aide publique au développement est que les pays bénéficiaires puissent s’ouvrir au monde de façon autonome. L’aide publique au développement ne doit pas devenir le pendant de la politique migratoire française. La prise en compte du taux de reconduite à la frontière n’aidera pas les pays bénéficiaires à relever les défis contemporains. Conditionner les aides à des clauses migratoires ne ferait que régler les manifestations du problème, et non ses causes.
En bref, nous examinons un budget habituel alors que nous sommes face à une crise exceptionnellement grave. Nous ne pouvons pas voter favorablement des crédits que même l’OCDE juge insuffisants.
Applaudissements sur les travées des groupes GEST et CRCE.
Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde brutalement mis à l’arrêt par la pandémie de la covid-19, les aides tant privées que publiques en direction des pays pauvres sont fortement affectées : 700 milliards de dollars en moins selon une estimation de l’OCDE.
Dans ce contexte difficile, malgré la crise économique et la dégradation des finances publiques que connaît notre pays, je salue l’action du Gouvernement, qui entend viser l’objectif de hausse continue du budget de l’aide publique au développement établi à 0, 55 % de notre revenu national brut d’ici à 2022.
Cet effort illustre l’attachement de la France à une politique qui est l’expression de ses valeurs de solidarité et d’humanisme. Je rappelle que notre pays est le cinquième pays pourvoyeur mondial d’aide publique au développement. Je rappelle également que la France a fortement appuyé l’initiative de suspension du service de la dette, l’ISSD, actée entre le Club de Paris et le G20 avant l’été.
Cette politique est en outre un levier important de notre rayonnement international, en particulier quand elle s’exerce à travers une coopération bilatérale, qui donne une visibilité plus directe de nos actions sur le terrain. Aussi, je me réjouis de constater la confirmation de cette orientation dans ce projet de loi de finances. Je pense notamment à l’augmentation des moyens de l’Agence française de développement au titre des dons-projets et des dons-ONG.
Je souligne enfin que la politique de développement est un instrument de diplomatie de la paix. Il est bien évident que la pauvreté nourrit l’instabilité et fait le lit des organisations criminelles ou terroristes. Mardi dernier, l’Union européenne s’est engagée à prêter 1, 2 milliard d’euros à l’Afghanistan, tout en appelant les talibans à s’impliquer concrètement dans le processus de paix. À cet égard, il me semble que la conditionnalité des aides ne doit pas être un sujet tabou.
Au-delà de ces trois axes, qui doivent continuer de mobiliser notre politique d’aide au développement, je souhaite évoquer quelques-unes des priorités qui me paraissent essentielles et dont, je l’espère, nous pourrons bientôt débattre dans le cadre du projet de loi de programmation tant attendu.
En effet, les questionnements relatifs à l’orientation de l’aide publique au développement sont nombreux.
Sur sa nature, je crois qu’un large consensus existe pour privilégier une politique de dons et de subventions plutôt que de prêts, ces derniers étant moins accessibles aux pays les plus pauvres. Nos collèges rapporteurs pour avis, dont je salue l’excellent travail, …
… et le RDSE y est très favorable.
Sur l’orientation géographique, est-il bien opportun, dans les conditions politiques que nous connaissons, de reconduire notre soutien, notamment bilatéral, vers la Turquie ? §Il a tout de même représenté 127 millions d’euros en 2018 !
Est-il bien raisonnable de continuer à aider la Chine, qui a enregistré une croissance de 4, 9 % au troisième trimestre de 2020 ?
En revanche, le Comité interministériel de coopération internationale et de développement de 2018 a réaffirmé que l’Afrique était le continent à aider en priorité, ce qui n’est pas encore suffisamment le cas.
Doit-on pourtant rappeler que l’Afrique est le continent de tous les défis – démographique, environnemental et démocratique – et que la non-résolution de ces défis en impose un autre, aux portes de l’Europe, le défi migratoire ? Ce débat est urgent, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, en attendant de redéfinir ensemble les contours de la politique de notre aide publique au développement et de répondre à toutes ces questions, le groupe RDSE votera les crédits de cette mission, qui envoient néanmoins des signaux positifs.
Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et SER.
Applaudissements sur les travées du groupe UC.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2021 s’inscrit dans la continuité de la hausse des crédits de l’aide publique au développement depuis 2016, après une baisse continue entre 2010 et 2015.
Cette aide enregistre la plus forte hausse relative au budget de l’année 2021. Nous constatons sans équivoque qu’il s’agit d’un effort sans précédent en faveur de la solidarité internationale, effort qui s’inscrit dans le contexte économique actuel, qui pèse lourd sur nos finances publiques.
Le groupe Union Centriste salue l’effort qui contribue à concrétiser l’engagement du Président de la République, celui de rattraper notre retard et d’atteindre 0, 55 % du revenu national brut d’ici à 2022. Nous voterons donc les crédits de cette mission.
Nous encourageons le fait que l’aide publique au développement et la réforme de la politique française de développement soient consacrées comme l’une des priorités du quinquennat.
Il va sans dire que la réalisation de cet objectif est essentielle dans le contexte international, contexte où les crises successives et la montée des inégalités ne cessent de s’amplifier et où le multilatéralisme menace de se fissurer.
De même, nous approuvons, bien entendu, que les crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » respectent les conclusions du Conseil interministériel de la coopération et du développement de 2018.
D’une part, la priorité géographique est respectée, avec 73 % des prêts qui doivent bénéficier à la région Afrique-Moyen-Orient.
D’autre part, la priorité sectorielle est aussi constatée dans le contexte de crise sanitaire. Nous remarquons un soutien significatif en faveur de la santé mondiale, avec notamment 60 millions d’euros d’aides budgétaires globales dans le programme 110, 2 millions d’euros pour l’Institut Pasteur et plus de 10 millions d’euros en faveur du Fonds français Muskoka.
Cependant, certains points appellent notre vigilance.
Certaines évolutions relatives aux programmes 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement » et 110 « Aide économique et financière au développement » sont à regretter. En effet, ces programmes resserrent les autorisations d’engagement puisqu’elles sont en baisse de 2, 1 milliards d’euros, alors que les crédits de paiement sont en hausse de 1, 6 milliard d’euros.
La pandémie a démontré la nécessité d’aller au-delà du renforcement du multilatéralisme. Pourtant, ce mouvement conduit à une baisse considérable de l’action Aide économique et financière multilatérale du programme 110. Cette diminution ne nous semble pas cohérente dans le contexte sanitaire que nous subissons.
La raison et le sens commun voudraient que la France se maintienne et conserve sa capacité d’orientation des fonds gérés par les banques multilatérales de développement.
Nous tenons à attirer votre attention sur un autre point. L’impact de la crise sanitaire dans l’aide publique au développement ne doit pas placer la situation d’urgence climatique au second rang de nos préoccupations.
À titre d’exemple, le sud de l’île de Madagascar, que j’ai visité l’an dernier dans le cadre d’une mission interparlementaire, connaît aujourd’hui un épisode de sécheresse exceptionnel menaçant de famine plus d’un million de Malgaches. Cette tragédie imminente nous rappelle l’importance d’annuler la dette des pays les plus vulnérables.
Dans cet élan, des efforts ont été entrepris en concordance avec les engagements du Président de la République. Je fais référence à l’instauration d’un moratoire au service de la dette des pays les plus pauvres.
Quant au Fonds monétaire international, il estime que des actions plus audacieuses sont nécessaires, comme la réduction des intérêts de la dette.
En conclusion, l’action du Gouvernement gagnerait à être mieux hiérarchisée. Elle est cependant toujours définie par cet engagement originel, fixé en 1970 par l’Organisation des Nations unies : celui d’allouer au moins 0, 70 % de notre richesse nationale brute à l’aide publique au développement.
Vos efforts doivent tendre vers cet objectif. Nous plaçons donc nos espérances dans le projet de loi de programmation relatif à la politique de développement et à la lutte contre les inégalités mondiales, très attendu au Parlement.
Aujourd’hui, l’actualité mondiale nous démontre plus que jamais à quel point l’aide publique au développement est cruciale.
Plusieurs pays, plusieurs régions du monde sont en proie à des déséquilibres, qui laissent craindre, dans un futur proche, l’émergence de situations contraires à nos intérêts. Il est important de garder en mémoire que l’aide publique au développement, levier puissant de notre diplomatie, ne pourra répondre à ces défis communs que par la pérennisation d’une large solidarité internationale.
Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget de l’aide publique au développement connaît cette année une forte augmentation dont nous nous réjouissons, mais qui soulève toutefois deux inquiétudes et deux attentes.
Notre première inquiétude concerne l’Agence française de développement.
Les crédits de paiement délégués à l’AFD augmentent de 154 millions d’euros, soit 26 %. C’est beaucoup. Or, depuis plusieurs années, la forte augmentation des engagements de l’AFD a conduit la commission des affaires étrangères du Sénat à relever que le pilotage de cette agence était insuffisant. Cette analyse a été confirmée il y a quelques mois par un rapport de la Cour des comptes.
Il est donc impératif que le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AFD soit présenté aux assemblées et que la nouvelle convention-cadre entre l’État et l’AFD soit signée pour fixer le schéma stratégique, mais aussi démocratique, de notre aide publique au développement.
De manière plus générale, il faut rééquilibrer la relation entre l’AFD et ses deux ministères de tutelle – le vôtre, monsieur le ministre, et le ministère des finances –, avec des objectifs clairs et bien définis. Il importe de pouvoir contrôler que les attentes des parlementaires et du Gouvernement sont satisfaites.
Enfin, malgré certains progrès, la question d’une meilleure évaluation des résultats n’est pas résolue et la mise en place d’une commission indépendante d’évaluation paraît plus que jamais nécessaire.
Comme l’a démontré Hugues Saury, l’AFD se trouve aujourd’hui dans une situation difficile, qui trouve son origine dans un modèle privilégiant par trop les prêts, ce que souligne notre commission depuis de nombreuses années.
Il est donc impératif de trouver des modalités de financement des pays les plus pauvres qui n’acculent pas, périodiquement, ces derniers à des situations d’endettement insoutenables.
Notre seconde inquiétude porte sur la disparition prochaine du Fonds européen de développement (FED), qui sera fusionné au sein d’un instrument unique de voisinage, de développement et de coopération internationale, avec pour conséquences probables une moindre focalisation sur l’Afrique subsaharienne et, à la demande de plusieurs pays d’Europe du Nord, une attribution plus importante de financement au pays des Balkans.
Les nouveaux instruments comporteront sans doute une part de prêts réservés aux pays africains à revenus intermédiaires davantage qu’aux pays les plus pauvres du continent africain. Il faudra donc que la France veille à préserver la concordance de ces financements européens, auxquels elle va – comme toujours – beaucoup contribuer, avec ses priorités géographiques vers les pays en développement africains les plus pauvres.
Après ces deux inquiétudes, j’exprimerai deux attentes.
La première attente concerne la taxe sur les transactions financières (TTF), dont plusieurs collègues ont déjà parlé. Cette année, son rendement sera plus élevé que prévu – tant mieux ! –, mais la part de cette taxe qui sera consacrée à l’aide publique au développement restera plafonnée, hélas, à 528 millions d’euros.
Parallèlement, la taxe de solidarité sur les billets d’avion, qui alimente aussi le FSD, a vu son rendement s’effondrer du fait de la crise du transport aérien.
Si cette diminution a été compensée par le budget général pour 2021, il serait souhaitable que le dynamisme de la TTF soit mis à profit pour assurer une compensation de la baisse de la TSBA.
Enfin, en ce qui concerne la TTF, nous renouvelons, comme chaque année, notre souhait de voir augmenter son taux de 0, 3 % à 0, 5 % et allouer 50 % de ses recettes au FSD.
Le seconde attente – de nombreux collègues en ont parlé – concerne la loi d’orientation : elle est attendue, espérée même, et vous l’aviez promise l’année dernière, lors de la discussion budgétaire, monsieur le ministre.
Ce texte devrait permettre à la France de traduire de manière législative les engagements pris par notre pays pour respecter l’agenda 2030 de l’ONU et l’Accord de Paris sur le climat. L’avant-projet a été diffusé à la fin du mois de février 2020, mais sa présentation en conseil des ministres a été depuis sans cesse reportée, sans doute du fait de la crise sanitaire. Il est véritablement temps de présenter dans les tous prochains mois ce projet de loi en conseil des ministres, puis au Parlement.
La société civile impliquée dans les problématiques du développement dans son ensemble dénonce le retard pris par la France et demande qu’une augmentation des crédits budgétaires soit inscrite dans la future loi. Elle demande notamment que les fameux 0, 7 % du produit national brut consacrés à l’APD soient inscrits dans le marbre de la loi et deviennent une obligation légale, comme cela a été fait par nos amis britanniques voilà plusieurs années.
En conclusion, ce budget marque une forte augmentation, une volonté soutenue d’accroître l’aide française au développement. Nous en prenons acte avec satisfaction. Nous voterons donc ce projet de budget afin d’encourager le Gouvernement à aller plus loin encore.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un intérêt à intervenir en dernier : on a le sentiment d’écouter plusieurs propos semblables. Tous les ans, d’ailleurs, on entend la même chose…
Nous voudrions, cette année, dire notre satisfaction. Mes collègues l’ont dit amplement, les efforts qui ont été accomplis sont sans précédent en termes d’accroissement des dons de l’AFD, soit plus de 150 millions d’euros. Une augmentation des crédits de 17 %, c’est tout à fait considérable dans la période de grande difficulté budgétaire que nous connaissons.
Pourtant, je suis obligé d’évoquer au nom de mon groupe, et aussi un peu au nom de la commission puisque les rapporteurs pour avis ont évoqué ces sujets, les problèmes qui nous occupent.
Tout d’abord, quelles que soient nos recommandations d’année en année, sur les douze premiers destinataires de notre aide bilatérale, on trouve seulement deux pays d’Afrique subsaharienne, tandis que la Chine caracole en sixième place et que, jusqu’à récemment, nos amis turcs figuraient dans les tous premiers rangs.
Vous me répondrez, monsieur le ministre – et vous aurez raison de le faire –, que cette situation est liée aux normes de comptabilisation de l’aide publique au développement
M. le ministre acquiesce.
Pour autant, je répète ce que nous vous avons dit de manière quasi unanime : la situation actuelle est illisible. Elle pourrait même paraître choquante aux yeux de nos concitoyens.
Il est véritablement temps de distinguer clairement ce qui relève de l’aide aux pays les plus pauvres et ce qui concerne plutôt le financement du développement durable dans les pays émergents. Ces deux objectifs sont tout à fait recommandables et nécessaires, mais ils ne se confondent pas.
La France est handicapée par le modèle économique de l’AFD, qui est du reste assez singulier parmi les pays de l’OCDE. Il s’agit en effet d’une institution financière qui agit comme une banque et à laquelle on demande de faire de plus en plus de dons. A-t-on jamais demandé à une banque de faire des dons ?
Selon nous, l’AFD est une agence qui doit lutter contre les inégalités et contre la pauvreté, particulièrement dans les pays du Sahel, lesquels sont d’ores et déjà très éprouvés par le terrorisme.
Vous le savez mieux que moi, monsieur le ministre, les succès militaires que nos soldats y remportent chaque jour et que l’on peut saluer ne pourront aboutir à une paix durable que s’ils sont accompagnés par les succès du développement. Nous avons, sur ce plan, une véritable responsabilité.
L’actuelle direction de l’AFD fait plutôt figure de chevalier du développement durable, de promoteur universel de la lutte contre le changement climatique, tant dans les pays émergents, voire davantage, que dans les pays prioritaires. Cela pose évidemment un réel problème.
Lors de l’examen du projet de loi d’orientation sur la solidarité nationale, nous aurons l’occasion de clarifier cette situation confuse. J’espère que vous pourrez nous dire très prochainement quand nous sera soumis ce texte, que l’on nous annonce depuis un certain temps.
La clarification des priorités de notre aide publique au développement n’est d’ailleurs pas ce que nous attendons au travers de l’examen de ce projet de loi de finances. Ce que nous souhaitons, vous le savez – cela a été dit et redit –, c’est l’amélioration du pilotage de l’AFD, l’encadrement d’une aide multilatérale encore trop peu transparente, l’intégration d’Expertise France dans le groupe AFD et la création d’une commission d’évaluation réellement indépendante.
Ces dispositions essentielles nous permettront d’introduire davantage de démocratie, de transparence et un véritable sens politique dans l’action que vous menez. Je rappelle que ce budget représente tout de même près de la moitié du budget du Quai d’Orsay !
À propos de transparence, je ferai moi aussi, à l’instar des rapporteurs, une observation de principe sur le nouveau siège de l’AFD. On l’a répété tout au long de ce débat, 836 millions d’euros, très sincèrement, représentent un montant totalement décalé – pour ne pas employer un autre terme – dans le contexte actuel. Le film que nous avons projeté en commission était assez évocateur à cet égard.
Par ailleurs, il semblerait que le Gouvernement ait décidé de déposer un amendement de recapitalisation de l’AFD à hauteur de 500 millions d’euros. Vous nous raconterez peut-être ce soir l’histoire de cet amendement, que nous poursuivons désespérément. Nous avons cru qu’il serait déposé à l’Assemblée nationale ; cela n’a pas été le cas. Il devait l’être au Sénat et nous l’avons attendu ces jours derniers ; tel ne fut finalement pas le cas non plus.
Je rappelle que ce montant de 500 millions d’euros représente les deux tiers des crédits en dons prévus par le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement », soit le quart de notre aide bilatérale à l’Afrique subsaharienne et cinq fois notre aide au Mali : pour un seul amendement, cela fait beaucoup ! Nous espérons que vous nous donnerez des explications de nature à nous rassurer, afin que nous puissions nous féliciter sans arrière-pensée de l’augmentation des moyens consacrés à cette politique.
Monsieur le ministre, cette nouvelle augmentation des crédits de l’APD, notamment des dons-projets, nous permettra de maintenir notre soutien à une Afrique d’ores et déjà ébranlée par les effets économiques du covid. Cette hausse a convaincu notre commission de soutenir votre budget.
Nous maintenons nos interrogations sur l’AFD et nous espérons que vous nous éclairerez enfin, à cette heure tardive, sur ces mystères.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en cette fin d’année 2020, la mission « Aide publique au développement » revêt une symbolique particulière et recouvre de nouveaux enjeux, à la lumière des crises que la pandémie de covid-19 a entraînées.
Le nouvel état d’un monde « covidé » cristallise plus que jamais les inégalités entre les pays et affecte durablement l’avenir des populations partout dans le monde, bouleversant encore davantage les équilibres géopolitiques. C’est d’autant plus vrai qu’il a été extrêmement difficile de mettre en place les dispositifs de production et d’acheminement d’aides d’urgence en matériels et équipements médicaux.
Parallèlement, l’aide publique au développement est autant un vecteur de sécurité globale, reposant sur la sécurité alimentaire et énergétique, qu’un outil d’influence internationale et diplomatique. Cette influence intègre désormais la capacité d’un État à soigner, à gérer une pandémie sur son sol, au travers d’un système de santé et avec des ressources humaines, d’équipement et de recherche.
À l’aune de ce contexte aux inédits multiples, vous comprendrez, monsieur le ministre, notre triple exigence.
La première exigence concerne les objectifs de la politique française d’aide au développement.
Quelles seront les priorités géographiques et stratégiques de l’APD en 2021 ? Quels pays bénéficieront des projets ?
Comment seront fléchés les 344 millions d’euros d’augmentation du programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement » et du programme 110 « Aide économique et financière au développement », gérés par le ministère de l’économie et des finances ? Cette augmentation considérable de 17 %, que nous saluons, prend-elle en compte l’accélération des mutations démographiques et environnementales ?
Force est de constater que ces nouveaux impératifs rendent caduques les priorités de l’APD française définies dans le premier chapitre de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale votée en 2014 ! Une nouvelle loi, annoncée à grand renfort de communication en 2017, est toujours attendue.
Il y a plus d’un an, les membres de la commission des affaires étrangères se sont mobilisés et ont commencé à travailler dans un esprit de proposition et de responsabilité.
Monsieur le ministre, lors de votre audition au Sénat, le 3 novembre dernier, vous aviez déclaré qu’un projet de loi serait présenté à la fin du mois de novembre en conseil des ministres. Nous connaissons votre engagement personnel sur ce sujet et nous vous en remercions, mais nous désespérons d’une transmission de ce texte au Parlement avant la fin de l’année.
Notre deuxième exigence concerne les moyens.
Eu égard à l’état de nos finances publiques, avons-nous les moyens de nos ambitions ?
En 2020, la France devrait consacrer 0, 56 % de son produit intérieur brut à l’aide publique au développement, et 0, 69 % en 2021. Qu’en est-il en termes de volumes de crédits ? N’est-ce pas un effet mécanique résultant de la réduction du PIB liée à la crise et à l’annulation de la dette soudanaise ?
Nous sommes cependant satisfaits que l’objectif des 0, 55 % soit dépassé. Aussi une autre question se pose-t-elle : devons-nous continuer à poursuivre cette tendance haussière sans répondre à l’équation de l’évaluation ?
Logiquement alors, notre troisième exigence concerne la nature de l’aide, qui est indissociable de l’instauration d’un programme d’évaluation fondé sur la transparence.
Nous ne pouvons que constater le fossé grandissant entre l’augmentation des montants dédiés à l’AFD et les carences de pilotage de ces fonds. Certes, l’Agence est une banque sous la tutelle de Bercy. Est-ce pour autant une raison pour s’affranchir des recommandations des commissions des affaires étrangères et des finances du Sénat, ainsi que de la Cour des comptes, sur un problème aussi grave que le déficit de gouvernance, alors même que tous les acteurs du secteur privé déploient actuellement des efforts considérables pour répondre aux impératifs internationaux en termes de normes de gestion ?
Le projet immobilier de 50 000 mètres carrés destiné à héberger le siège de l’AFD témoigne a minima d’une totale déconnexion avec la réalité économique. Son coût de 836 millions d’euros suffirait presque à financer une annuité de prévisions d’opérations extérieures ! Que dire aussi des 1 500 mètres carrés dédiés aux espaces de réunion, au moment où les réunions internationales sont dématérialisées et où les grandes sociétés réduisent leurs parcs de bureaux parisiens ?
À cet instant, je tiens à remercier les rapporteurs pour avis, Hugues Saury et Rachid Temal, qui ont alerté sur les déséquilibres inquiétants du modèle de prêt de l’AFD, lequel nécessite la mobilisation de fonds propres dont elle ne dispose pas.
Monsieur le ministre, avant de conclure, j’aborderai un point important, la fiduciarisation de l’APD internationale.
Les prises de participations dans des banques de développement, comme celles qui sont prises au sein de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, ou le sommet des banques publiques de développement, réuni à Paris le 12 novembre dernier, ne sauraient devenir les tendances lourdes de la politique de développement.
L’ambition, l’expérience, la vision singulière de notre diplomatie, doivent redevenir la boussole d’une APD à la française.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, face aux défis globaux auxquels nous sommes confrontés, nous avons besoin d’une solidarité internationale accrue. C’est une question d’efficacité et de justice.
C’est pourquoi, en accord avec le Président de la République et le Premier ministre, j’aurai l’honneur de présenter en conseil des ministres, le 16 décembre, …
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Prochain, en effet !
Sourires.
… puis devant la représentation nationale, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.
C’est aussi pourquoi le programme 209 « Solidarité à l’égard des pays en développement » de la mission « Aide publique au développement » connaît dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021, comme vous avez bien voulu le rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs, une augmentation très significative – près de 17 % –, pour atteindre près de 2, 5 milliards d’euros.
Cette progression nous permettra de poursuivre une trajectoire ascendante de l’APD, dans la perspective d’y consacrer 0, 5 % de notre richesse nationale d’ici à 2022, conformément à l’engagement pris par le Président de la République.
Sur ce point, je connais toutes les discussions en cours. Une clarification est assurée par l’OCDE, dont a parlé l’un des intervenants ; il faut prendre pour règles celles de l’OCDE.
En 2021, la France consacrera 0, 69 % de son PIB à l’aide publique au développement, du fait non seulement de la réduction du revenu national brut, mais aussi d’annulations de dettes.
L’objectif demeure, toutes choses égales par ailleurs, le niveau de 0, 55 % que nous visions. Je suis convaincu que nous l’atteindrons en 2022. Je rappelle pour ceux qui auraient tendance à l’oublier que nous partions, en 2016, d’un pourcentage à 0, 37 %.
La mission « Aide publique au développement » se compose également du programme 110 « Aide économique et financière au développement », géré par le ministre de l’économie et des finances, qui prévoit 1, 39 milliard d’euros en autorisations d’engagement et 1, 47 milliard d’euros en crédits de paiement, lesquels sont significatifs en termes de mobilisation de prêts.
S’y ajoute le programme 365, programme budgétaire dédié, qui a été créé pour doter l’AFD en capital à hauteur de 953 millions d’euros, afin de lui permettre de poursuivre son activité de prêt dans le respect de la réglementation bancaire.
L’AFD est en effet soumise à deux ratios : un ratio « grands risques » et un ratio de solvabilité qui impose que les fonds propres représentent au minimum 14 % de ses actifs. M. le rapporteur spécial Michel Canevet y a fait référence, nous allons donc engager une recapitalisation de l’AFD, qui est indispensable, via la conversion en fonds propres de prêts à long terme versés à l’AFD entre 2017 et 2019, à hauteur de 953 millions d’euros, et qui figurent dans le projet de loi de finances au sein du programme 365.
Je précise à cet instant que le Gouvernement et le ministre chargé de ce dossier, c’est-à-dire votre serviteur, examinent un second canal, passant par une dotation supplémentaire en capital de 500 millions d’euros qui serait proposée le moment venu par le Gouvernement.
En tout état de cause, une telle dotation représenterait un nouvel effort financier important de la part de l’État pour soutenir l’AFD, dans un contexte budgétaire contraint, et devrait donc être assortie de contreparties très strictes pour l’Agence, au premier rang desquelles figurent la maîtrise de son bilan et une réduction de ses charges d’exploitation, notamment sur sa masse salariale. §Cela explique que le sujet ne soit pas encore sur la table.
Par ailleurs, conformément aux orientations définies par le Président de la République, la composante bilatérale de l’aide publique au développement augmentera fortement en 2021, et ce d’abord au travers de la poursuite de la hausse des moyens alloués à l’AFD au titre de l’aide projet, c’est-à-dire les dons-projets et les dons-ONG qui demeurent évidemment – je le dis parce que j’ai entendu des choses fausses sur ce sujet – notre priorité. Ces moyens sont portés en crédits de paiement à 733 millions d’euros, soit une augmentation de 150 millions d’euros. C’est très important ! Il s’agit, pour la première fois, du plus important poste budgétaire du programme, devant les crédits dédiés au FED.
Dans cet ensemble, les fonds destinés à soutenir l’action de la société civile augmentent également : en 2021, les subventions dons-ONG mises en œuvre par l’AFD augmenteront de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement, pour atteindre 130 millions d’euros.
Je tenais à préciser ces points, car je voudrais éviter que des erreurs soient commises. Pour ce qui est de la programmation de l’aide bilatérale, le processus de programmation géographique et sectorielle des engagements de l’AFD est très clair : en 2019, ce sont 68 % des dons qui ont bénéficié aux dix-neuf pays prioritaires.
Je répondrai maintenant à d’autres questions qui m’ont été posées.
Une question sur le pilotage de l’AFD m’a déjà été soumise l’année dernière dans le cadre du débat budgétaire. Je vous avais alors indiqué que je tirerais de ce débat toutes les conclusions qui s’imposaient. Je l’ai fait : nous avons renforcé le pilotage à l’échelon national, essentiellement en créant un comité de pilotage restreint, à mon niveau, et que je préside.
Ce comité fait, tous les deux mois, le point sur l’ensemble de l’évolution de l’action de l’AFD, en présence du directeur général de l’Agence et de mes services. Ce dispositif, qui fonctionne désormais depuis six mois, fait partie des décisions que j’ai prises à la suite de notre débat de l’an passé ; cela nous a permis d’orienter le processus de programmation géographique et sectorielle que je viens de citer.
Sur le terrain, ce pilotage renforcé est en train de se réorganiser, l’ambassadeur assumant le rôle de pilote de notre politique de développement pour l’intégralité de son champ de compétences et dans le pays où il nous représente. Ainsi pouvons-nous assurer la pleine cohérence entre tous les instruments de notre politique.
Seront inscrits dans le texte que j’évoquais précédemment non seulement ce rôle de l’ambassadeur, …
… mais aussi la nécessité d’avoir, dans chaque poste, un conseil local de développement au sein duquel se réuniront, autour de l’ambassadeur, les différents responsables, y compris les acteurs locaux du développement.
Y figurera aussi la création de la commission d’évaluation, qui sera ainsi actée et mise en œuvre.
Monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous indiquer sur la réforme interne de l’AFD que je souhaite mener. À cet égard, je partage assez largement vos préoccupations.
J’en viens à la question du siège de l’AFD.
Que les choses soient claires : il est impératif que l’Agence déménage, pour des raisons d’emplacement géographique, de taille des locaux §– vous vouliez intégrer Expertise France au sein de l’AFD ; pour cela, il faut de la place ! – et de regroupement des différentes instances de l’AFD, qui sont aujourd’hui réparties entre cinq lieux. Par ailleurs, ce déménagement se justifie par des enjeux de remise aux normes et de sécurité.
Le projet retenu, à proximité de la gare d’Austerlitz, répond aux meilleurs standards et a été étudié par les ministères concernés, c’est-à-dire le mien et celui des finances, en vue d’aboutir à un accord de principe. Il ne sera en aucun cas fait appel à des crédits budgétaires de l’État. J’ai posé comme condition à mon soutien le respect de plusieurs exigences : d’une part, la neutralité du coût pour l’État – c’est le cas –, d’autre part, le droit de regard sur l’utilisation qui sera faite des 10 000 mètres carrés de surface excédentaire par rapport aux besoins du groupe AFD.
Ce siège peut devenir un instrument d’influence majeur pour la France. Dans mon esprit, il est essentiel que la représentation nationale, présente au sein du conseil d’administration de l’Agence, soit pleinement associée à la réflexion qui aboutira à la construction de ce projet. Il s’agit en effet d’un dossier complexe qui prendra du temps : les locaux ne seront pas livrés avant 2025.
Je reprends volontiers à mon compte l’observation utile de M. Cambon, selon laquelle il faudrait envisager une séparation entre le soutien au développement durable et celui aux pays les plus en difficulté.
Je sais que M. André Vallini partage ce point de vue.
Je suis prêt à engager cette réflexion, car c’est un sujet important, d’autant plus que nous sommes tenus par les règles de l’AFD, lesquelles définissent ce qui relève du développement durable et ce qui fait ou non partie de l’aide publique au développement. Ces normes expliquent que l’on voie apparaître, en haut du classement, la Chine ou la Turquie. Or, dans ces cas précis, il s’agit non pas de cadeaux que nous faisons à ces pays, mais d’aide au développement durable. Celle-ci nous permet de positionner des entreprises françaises ou des concepts, en vue de contribuer à la nécessaire lutte contre le dérèglement climatique.
Pour clarifier ce sujet, il convient de mener cette réflexion. Les prêts non concessionnels accordés par l’AFD à ces pays ne coûtent rien au contribuable français et ne font pas partie du budget.
Les règles de l’OCDE font qu’il est possible d’interpréter faussement les critères et le rapport entre les dons et les prêts, alors qu’il s’agit uniquement d’un dispositif de présence et d’influence que nous avons dans ces pays et qui sert généralement la croissance verte et les sociétés civiles desdits pays.
Je tenais à faire cette mise au point très claire, afin que ne subsiste aucune ambiguïté. Je vous remercie du soutien que vous apportez à ce projet de budget et de vos contributions.
Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains, ainsi qu ’ au banc des commissions.
Nous allons procéder à l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
En euros
Mission / Programme
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Aide publique au développement
Aide économique et financière au développement
Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement
Solidarité à l’égard des pays en développement
Dont titre 2
162 306 744
162 306 744
L’amendement n° II-518, présenté par M. P. Laurent, Mme Gréaume et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Modifier ainsi les crédits des programmes :
En euros
Programmes
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Aide économique et financière au développement
Renforcement des fonds propres de l’Agence française de développement
Solidarité à l’égard des pays en développement
dont titre 2
TOTAL
SOLDE
La parole est à M. Pierre Laurent.
L’amendement n° II-518 est retiré.
Nous allons procéder au vote des crédits de la mission « Aide publique au développement », figurant à l’état B.
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
Les crédits sont adoptés.
J’appelle en discussion l’article 53, qui est rattaché pour son examen aux crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Aide publique au développement
Le ministre chargé de l’économie est autorisé à souscrire à l’augmentation générale de capital de la Banque africaine de développement prévue par la résolution B/BG/EXTRA/2019/03 approuvée par le Conseil des gouverneurs de la Banque africaine de développement le 31 octobre 2019, soit la souscription de 301 546 nouvelles parts dont 18 093 appelées et 283 453 sujettes à appel, portant la participation de la France à 36 109 parts appelées et 511 109 parts sujettes à appel.
L ’ article 53 est adopté.
L’amendement n° II-488, présenté par M. Leconte, Mmes Lepage et Conway-Mouret et MM. Bourgi, Todeschini, Stanzione, Antiste, P. Joly et Tissot, est ainsi libellé :
Après l’article 53
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er avril 2021, un rapport sur façon dont l’Agence française de développement met en œuvre les engagements pris par le Président de la République lors de son discours prononcé le 29 novembre 2017 à Ouagadougou. Ce rapport précise les conditions d’application du dispositif mis en place pour accompagner les entreprises du secteur privé africain et inscrit à l’article 35 de la loi n° 2020-935 du 31 juillet 2020 de finances rectificative pour 2020.
La parole est à M. Patrice Joly.
Nous allons procéder au vote des crédits du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers », figurant à l’état D.
En euros
Mission / Programme
Autorisations d’engagement
Crédits de paiement
Prêts à des États étrangers
Prêts du Trésor à des États étrangers en vue de faciliter la vente de biens et de services concourant au développement du commerce extérieur de la France
Prêts à des États étrangers pour consolidation de dettes envers la France
Prêts à l’Agence française de développement en vue de favoriser le développement économique et social dans des États étrangers
Prêts aux États membres de l’Union européenne dont la monnaie est l’euro
Je n’ai été saisie d’aucune demande d’explication de vote avant l’expiration du délai limite.
Je mets aux voix ces crédits.
Les crédits sont adoptés.
Nous avons achevé l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement » et du compte de concours financiers « Prêts à des États étrangers ».
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, samedi 28 novembre 2020 :
À neuf heures trente, quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Suite du projet de loi de finances pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 137, 2020-2021) ;
Mission « Enseignement scolaire » et article 54 decies ;
Mission « Pouvoirs publics » ;
Mission « Conseil et contrôle de l’État » et article 54 quater ;
Mission « Direction de l’action du Gouvernement » ;
Budget annexe « Publications officielles et information administrative » ;
Mission « Remboursements et dégrèvements » ;
Mission « Engagements financiers de l’État » ;
Compte spécial « Participation de la France au désendettement de la Grèce » ;
Compte spécial « Participations financières de l’État » :
Compte spécial « Accords monétaires internationaux » ;
Compte spécial « Avances à divers services de l’État ou organismes gérant des services publics » ;
Mission « Investissements d’avenir » et article 55 ;
Mission « Économie » ; articles 54 nonies et 54 octies ;
Examen des articles rattachés aux missions « Plan de relance » et « Plan d’urgence face à la crise sanitaire ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à vingt-trois heures.