Monsieur le secrétaire d’État, ne prenez pas notre initiative pour une démarche hostile à l’égard du Gouvernement, car j’ai apprécié les dernières initiatives du Président de la République, Emmanuel Macron. Nous les soutenons ; c’est un début, mais nous les soutenons. Je considère d’ailleurs que le Président de la République a relevé l’honneur perdu du groupe de Minsk.
Ensuite, si défendre le Haut-Karabagh, mes chers amis, revient à défendre – outre l’Arménie, évidemment – nos intérêts, cela revient également à défendre nos valeurs, car celles-ci ont été piétinées par l’utilisation d’armes de guerre interdites, par des exactions commises contre la population, par des amputations et par la mort de civils, femmes, enfants, vieillards confondus.
C’est la raison pour laquelle nous demandons, dans notre résolution, l’ouverture d’une commission d’enquête internationale sur ces crimes de guerre. Nous demandons également un soutien massif de la France envers les populations déplacées – provisoirement, je l’espère – et la protection, par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), du patrimoine, qui n’est pas seulement arménien ; c’est un patrimoine commun de l’humanité.
Ensemble, nous pensons que la France ne peut pas détourner le regard sans tourner le dos à la vieille amitié qui nous lie à l’Arménie, car c’est bien de l’Arménie qu’il s’agit désormais. Quand le président azéri traite les habitants du Haut-Karabagh de « chiens », il traite tout autant les Arméniens de chiens ! Or, mes chers collègues, lorsque l’on dénie la dignité d’être humain à une population, où cela s’arrête-t-il ? L’Arménie vit également avec cette épée de Damoclès, le corridor qui la transperce de part en part, dans le sud, de son flanc est à son flanc ouest, entre le Nakhitchevan et l’Azerbaïdjan.
Trahir l’Arménie, ce serait nous trahir nous-mêmes et trahir un lien précieux, singulier, multiforme et multiséculaire, qui remonte au fond des âges, au Moyen Âge. Cette amitié est ancienne, elle n’a jamais été démentie, elle a toujours été renouvelée. C’est cette amitié qui a permis à nos parents de recevoir les survivants, les rescapés du génocide de 1915. Ces derniers ont trouvé en France, non seulement un refuge, mais encore un foyer, leur foyer, et ils nous l’ont rendu au centuple, car ce lien multiséculaire est également, je l’indiquais, multiforme ; il prend le visage familier, français, de tant de nos compatriotes. Je pense bien entendu à Patrick Devedjian, à Charles Aznavour, à Missak Manouchian, mort et enterré au Mont-Valérien. Cela devrait parler à nos cœurs de Français.
Tous ceux-là ont montré ce qu’était le modèle français, ils nous l’ont révélé, ils ont démontré que l’on pouvait conjuguer l’amour de la grande patrie française avec l’amour, comme aurait dit Péguy, de la petite patrie charnelle arménienne. Ils ont montré que la République ne leur demandait pas d’abdiquer ce qu’ils étaient et que l’on pouvait être complètement Français sans rien renier de ses racines.
Je terminerai en vous disant, mes chers collègues, que, sur la carte du monde des grandes souffrances humaines, le peuple arménien occupe une place particulière. Un écrivain français – Sylvain Tesson – le disait : « Les Arméniens parlent du fond d’une tombe. » Or ce peuple, avec lequel nous entretenons des liens d’affection et de civilisation, ce petit peuple, comme l’a dit un jour, à Damas, le général de Gaulle, riche de culture et d’histoire, a beaucoup donné pour l’humanité et cette dette de l’humanité, c’est à nous, Français, à nous, le Sénat de la République française, de l’assumer aujourd’hui, en votant cette résolution.
Voilà près de vingt ans, la France fut la première des nations du monde à reconnaître le génocide arménien. Aujourd’hui, le Sénat de la République française doit demander la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh.