Intervention de Christian Cambon

Réunion du 25 novembre 2020 à 15h00
Nécessité de reconnaître la république du haut-karabagh — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Monsieur le président, madame, messieurs les présidents des groupes auteurs de cette proposition de résolution, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au centre d’Erevan, il existe une grande place, connue de tous les Arméniens. Dans ce pays lointain, cette place porte un nom : c’est la place de France, symbole parmi tant d’autres de l’attachement indéfectible qui unit nos deux pays. Aujourd’hui, c’est par le symbole d’une résolution – procédure rarement utilisée – quasi unanime que le Sénat affiche ce même symbole d’amitié et de solidarité avec le peuple arménien, plongé une fois encore dans la tragédie.

Mes chers collègues, qu’a fait la France, une amie de l’Arménie depuis des siècles, pour éviter ce drame ? Et que faut-il faire maintenant pour assurer leurs droits aux Arméniens et leur rendre un peu d’espoir ?

Dans ce conflit du Haut-Karabagh, cœur spirituel et historique de l’Arménie, la France devait, certes, utiliser sa position de médiateur entre les parties. Mais, avec l’escalade de la violence, cette posture nous a menés dans l’impasse et condamnés à l’impuissance. Malgré la violation de trois cessez-le-feu, l’avancée des forces azéries n’a donné lieu qu’à de bien molles protestations.

Des crimes de guerre ont été commis : bombardements de civils, utilisation de bombes à sous-munitions, exécutions filmées de prisonniers de guerre. Pour notre part, nous appelions à la retenue… Le cessez-le-feu a figé une solution militaire imposée par la force par les armes azéries, équipées et encouragées par la Turquie. Nous n’avons pas même été prévenus… Après les multiples agressions turques en Méditerranée orientale et en Libye, nous savions pourtant que la Turquie ne s’arrêterait pas là ! Mais qu’avons-nous fait, à part des déclarations convenues ?

Alors qu’un nouveau partenariat stratégique avec la Russie était né du discours de l’Élysée de 2019, n’était-ce pas justement le moment d’influer sur la Russie, qui aura joué, elle aussi, un rôle ambigu, consolidant son influence dans la région, mais laissant au passage des djihadistes s’installer sur son flanc sud ?

Enfin, qu’a fait l’Europe ? Inexistante, écartelée par ses divisions internes et par ses intérêts divergents, elle a une fois de plus montré qu’elle n’était pas vraiment une puissance politique.

Ces multiples renoncements sont lourds de conséquences. De nouveau, l’usage de la force a conduit à faire voler en éclats, aux confins de l’Europe, des frontières que seule la négociation pouvait fixer.

L’Occident et ses valeurs sont une fois de plus marginalisés. L’accord du 9 novembre est, au fond, un deuxième Astana, avec une Russie et une Turquie qui préfèrent accorder leurs intérêts sans plus s’occuper du droit international et des valeurs que, nous, nous portons. Voilà les fruits de l’inaction au Haut-Karabagh !

Monsieur le secrétaire d’État, que faut-il faire maintenant ? Cette résolution, largement soutenue par le Sénat, ne cherche pas à porter condamnation du Gouvernement, car chacun connaît les racines profondes et anciennes de ce conflit, qui n’avait de gelé que le nom. Il faut, au contraire, que cet engagement du Sénat soit, pour le Gouvernement, un outil, une aide, un levier supplémentaire pour aller vers un règlement politique durable du conflit.

Nous devons maintenant veiller à la mise en œuvre de bonne foi de ce cessez-le-feu.

Par ailleurs, la France accueille le siège de l’Unesco : il faut donc assurer sans tarder la protection d’un inestimable patrimoine culturel et religieux.

Le Gouvernement doit exiger le départ des combattants djihadistes : la Russie ne peut laisser les Turcs créer en toute impunité une zone de terrorisme islamiste sur ses flancs sud.

Les crimes de guerre avérés doivent être identifiés et punis. L’aide humanitaire fournie par notre pays aux populations civiles arméniennes a trop tardé ; elle doit maintenant leur être adressée de manière massive. Vous devez réanimer le groupe de Minsk, qui doit devenir l’enceinte d’une véritable négociation sur le statut du Haut-Karabagh à long terme.

S’agissant de la Turquie, l’heure des clarifications est passée. Nous pensons, comme M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui vient de faire une déclaration en ce sens, qu’il faut maintenant passer à l’action. Passez à l’action, monsieur le secrétaire d’État !

Faites-le tout d’abord au Conseil de l’Atlantique Nord. La réflexion stratégique sur le rôle de l’OTAN qu’a engagée le Président de la République doit être un exercice ambitieux, et non produire un discours creux, conservateur, consensuel et parfois autosatisfait. La dimension politique de la réforme est essentielle. La seule question qu’il convient de se poser est la suivante : la Turquie est-elle encore un allié au sein de l’Alliance ?

Passez ensuite à l’action au Conseil européen : si, d’ici à sa réunion de décembre, soit dans quelques jours, aucun signe d’apaisement tangible ne nous est adressé, la question des sanctions et pourquoi pas de la suspension de l’union douanière doit être posée et discutée avec nos partenaires européens. Sur ce sujet, le Sénat invite le Gouvernement à l’action et à la fermeté.

Enfin, en vous demandant aujourd’hui de reconnaître la République du Haut-Karabagh, le Sénat vous envoie un signe fort pour que la France prenne ses responsabilités devant l’Histoire, parce que la guerre menée par l’Azerbaïdjan avec le soutien de la Turquie ne nous laisse malheureusement plus d’autre choix.

Monsieur le secrétaire d’État, nous le savons tous, l’histoire de l’Arménie est ponctuée de tragédies. Pourtant, quand il l’a fallu, l’Arménie a su consentir au sacrifice de ses enfants pour être à nos côtés dans tous les combats pour la liberté. Mes chers collègues, il nous appartient aujourd’hui de rendre à l’Arménie le témoignage de sa fidélité !

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