Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a un siècle, le 10 août 1920, les puissances victorieuses du premier conflit mondial et l’Empire ottoman signaient le traité de Sèvres. Ce traité prévoyait la création d’un territoire autonome pour les Kurdes et celle d’une république indépendante d’Arménie. Ce nouvel État devait être le refuge d’un peuple qui avait perdu un million cinq cent mille des siens dans le premier génocide du XXe siècle, ce meurtre d’une nation, ce crime contre l’humanité erga omnes – à l’égard de tous.
Pourtant, au traité de Sèvres succéda le traité de Lausanne, par lequel fut ratifiée l’annexion par la nouvelle Turquie de la partie occidentale de cette république mort-née et l’incorporation du reliquat dans l’ensemble soviétique. Plus tard, Staline rattacha les régions autonomes du Haut-Karabagh et du Nakhitchevan, peuplées majoritairement par des Arméniens, à la nouvelle république d’Azerbaïdjan.
C’est l’une des causes, un siècle plus tard, de l’embrasement meurtrier actuel.
En 1991, le parlement de la région autonome du Haut-Karabagh proclama son indépendance, qui fut ratifiée par un référendum. Cette proclamation fut prise à l’issue d’un processus démocratique parfaitement respectueux des conditions législatives de l’époque. Cette indépendance ne fut pas moins légitime que celle prononcée par l’Azerbaïdjan, la même année. Par la présente résolution, c’est cette affirmation légale du droit d’un peuple à disposer de lui-même que le Sénat demande au gouvernement de la France de reconnaître.
Cette exigence, le parti communiste français et notre groupe, dont certains élus sont très impliqués sur ce sujet, l’ont portée, il y a plus d’un an. Aujourd’hui, animés par cette même volonté, nous voterons cette proposition de résolution, et avec elle la demande de reconnaissance de la République d’Artsakh, parce que nous pensons qu’elle est un signe plus que jamais nécessaire à un règlement pacifique et politique des conflits dans le Caucase du Sud.
Comme le précise l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, nous pensons que le peuple arménien continue d’être la victime expiatoire du nationalisme néo-ottoman de la Turquie.
Malheureusement, il ne fait aucun doute que la dérive dictatoriale du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, qui emprisonne l’opposition, musèle les journalistes ou fait assassiner jusqu’en France les militants kurdes, se projette aujourd’hui en dehors des frontières de la Turquie par un projet agressif qui se donne pour nouvelles frontières les Balkans, le Proche-Orient et l’Asie centrale.
À la fiction d’une homogénéité culturelle par l’exaltation du nationalisme turc, la Turquie de Turgut Özal et de Recep Tayyip Erdogan ajoute une dimension expansionniste qui profite des déséquilibres géostratégiques de la fin de la guerre froide, de la connivence coupable de l’OTAN et de l’incapacité désespérante de l’Europe à s’impliquer dans la résolution des conflits armés qui se déroulent à ses portes.
Pour ne pas avoir joué le rôle moteur qu’on attendait d’elle dans le groupe de Minsk, la France a été mise sur le côté par le cessez-le-feu signé sous l’égide de la Russie. La résolution du Sénat redonne de la voix à la France.