Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 30 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Santé

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’analyse des crédits de la mission « Santé » de ce projet de loi de finances prend une tournure particulière dans le contexte de crise sanitaire. Mais, paradoxalement, les traces de la gestion de la crise par l’État dans les lignes de cette mission sont quasiment inexistantes.

Alors que les dépenses de l’État s’enflamment, cette mission semble flotter en dehors de toute réalité avec moins de 0, 5 % de ses crédits rattachés à la gestion de la crise sanitaire. C’est en effet le budget de la sécurité sociale qui a financé l’essentiel de la crise sanitaire, de l’achat de matériels vitaux à l’application StopCovid, aujourd’hui TousAntiCovid.

L’Agence nationale de santé publique, sur laquelle repose la gestion budgétaire des crises sanitaires et des stocks de matériels nécessaires, est également financée par la sécurité sociale depuis son transfert opéré dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.

Nous sommes nombreux, sur ces travées, à avoir alerté l’an passé sur l’erreur que constitue ce transfert. Voilà quelques semaines encore, nous avons de nouveau eu ce débat lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, et la majorité sénatoriale a adopté l’amendement de notre groupe visant à faire revenir le financement de l’Agence dans le giron de l’État. Les missions de sécurité sanitaire et de gestion de crise dévolues à cette agence sont des missions régaliennes qui exigent ce retour.

Cette crise exacerbe ainsi les constats que nous dressions depuis quelques années : un programme 204 en pleine crise existentielle ; un ministère et un budget national de la santé souffrant d’un sous-investissement structurel ; enfin, un dessaisissement de la part de l’État de ses outils de pilotage et de gestion de crise.

Cette année plus encore que les précédentes, le programme 204 porte ces stigmates. Comble du paradoxe, deux mesures fortes relatives à la santé ne figurent pas dans la mission « Santé » : l’effort de formation aux métiers de la santé et du soin, à hauteur de 150 millions d’euros, se trouve dans le plan de relance ; les 6 milliards d’euros en faveur d’un plan d’investissement dans les secteurs sanitaire et médico-social et dans le numérique en santé – mesure du Ségur – se trouvent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale. C’est bien évidemment une manière de faire reposer une partie de votre plan de relance par l’investissement sur le budget de la sécurité sociale, ce que le Sénat a, avec d’autres mesures du même ordre, largement dénoncé lors de l’examen du dernier PLFSS.

Alors, pour 2021 comme pour 2020, on peine à se retrouver dans ce budget de la mission « Santé », qui ne finance ni les dépenses de santé qui figurent dans la loi de financement de la sécurité sociale ni les politiques publiques mises en œuvre dans le cadre de la crise sanitaire. Que le covid marque encore fortement le début d’année 2021 ou non, cela ne changera vraisemblablement pas grand-chose à cette mission…

La prévention et la sécurité sanitaires ne sont décidément pas l’apanage du ministère de la santé, non plus que celui de l’État, ce qui réduit d’autant le contenu et l’intérêt de la mission examinée, et ce qui ne peut que nous inquiéter collectivement.

Tout comme cette crise a profondément interrogé l’organisation de notre système de santé, elle nous invite à revoir le périmètre de l’action de l’État en matière de santé : ses missions, ses moyens, tant dans le domaine financier qu’en termes de gouvernance, qu’il est de sa responsabilité d’y dédier.

Gouverner la santé ne se résume pas à la centralisation à l’excès par le chef de l’État de la lutte contre l’épidémie. L’État, et en son sein le ministère de la santé, doit pouvoir assumer ses responsabilités sur le pilotage politique et opérationnel des politiques publiques en santé. De l’organisation des soins à la santé environnementale, en passant par la prévention, il faut redonner à la santé le poids qu’elle mérite dans le dispositif ministériel et interministériel. Il faut lui redonner la place et l’importance que les Français lui attribuent.

L’enjeu réside aussi dans la restauration du lien de confiance entre nos concitoyens et la politique sanitaire. Ils doivent pouvoir constater les conditions démocratiques d’élaboration de cette politique.

Le Parlement ne devrait pas seulement être amené à constater les trajectoires empruntées. Au contraire, il devrait être pleinement associé à ce travail. Je ne peux que vous y inviter.

J’en viens au programme 183 et à l’Aide médicale de l’État. J’y viens plus succinctement, puisque, comme tous les ans et à mon plus grand regret, c’est le sujet qui déchaîne le plus de postures idéologiques – nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen des amendements.

Cette année, le budget de l’AME est abondé de 142 millions d’euros. J’invite mes collègues à se pencher sur les raisons de cette augmentation, qui résident, pour une large part, dans les restrictions d’accès votées l’année dernière. Eh oui, limiter l’accès aux droits, ça coûte cher !

En effet, outre la prolongation de l’évolution tendancielle modérée, l’augmentation du budget de l’AME s’explique, d’une part, par la réduction du maintien au droit à l’assurance maladie d’un an à six mois, pour les assurés dont le titre de séjour a expiré et qui continuent de se faire soigner, mais sur le budget de l’AME, et, d’autre part, par la mesure instaurant un délai de carence de trois mois pour l’accès à la protection universelle maladie des demandeurs d’asile – délai pendant lequel ils pourront être pris en charge, en cas de nécessité, dans le cadre du dispositif Soins urgents, dont la dotation passe donc de 40 millions à 70 millions d’euros. Ce dernier montant est manifestement établi en tenant compte du non-recours. En effet, au moins 50 % des ayants droit à l’AME n’ont aucune couverture maladie. La plupart du temps, les étrangers en situation de précarité ne connaissent pas leurs droits, dont l’accès s’apparente à un tel parcours du combattant que, sans l’accompagnement des associations, les demandes n’aboutiraient pas.

Non, le panier de soins de l’AME ne comporte pas de soins dits « de confort » ! Non, il ne donne pas lieu à des fraudes massives ! Oui, la nécessité d’une vision sanitaire de l’AME se trouve confortée dans son urgence par la pandémie de la covid-19 !

Mes chers collègues, ne mélangeons pas les débats : la politique de santé et la politique migratoire sont deux choses différentes. Ne laissez pas vos arrière-pensées envahir votre pensée.

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