Intervention de Thomas Dossus

Réunion du 30 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Culture

Photo de Thomas DossusThomas Dossus :

Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, commençons par nous réjouir, car le budget de la culture est en hausse : 3, 2 milliards d’euros, en hausse de 8 % par rapport à 2020, sans compter les 1, 6 milliard d’euros alloués à la culture dans le plan de relance. Oui, la culture est une dimension essentielle de la relance, une dimension cruciale du monde d’après.

Mais avant d’envisager le monde d’après, il nous a fallu sauver celui d’aujourd’hui. Le secteur culturel, et principalement le monde de la création, si fragile, aurait pu s’effondrer lorsque la crise a frappé. Les différents dispositifs transversaux, le chômage partiel, les prêts garantis par l’État (PGE), mais aussi l’année blanche pour les intermittents et les différents fonds de soutien ou d’urgence mis en place par les collectivités locales, ont permis de maintenir la majeure partie du monde culturel à flot.

Nos amortisseurs sociaux, combinés aux dispositifs exceptionnels, ont permis que l’exception culturelle française survive au choc terrible de cette pandémie mondiale. Mais lorsqu’on interroge la diversité du monde culturel, nous constatons que la situation est critique : les structures sont en apnée. Placées dans une situation de fragilité extrême en 2020, leurs perspectives pour 2021 sont sombres.

La situation sanitaire, comme la crise sociale qui guette, plonge le monde de la culture dans une incertitude radicale. Chacun retient son souffle, jongle avec les différents dispositifs, pour construire une saison culturelle sans perspectives claires.

Cette crise a été révélatrice de fortes inégalités, mais aussi amplificatrice des atouts et des travers de notre politique culturelle. Nous sommes à la croisée des chemins : 2021 démontrera soit la résilience de notre richesse culturelle, soit la fin d’un modèle. Le budget que vous nous présentez, madame la ministre, s’il est au rendez-vous d’une relance culturelle ambitieuse, amplifie aussi, disais-je, un certain nombre de travers de notre modèle.

Pour ce qui concerne le patrimoine, tout d’abord, le budget est le plus important de cette mission, avec près de 1 milliard d’euros pour 2021. Nous nous réjouissons tout naturellement de cet effort sans précédent envers nos monuments, nos musées, nos cathédrales. La préservation de ce patrimoine maintient et enrichit des savoir-faire uniques et non délocalisables, en matière de conservation et de mise en valeur historique – je pense notamment aux charpentiers, tailleurs de pierre, ébénistes, restaurateurs d’art, qui font vivre notre histoire.

Cependant, lorsqu’on regarde le détail de cet effort financier, on s’aperçoit qu’il bénéficie majoritairement aux grandes institutions et aux monuments franciliens, et que les transferts aux collectivités locales dans le budget de la culture sont en baisse, par rapport à 2020, de 20 millions d’euros hors plan de relance. Il y a ici, en filigrane, une vision trop centralisatrice de la culture patrimoniale, qui n’est pas celle des écologistes.

Pour ce qui est de la création, ensuite, le budget est aussi en hausse, de 3, 8 % ; il s’établit à plus de 880 millions d’euros. Il nous faut, là encore, nous en réjouir, ainsi que des dispositifs transversaux qui ont permis, comme je le disais, la survie de milliers de structures.

Mais la relance aurait pu être l’occasion de faire émerger un autre modèle de développement culturel. On se rend compte, en dialoguant avec les structures locales, que cette relance, comme c’est le cas pour le patrimoine, renforce encore davantage notre centralisation. Plus on s’éloigne de Paris ou des grandes métropoles, plus la fragilité des structures s’accentue.

Il faut également noter que cette relance s’appuie sur la vision très labellisée du ministère. Il y a parfois des trous dans la raquette : des petites structures, souvent associatives, sont dans des états de fragilité extrême et risquent de disparaître. Nous défendrons des amendements visant à consolider les réseaux de ces petites structures.

Je souhaite enfin aborder la question des festivals. Il n’y a, en France, qu’une minorité de festivals qui bénéficient du soutien du ministère de la culture : 170 en 2019, sur les 6 000 festivals que compte notre pays. Ce différentiel s’explique principalement par une méconnaissance mutuelle entre deux mondes qui s’ignorent parfois. Ce décalage entre les politiques culturelles et la réalité de pratiques toujours en mouvement et protéiformes, si elle est déjà inquiétante en temps normal, peut prendre une tournure dramatique en temps de crise, avec la fragilisation de centaines de festivals qui font vivre leurs territoires et qui risquent la disparition.

Nous espérons que la deuxième édition des États généraux des festivals, qui se tiendra au Printemps de Bourges, permettra au ministère de prendre conscience de la grande diversité de ce milieu.

Il faut également noter que, depuis plusieurs années, de grands groupes rachètent ou prennent des participations dans un ensemble de festivals, dans une logique d’intégration verticale et de maîtrise de l’ensemble de la chaîne de valeur. Comme le montre l’étude Barofest, les grands groupes représentent 14 % des festivals de musiques actuelles et pèsent 88 % de la billetterie. Cette progression du capital dans un univers créatif jusqu’alors plutôt préservé de ses velléités mercantiles doit nous alerter. La culture doit rester aux mains de ceux qui la font vivre, et c’est le rôle de l’État de s’en assurer.

En conclusion, madame la ministre, si nous saluons l’effort réel consenti dans ce budget de la culture, la vision qui le sous-tend nous semble encore plutôt conservatrice, visant le retour à l’avant-crise davantage qu’une relance culturelle qui aurait pu élargir et diversifier notre modèle. Nous voterons toutefois ce budget, tout en espérant qu’une attention particulière sera prêtée à nos amendements.

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