Intervention de François Baroin

Réunion du 3 décembre 2005 à 15h15
Loi de finances pour 2006 — Articles additionnels après l'article 81, amendements 64 72 98

François Baroin, ministre de l'outre-mer :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord exprimer mon respect, monsieur Arthuis, à l'égard de la continuité de la réflexion de la commission des finances et de la commission des affaires sociales.

Je tiens à dire que nous avons eu, avant l'été, l'occasion de discuter, de réfléchir, d'étudier les possibilités d'avancée commune. Cela s'est fait dans un souci de dialogue, dans la prise en considération de l'important travail de la commission des finances.

Vous l'avez dit, monsieur Arthuis, ce point important fait débat. Je crois utile de rappeler quelques éléments de réflexion susceptibles de compléter les arguments que vous avez développés.

Le montant des majorations de pensions de retraite servies aux fonctionnaires de l'Etat installés dans certaines collectivités d'Outre-Mer trouve son origine dans la nécessité de compenser le différentiel entre le coût de la vie dans ces collectivités et ce coût en métropole.

Ces majorations représentent par ailleurs aujourd'hui un revenu non négligeable, injecté dans des économies locales, dont chacun connaît les handicaps structurels et la fragilité. Je n'y reviendrai pas : certains d'entre vous prendront sans doute la parole pour rappeler que, dans ces collectivités, le taux de chômage est deux à trois fois plus élevé que la moyenne nationale, que le nombre de RMIstes l'est également, tout comme le nombre d'allocataires de prestations sociales. Ils rappelleront que les difficultés en matière de production de logements sociaux accentuent ces difficultés et ces tensions. Ils considéreront qu'accorder ces avantages, c'est répondre non seulement à l'exigence de solidarité, mais aussi à l'exigence d'un rattrapage rapide sur le plan économique.

Les majorations de pension constituent, au niveau des retraites, le pendant des surrémunérations versées aux fonctionnaires en activité.

Les régimes de retraite des fonctionnaires locaux peuvent au demeurant constituer des avantages similaires, identiques en montant, comme c'est le cas en Nouvelle Calédonie.

J'ai bien compris, monsieur Arthuis, que les compléments de retraite constituaient l'une des préoccupations de la commission des finances. Cette préoccupation est, avec d'autres, à l'origine d'une réflexion qui se veut équitable et juste pour l'ensemble du territoire national, métropole et Outre-Mer.

En fait, la distance, le « sel du lointain » comme avait dit avec bonheur M. le Premier ministre dans son discours de politique générale, altère la sincérité du regard que l'on peut porter non seulement sur l'exigence du soutien, mais aussi, lorsqu'il s'agit de réforme, sur le rythme, la pédagogie et le calendrier d'une méthodologie que l'on voudrait partagée par tous.

L'exigence d'un consensus, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, est une méthode d'action politique partagée par les parlementaires ultramarins ; ce n'est pas contestable. C'est pourquoi le Gouvernement considère que la réforme, même à la marge de ce dispositif, suppose au préalable que soient réunies deux conditions.

Il faut tout d'abord que les arguments d'une opposition au système actuel puissent se fonder sur des éléments sûrs et indiscutables. Vous avez soulevé des points de référence et en avez conforté votre argumentaire. Vous avez souligné les aspects négatifs de ce dispositif. La difficulté, c'est que nous ne disposons pas d'éléments suffisamment précis sur les aspects positifs. Aucune étude complémentaire valable n'a permis de voir de quelle façon l'argent octroyé sous forme de prestation complémentaire a été injecté dans l'économie.

Par ailleurs, il y a une très grande disparité de situations, nul ne saurait le contester. La différence de coût de la vie entre la métropole et la Réunion, par exemple n'est certainement pas le même qu'entre la métropole et Wallis-et-Futuna.

Est-il besoin de rappeler que, lorsqu'on se trouve à Wallis et Futuna, que l'on soit à la retraite ou en activité, on est obligé de prendre l'avion si l'on a un problème dentaire : le coût du traitement dentaire est multiplié par quatre ou cinq, parce qu'on ne peut se faire traiter qu'à Nouméa. Cet exemple est-il pertinent ou non, je ne sais, mais je pourrais dresser une liste complète de ces disparités liées à l'insularité de certains de nos territoires.

Le plafonnement proposé aujourd'hui se traduirait en réalité par une diminution de revenu dans des proportions totalement différentes à la Réunion ou à Mayotte d'une part, où l'indemnité est actuellement égale à 35 % du principal, en Polynésie, en Nouvelle-Calédonie, ou dans les îles Wallis et Futuna d'autre part, où l'indemnité représente 75 % du principal.

Limiter le bénéfice de l'indemnité aux fonctionnaires en poste dans les collectivités concernées pendant les cinq ans précédant la liquidation de leur pension écarterait des agents ayant exercé dans ces collectivités pendant de longues périodes, mais à un autre moment de leur carrière.

C'est pourquoi un traitement individualisé est nécessaire.

Les quelques études réalisées sur ce sujet n'ont pas traité de manière suffisamment approfondie des effets positifs de ces compléments de rémunération.

Dans l'analyse à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Arthuis, l'INSEE soulignait également que le poids de l'économie administrée dans les économies d'Outre-Mer est tel qu'une réforme des dispositifs existants « ne pourrait être amorcée que graduellement, et en compensant la diminution des transferts publics sous forme de salaires par d'autres dépenses ».

Il ne faut pas perdre de vue que les fonctionnaires retraités présents dans ces collectivités d'Outre-Mer sont des seniors. Ils ne pèsent pas sur l'emploi, mais apportent en revanche à l'économie locale leur revenu et, le cas échéant, leur compétence.

Le dossier mérite une expertise préalable, qui nous fait manifestement défaut aujourd'hui.

Le deuxième pilier sur lequel se fonde la position du Gouvernement est une concertation approfondie avec l'ensemble des élus et des décideurs locaux. Lorsqu'il s'agit de l'Outre-Mer, le principe fondateur est l'action consensuelle, pour parvenir à des avancées durables et structurelles.

Cette concertation est d'autant plus légitime que les dispositions proposées, même si elles n'ont vocation qu'à s'appliquer à de futurs pensionnés, ne sont pas sans incidence sur les économies locales.

Une évaluation de l'impact économique de cette mesure doit donc être réalisée de façon à en atténuer les effets négatifs, par une dégressivité par exemple.

Cette absence d'évaluation et de concertation explique pourquoi tous les élus ultramarins que je rencontre demeurent hostiles à cette réforme.

De plus, l'exclusion proposée des fonctionnaires n'ayant pas servi outre-mer précédemment à leur retraite est parfaitement inéquitable.

Comme Mme Payet l'expliquait devant la commission des affaires sociales le 19 octobre dernier, les personnes originaires de l'Outre-Mer attendent parfois leur mutation pendant toute leur carrière et ne retournent dans leur région d'origine qu'au moment de leur retraite seulement.

Je précise qu'aucune articulation avec les régimes locaux n'est actuellement prévue.

En conséquence, monsieur Arthuis, s'il vous semble que la réflexion sur ce sujet peut et doit être menée, le temps de la réforme n'est pas encore venu.

Dans le contexte de la LOLF, dont l'objet est d'atteindre une plus grande rationalisation de la dépense, il ne nous paraît pas opportun d'adopter une mesure visant à une économie non mesurable, mesure qui risque d'entraîner des injustices plus grandes que les hypothétiques injustices dénoncées.

Il convient donc pour l'heure d'approfondir l'analyse. Je propose que nous lancions une réflexion dans le cadre de la commission d'évaluation prévue dans le cadre de la loi de programme. Cette commission doit rassembler - un consensus se dégage sur ce point - des parlementaires appartenant aux commissions des finances des deux assemblées, des parlementaires ultramarins, ainsi que des représentants des services du ministère de l'économie et des finances, du ministère des affaires sociales et du ministère de l'outre-mer.

Ce point, qui n'est pas inscrit dans la loi en termes de politique d'évaluation, pourra ainsi malgré tout, lorsque la commission se mettra en place, faire l'objet d'une réflexion. Nous verrons ensuite, sur des bases sincères et objectives, comment définir une position qui soit favorable aux uns comme aux autres.

Vous l'aurez compris, le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements n° II-64, II-72 et II-98 et demande qu'ils soient mis aux voix par scrutin public.

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