Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, impossible d’aborder ce budget 2021 pour la culture et le patrimoine sans évoquer la crise traversée, qui réduit nos objectifs à la protection sanitaire de nos concitoyens.
Dès lors, les « essentiels » n’ont pas été culturels, la madeleine l’a emporté sur Proust. Plutôt qu’une critique, c’est un constat qui donne à ce budget des obligations spécifiques.
Si la culture et ses acteurs n’ont pas totalement disparu des écrans, au sens propre comme au sens figuré, la dimension humaine de partage, liée à la présence physique de la culture, sort de cette période très amoindrie. S’ajoute à cela le risque de perdre de la diversité culturelle aux dépens des professionnels et des structures les plus fragiles, pourtant fondement de notre exception culturelle.
Si en juillet le ministère indiquait une baisse d’au moins 25 % du chiffre d’affaires du secteur, la situation s’est depuis aggravée. Les incertitudes demeurent. Nous saluons ici les efforts budgétaires à destination de la culture et du patrimoine. Le ministère accompagne : c’est objectif si l’on regarde les masses financières.
Mon propos se concentrera donc sur les choix et les rééquilibrages souhaités, ainsi que sur les points saillants qui nécessitent de la vigilance pour passer ce cap difficile.
En ce qui concerne le programme 131, « Création », l’augmentation budgétaire est nette. Saluons aussi les efforts conjoints des collectivités. Ce sont 37 millions d’euros de mesures nouvelles, auxquels s’ajoute le renfort du plan de relance.
La crise est sans précédent et frappe tous les secteurs. Nous saluons donc l’attention portée aux intermittents du spectacle, le renforcement du fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle, le Fonpeps, le soutien à la commande publique, les moyens pour la réforme des aides aux équipes indépendantes, les aides portées par le Centre national de la musique, le CNM, ou encore celles pour la présence artistique dans les territoires et les résidences d’artistes.
Ajoutons aussi le crédit d’impôt, prolongé, bonifié et élargi par le Sénat à toutes les esthétiques du spectacle vivant.
Néanmoins, des points de vigilance sont à noter. D’abord, les mesures citées vont devoir être prolongées, si nécessaire. Ensuite, les arts visuels, une fois encore, ne sont pas la partie du programme « Création » la plus accompagnée. Pourtant, très présents et actifs dans tous les territoires, ils contribuent largement à l’accès à la culture pour tous.
Le ministère doit accélérer leur structuration, comme pour les schémas d’orientation pour le développement des arts visuels, les Sodavi. Aussi, si les états généraux des festivals sont positifs, nous sommes en attente de solutions concrètes. Par ailleurs, si une seconde saison consécutive était annulée, c’est beaucoup du lien avec le public, et singulièrement avec la jeunesse, qui en pâtirait.
Concernant le spectacle vivant, l’impératif est de ne perdre aucun lieu ni aucune structure. À ce titre, l’activité partielle doit pouvoir être accessible à tous.
Enfin, nous ne saurions trop insister sur la nécessité de voir s’installer une véritable gouvernance territoriale de la culture entre le ministère et les collectivités, qui assurent près de 70 % de la dépense de création. L’objectif de maintenir la fertilité de l’écosystème culturel ne peut être garanti qu’à cette condition. Loin des grands-messes, c’est plutôt d’agilité et de confiance qu’il est ici question.
J’en viens au programme 361. Les crédits de la démocratisation culturelle sont en hausse, mais surtout pour le pass culture. Pourtant, c’est l’éducation artistique et culturelle qui est une des clés de sa réussite.
Le confinement n’a pas permis de maintenir nombre de projets d’éducation artistique et culturelle, ou EAC, dans les écoles. En 2021, un effort doit être fait avec l’éducation nationale pour garantir une programmation de rattrapage en 2022.
Les difficultés que rencontrent les acteurs associatifs engagés dans l’EAC sont un écueil supplémentaire. Certains d’entre eux menacent de disparaître.
Il y a donc une certaine amertume à voir le budget du pass culture s’envoler, sans garantie de réussite. Généraliser, alors que les structures ne savent pas où elles vont, alors que le numérique a largement préempté l’offre, est-ce raisonnable ?
Clairement, une part du budget aurait dû se déployer sur l’EAC. Vous avez rappelé l’objectif 100 % EAC. Au-delà du slogan, c’est surtout important pour 100 % des enfants !
Concernant l’enseignement supérieur Culture, l’effort budgétaire porte sur la rénovation et le développement numérique. Le rehaussement des bourses amène plus de moyens contre la précarisation accrue des étudiants.
Néanmoins, la situation des écoles d’architecture interpelle : 20 000 étudiants dans vingt écoles depuis vingt ans. Seuls soixante-quinze postes d’enseignants chercheurs ont été créés sur les cent cinquante prévus. L’architecture occupe une part importante dans la société de demain : il est légitime de permettre enfin aux écoles nationales supérieures d’architecture, les ENSA, de prendre leur essor.
Concernant les écoles d’art, une solution reste à trouver à la question du statut des enseignants.
Enfin, j’évoquerai les territoires, les collectivités, les crédits déconcentrés, bref les politiques locales. Peu de mots sur la stratégie mise en œuvre pour ce qui est tout simplement l’accès à la culture partout et pour tous. Dans les territoires, coconstruire la culture est rendu plus vital encore par la crise.
Le patrimoine est le deuxième secteur le plus touché. Des grands sites aux plus petits, c’est l’ensemble d’une filière qui est menacé : 2021 et 2022 sont cruciales. L’effort budgétaire est marqué face à cette situation, auxquels s’ajoutent les 614 millions du plan de relance.
Dans les faits, une grande part de l’effort porte sur le soutien aux opérateurs de l’État. Fers de lance de notre attractivité, ils subissent de plein fouet la situation : chute de fréquentation, du mécénat, des touristes étrangers, quasi-arrêt des expositions, des événements, retards de chantiers.
L’État a renforcé son aide, c’est justifié. L’effort devra sûrement être réévalué si la situation sanitaire devait perdurer. À ce titre, les contraintes encadrant le mécénat des grandes entreprises mises en place cette année tombent mal.
Concernant le patrimoine, l’accent s’est porté sur les monuments historiques. Retards de certains chantiers, difficultés financières des propriétaires, installation tardive des équipes municipales et intercommunales : le danger est grand de voir mis en péril certains patrimoines, faute d’entretien, de moyens et de projets.
Dans ce budget et dans le plan de relance, l’essentiel de l’effort porte sur les monuments historiques dont l’État est propriétaire – citons Villers-Cotterêts ou le plan Cathédrales - ou sur les monuments gérés par le centre des monuments nationaux.
Si les besoins sont réels, pour autant ceux de tout le reste du patrimoine le sont aussi. Ce sont des monuments historiques, qu’ils soient propriétés des collectivités ou des personnes privées. Ce sont donc des maillons essentiels, s’il en est, du patrimoine français.
La faible part du plan de relance qui leur est dédiée montre bien que le regard porté n’est pas le même. Pourtant, c’est bien aussi le maillage patrimonial des territoires qui fait de notre pays ce qu’il est. La complémentarité aurait pu et dû se concrétiser davantage dans les budgets.
On comprend que le court délai pour consommer les crédits nécessite de gros projets budgétaires, et que le plus simple était de prioriser les chantiers de l’État. Il eût pourtant été légitime de créer des conditions plus favorables pour accompagner les autres projets, notamment – j’y insiste – en redonnant à l’État son rôle d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour pallier parfois les carences en ingénierie sur le terrain.
Enfin, j’évoquerai le patrimoine « diffus » non protégé, oublié de ce budget. Il est pourtant un levier simple et efficace dans les territoires : 90 % des entreprises de restauration sont des entreprises locales, les emplois concernés sont non délocalisables.
À cet effet, nous proposons un amendement pour créer une ligne budgétaire destinée exclusivement à ce patrimoine non classé.
Pour conclure, l’effort budgétaire et la volonté de sauver, de sauvegarder, d’accompagner, sont là. Il faudra surveiller et ajuster l’utilisation des crédits dans un contexte bien incertain.
Que l’on considère la culture ou le patrimoine, l’enjeu est de maintenir au maximum cet écosystème aux cofinancements multiples. Il repose sur la capacité en région à s’adapter pour préserver la diversité des acteurs, des structures, des lieux, des opérateurs et des patrimoines, des plus emblématiques aux plus modestes. Cela signifie une interaction plus grande et structurée entre l’État, les collectivités et les acteurs privés et associatifs.
Le défi, en somme, est autant budgétaire qu’organisationnel : il s’agit de coconstruire les politiques en matières culturelle et patrimoniale. La culture pour tous, c’est la culture par tous. Le groupe Union Centriste émet un avis favorable sur les crédits de la mission « Culture ».