Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est dans un contexte bien compliqué pour l’éducation nationale que nous étudions la mission « Enseignement scolaire » de ce projet de loi de finances (PLF) pour 2021.
L’assassinat de Samuel Paty, l’un des siens, a profondément ébranlé la communauté enseignante, dont les membres ont été meurtris dans leur chair. Je crois que nous n’avons pas encore suffisamment pris la mesure, collectivement, de ce que cela a représenté pour eux.
Les hussards noirs de la République sont les piliers de notre société face à l’obscurantisme. Ils ne manquent ni de courage, ni de volonté, ni de conviction pour remplir cette mission. Il faut entendre leurs alertes lorsqu’ils disent ne pas se sentir assez protégés ni soutenus et avoir besoin de davantage de formations pour répondre sereinement aux nombreuses questions de leurs élèves.
Cette violence s’ajoute à un contexte difficile pour les personnels de l’éducation nationale, en première ligne dans cette crise sanitaire et aux prises avec des situations complexes à gérer : des protocoles difficiles à mettre en place et communiqués tardivement, un stress important, des élèves en difficulté après le confinement, et des parents inquiets. Et ce alors que les obstacles dans un contexte ordinaire sont nombreux : classes surchargées, réformes difficiles à mettre en œuvre, manque de matériel, et un sentiment profond que leur travail n’est pas reconnu.
Les directeurs et directrices d’école étaient déjà à bout avant la crise sanitaire car leurs missions sont trop nombreuses. Nous n’avons pas oublié la mort de Christine Renon lors de l’année scolaire précédente ni les mots bouleversants qu’elle nous a laissés. Il n’est pas question qu’un tel drame se reproduise.
Tendez l’oreille, monsieur le ministre ! Entendez-vous la souffrance des enseignantes et des enseignants ? Notre école de la République a pour mission de fournir à nos élèves un enseignement qui permette de résorber les inégalités. Or elle n’y parvient plus, malgré la bonne volonté de celles et ceux qui la font vivre.
La plus belle de nos institutions souffre !
Ce PLF pour 2021 est-il en mesure d’y remédier ? Telle est la question que nous devons nous poser aujourd’hui. Certes, le budget global de la mission « Enseignement scolaire » est en hausse par rapport à l’année dernière ; mais cette hausse n’est pas significative, car elle correspond au transfert d’une partie du budget consacré au sport et à la jeunesse ainsi qu’à une revalorisation salariale.
Nous nous interrogeons d’ailleurs sur cette revalorisation, certes positive, mais qui ne concernera pas tout le monde et sera dégressive. Nous regrettons que vous n’ayez pas plutôt fait le choix d’augmenter le point d’indice pour tout le monde.
Quant à la prime d’équipement, l’objectif annoncé est de permettre le renouvellement d’un équipement informatique complet. Mais l’enveloppe prévue, d’un montant de 450 euros sur trois ans, est insuffisante pour y parvenir.
Les crédits alloués à la mission « Enseignement scolaire » prévoient une hausse du nombre de postes d’enseignants dans le primaire, notamment afin de poursuivre le dédoublement des classes dans les zones REP et REP+.
J’ai d’ailleurs lu dans la presse, monsieur le ministre, que vous lanciez des expérimentations en vue de supprimer la carte des REP. J’avoue ne pas comprendre cette décision, peu cohérente avec l’objectif de dédoublement.
Ces créations de postes en primaire sont une bonne chose, mais malheureusement, force est de constater que cela se fait au détriment du dispositif « Plus de maîtres que de classes », qui bénéficiait notamment aux écoles rurales, et que ces créations entraînent des suppressions de postes ailleurs.
Ce budget prévoit aussi de mettre en place des décharges pour les directeurs et directrices d’école. Est-ce un effort suffisant pour répondre aux besoins réels ? Nous en doutons.
Les créations de postes en primaire s’accompagnent de suppressions de postes dans le secondaire. Or la suppression de ces 1 800 postes coïncide avec l’arrivée de 28 000 élèves supplémentaires. C’est inquiétant, d’autant que cela intervient dans le contexte de la mise en œuvre complexe des réformes des lycées général et professionnel.
Monsieur le ministre, vous nous avez expliqué que ces suppressions sont compensées par le recours aux heures supplémentaires. Mais les enseignants comme les chefs d’établissement alertent sur le fait qu’ils ne sont pas en capacité d’absorber autant d’heures supplémentaires. D’ailleurs, une grande partie des heures supplémentaires actuellement prévues ne sont pas consommées.
S’investir dans son établissement et élaborer des projets à destination des élèves prend du temps. Moins de postes et plus d’heures supplémentaires, cela signifie aussi moins de dynamisme dans les établissements.
Concernant l’accompagnement des élèves, les membres des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), les médecins, les infirmiers scolaires et les personnels chargés de l’accompagnement social des élèves sont plus que jamais indispensables pour parvenir à surmonter les difficultés nouvelles dues à la crise de la covid. Pourtant, le budget qui leur est consacré n’augmente pas en proportion.
Nous notons la volonté de mettre l’accent sur l’école inclusive par la création de 4 000 postes d’AESH, mais nous regrettons qu’il ne soit pas envisagé d’augmenter la rémunération de ces derniers. La plupart des AESH sont payés au SMIC en début de carrière et, de fait, il apparaît qu’ils – et surtout elles, car ce sont majoritairement des femmes – sont à temps partiel. Leurs revenus sont donc trop faibles. Leur mission essentielle mériterait d’être revalorisée.
Enfin, cette mission englobe l’enseignement agricole, qui est un vrai atout français même si nous en parlons trop peu. Heureusement, je sais que dans cet hémicycle – les orateurs avant moi l’ont dit – nous y sommes toutes et tous très attachés. Son rôle dans la mise en œuvre de la transition écologique est central, car il est indispensable si nous voulons réussir à inventer un nouveau modèle agricole viable tout en accompagnant et en soutenant pleinement nos agricultrices et nos agriculteurs. Comme pour de nombreux sujets, c’est grâce à l’école que les grandes batailles se gagnent. Ne ratons pas le coche !
De plus, la décennie à venir connaîtra un grand nombre de départs à la retraite dans le monde agricole. Nous devons être en mesure de préparer la relève.
Nous ne pourrons pas relever ces défis sans un enseignement agricole de qualité. Aujourd’hui, cette qualité existe, notamment grâce aux créations de postes intervenues entre 2012 et 2017. Il faut la préserver. Ce budget prévoit la suppression de 80 postes, qui, cumulée aux suppressions précédentes et à venir, porte le total à 300 postes de moins durant votre mandat. En proportion, c’est comme si on supprimait 10 000 postes dans l’éducation nationale : c’est colossal ! Et l’on nous signale déjà des difficultés pour dédoubler les classes lors des travaux pratiques (TP), pour appliquer les différentes réformes et pour parvenir à l’équilibre des budgets des établissements. Si nous ne changeons pas de cap, nous risquons d’atteindre le point de non-retour. J’espère que, lors de nos débats, nous saurons faire les choix nécessaires pour préserver la qualité de l’enseignement agricole.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons relu ensemble la lettre de Jean Jaurès aux instituteurs. Il leur indiquait notamment ceci : « Je sais quelles sont les difficultés de la tâche. Vous gardez vos écoliers peu d’années et ils ne sont point toujours assidus, surtout à la campagne. Ils oublient l’été le peu qu’ils ont appris l’hiver. Ils font souvent, au sortir de l’école, des rechutes profondes d’ignorance et de paresse d’esprit, et je plaindrais ceux d’entre vous qui ont pour l’éducation des enfants du peuple une grande ambition, si cette grande ambition ne supposait un grand courage. »
Du courage, les personnels de l’éducation nationale n’en manquent pas ! De la patience, de l’écoute, de la passion et de l’innovation, ils en font preuve chaque jour ! Ce dont ils manquent, monsieur le ministre, c’est de moyens. Ce budget est-il à la hauteur de leur engagement et de leurs besoins au service de nos enfants ? Pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, la réponse est : non !