Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’école, ce sont d’abord des élèves : c’est pour eux que nous débattons ce matin à grand renfort de chiffres et de prévisions. Mais l’école, ce sont aussi des professeurs, et je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’école de la confiance sans professeurs en confiance.
Permettez donc au professeur que je reste de rappeler dans cet hémicycle la réalité de ce que vivent les enseignants, réalité, qui, je le crois, nous aidera à comprendre l’urgence de renouer un pacte de confiance entre les professeurs, l’école et la société.
Je ne peux m’empêcher ce matin, en évoquant des professeurs, de penser à Samuel Paty. Il s’inscrivait dans une longue lignée, nous rappelant que notre école fut fondée pour partie par des professeurs, au point que l’on a pu parler, voilà cent ans, de « la République des professeurs », âge d’or mythifié durant lequel ils auraient bénéficié d’un prestige et d’une autorité incontestée.
Ce temps, bien sûr, n’a jamais existé. Les maîtres ont toujours eu des raisons de se plaindre de leur condition au sein de la société.
Aujourd’hui, les craintes d’entrer dans la carrière, le découragement des plus jeunes expédiés comme des Marie-Louise dans les territoires les plus difficiles, la lassitude des plus chevronnés, témoignent de la perte d’attractivité d’un métier exceptionnel.
Des signes d’espérance apparaissent. Le professeur que l’on pensait condamné par l’ordinateur retrouve sa place et l’école à distance nous rappelle ce que disait déjà Jules Ferry en 1879 : « Celui qui est maître du livre est maître de l’éducation. »
Enseigner est un métier exigeant qui nécessite appétence, compétences et formation. Voilà ce que de nombreux parents ont découvert, ou redécouvert, lors du premier confinement.
De plus, le professeur est en première ligne dans les territoires où chaque jour se livre un combat pour la laïcité, pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour la raison face à l’obscurantisme et au complotisme.
Monsieur le ministre, ce pacte de confiance nécessite à l’évidence un rattrapage en termes de rémunérations, de conditions de travail, d’humanisation et d’individualisation des carrières. Le Grenelle de l’éducation doit apporter des réponses précises à ces questions. Les tensions apparues cette semaine et les claquages de portes enregistrés voilà trois jours ne nous rassurent pas.
Certes, la hausse des crédits, notamment ceux qui sont affectés à la revalorisation des traitements, la création d’une dotation d’équipement informatique, l’instauration d’une prime d’attractivité de début de carrière, sont de bonnes mesures.
Cependant, l’effort devra être mené dans la durée et ne pourra pas se cantonner à des avancées matérielles. Comme les hussards noirs de la IIIe République, les professeurs du XXIe siècle doivent être armés philosophiquement pour combattre ceux qui veulent abattre la République. Ils doivent également être armés intellectuellement pour lutter contre les théories complotistes et les infox propagées sur la toile et pour former des citoyens éclairés par la raison.
Les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) seront-ils à la hauteur du défi, comme le furent les écoles normales de la IIIe République ? La formation continue des professeurs sera-t-elle érigée en impérieuse nécessité par un ministère qui la considère depuis si longtemps comme une variable d’ajustement ?
J’en suis sincèrement convaincu : l’une des clés de la réussite de l’école passe par la refondation de la formation des maîtres, dans une société où le savoir n’est plus placé sur un piédestal, où l’autorité du sachant est contestée, où la parole des experts autoproclamés prime sur celle du maître.
Les jeunes professeurs doivent se préparer à évoluer dans un écosystème où ils devront chaque jour imposer la légitimité de leurs fonctions. Y sont-ils aujourd’hui préparés ? Je ne le crois pas.
Toutefois, si la société doit réinvestir les professeurs de sa confiance, il convient aussi que l’école apaise les inquiétudes de la société en garantissant la maîtrise de l’écriture et l’acquisition des compétences élémentaires pour tous les élèves. Si des efforts ont été accomplis en ce sens – ce que l’on ne peut nier –, la Nation devra, en retour, agir en faveur de l’école.
Le Président de la République, citant Ferdinand Buisson, rappelait que la vocation fondamentale des professeurs était de faire des républicains. Or le philosophe insistait régulièrement sur le caractère toujours inachevé du processus de construction républicaine. Cet hommage à la modernité inaliénable du rôle et du métier de professeur reste d’actualité.