Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 28 novembre 2020 à 14h30
Loi de finances pour 2021 — Investissements d'avenir

Photo de Victorin LurelVictorin Lurel :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, le temps m’étant compté, je retiendrai trois points principaux de mon exposé.

Pour commencer, je citerai un élément de contexte. En 2020, la donne a sensiblement changé pour l’État actionnaire et sa doctrine. Telle la marée, l’ambition de 2017 a reflué.

En prenant les commandes, le Gouvernement a redéfini les contours de sa doctrine : les participations de l’État étaient conçues comme un placement « à la papa », lequel ne saurait échapper à la disruption en vogue à l’époque. Pour cela, un mouvement de « respiration » du portefeuille a été engagé, ce qui s’est concrétisé par la cession de la Française des jeux. La privatisation d’Aéroports de Paris devait suivre.

Trois ans plus tard, le « nouveau monde » accuse ses premières rides : à l’aune des événements exceptionnels que nous traversons, le Gouvernement a infléchi sa doctrine. Derrière cet élément de langage, c’est en réalité au retour de la conception qui prévalait jusqu’alors que nous assistons, avec la mobilisation de la prise de participation publique comme levier de politique économique.

Je ne peux qu’approuver ce retour à la raison : je suis convaincu que l’intervention en capital de l’État – je dis bien en capital – permet d’apporter une réponse, en soutien de nos entreprises, de nos savoir-faire et de nos emplois.

Toutefois, je m’étonne de constater la très faible consommation des 20 milliards d’euros de crédits exceptionnels ouverts dans le deuxième collectif budgétaire, puisque seulement 20 % d’entre eux ont été consommés. Malheureusement, la sincérité budgétaire semble faire partie des « victimes collatérales » de la crise sanitaire.

Lors de mes travaux, M. Martin Vial, commissaire aux participations de l’État, m’a indiqué qu’une recapitalisation de la SNCF devait intervenir avant la fin de l’année, pour pas moins de 4 milliards d’euros. Quelle ne fut pas ma surprise, quelques jours plus tard, de lire dans la presse que, pour le président de cette entreprise, cette opération « n’était pas à l’ordre du jour » !

Madame la ministre, comment expliquer cette situation ? Vous parlez d’une doctrine « infléchie », mais c’est plutôt le constat d’un État actionnaire « à genou » qui s’impose.

Deuxième point de mon exposé, ce constat ne peut qu’être renforcé par le dossier de la rentrée, qui continue de faire grand bruit et nous inquiète sur toutes les travées.

Je parle, bien évidemment, de l’acquisition de Suez par Veolia. S’il s’agit d’une affaire entre entreprises à capitaux privés, l’État actionnaire est indirectement concerné au titre de la participation qu’il détient dans Engie. Or, lors du conseil d’administration du 5 octobre dernier, l’État a été mis en minorité sur le vote de la résolution concernant l’offre d’acquisition par Veolia des 29, 9 % du capital de Suez détenus par Engie.

Dans cette affaire, au-delà des appréciations personnelles que nous pouvons avoir sur l’opportunité de la fusion, c’est bien la façon dont l’État actionnaire a appréhendé le dossier qui suscite mes interrogations. En effet, l’État a, sinon suggéré, du moins avalisé dès le premier semestre la décision d’Engie de recentrer ses activités et, partant, de mettre en vente sa participation au capital de Suez.

C’est pourquoi, madame la ministre, la surprise invoquée ne saurait justifier l’attentisme de l’État actionnaire face à l’offre de Veolia.

Mes chers collègues, sachez que le Gouvernement s’est montré, jusqu’à présent, peu coopératif. Non seulement Bruno Le Maire a perdu le chemin du Sénat, mais figurez-vous que son cabinet a décliné ma demande d’audition, jugeant que tel n’était pas « l’usage ». J’espère, madame la ministre, que vous jugerez que des interpellations en séance publique peuvent relever de « l’usage » !

Face au désengagement d’Engie, pourquoi l’État actionnaire n’a-t-il pas anticipé le besoin de recomposition de l’actionnariat de Suez ?

De deux choses l’une : si l’Agence des participations de l’État, prise de court par les turbulences de la crise sanitaire, n’a pas pu mener à bien cette recomposition, il faut le reconnaître.

Sinon, il vous faut assumer le sens de la stratégie consistant à « jouer la montre » qui, faute d’entente entre les parties, était vouée à l’échec. Quand deux des trois acteurs – Veolia et Engie – ont tout intérêt à aller vite, ce n’est pas, à mon sens, une position de neutralité.

Le troisième et dernier point de mon intervention concerne le débat sur les conditionnalités.

Le Gouvernement entend privilégier autant que possible une intervention directe en fonds propres et non en instruments de dette, assimilables à des fonds propres. L’objectif est clair : en contrepartie de son investissement, l’État veut être en mesure d’exercer une capacité d’influence sur la marche de l’entreprise.

Pourquoi, en ce cas, ne pas aller jusqu’au bout de la logique ? Dès lors que l’État entend exercer une capacité d’influence sur la marche de l’entreprise, les conditionnalités se justifient plus que pour tout autre type de soutien public.

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