Monsieur le ministre, j’ai apprécié de vous entendre dire qu’il revenait aux politiques de définir le budget, et non l’inverse. Cependant, je ne vous cache pas ma déception de n’être pas parvenu à distinguer de ligne claire à la lecture de votre budget. Je ne désespère toutefois pas de nos échanges à ce sujet tout au long de l’après-midi.
Monsieur le ministre, la « ferme France » va mal, je ne vous apprends rien. On constate une baisse générale de la production et des volumes, une baisse significative de la valeur ainsi qu’une baisse des effectifs, tant chez les exploitants que chez les salariés.
Sans les aides de la politique agricole commune (PAC) et de l’État, un agriculteur sur deux n’aurait pas de revenus. On peut donc s’interroger sur la logique et sur la pérennité du système. Les revenus des exploitants agricoles sont trop faibles pour le risque qu’ils prennent et le capital qu’ils investissent.
De plus, en dehors des problèmes de fonctionnement, ces faibles revenus emportent des conséquences sur la vitalité des exploitations à long terme, dans la mesure où leur reprise est rendue de plus en plus compliquée. Les enfants des agriculteurs, qui reprenaient traditionnellement l’exploitation familiale, sont aujourd’hui réticents à le faire, parce que ces entreprises manquent de perspectives réelles.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Comme chaque année, nous perdons des parts de marché à l’international ; quand nous observons notre balance commerciale, nous constatons qu’elle était excédentaire de 12, 5 milliards d’euros en 2011, qu’elle est passée à 6, 4 milliards d’euros en 2017 et que ses perspectives pour 2023 sont quasi nulles.
À l’analyse de ces résultats, le Trésor conclut que la perte de compétitivité en est la principale cause. Celle-ci est liée à trois motifs essentiels : d’abord, le coût de la main-d’œuvre, point sur lequel vous avez répondu en remettant en place la procédure travailleurs occasionnels-demandeurs d’emploi (TO-DE) ; ensuite, les charges de production, comme l’alimentation animale, les produits phytosanitaires ou l’augmentation des prix de l’énergie ; enfin, la folie des surtranspositions – j’y insiste ! –, qui vise à supprimer des techniques ou à imposer des normes toujours plus contraignantes, sans calcul d’impact sur les revenus de nos exploitants comme de nos transformateurs.
Comme vous, monsieur le ministre, je ne comprends pas que l’on oppose des modèles différents. Je suis convaincu que la qualité a un prix et que les filières AOP, pour appellation d’origine protégée, ou bio ont aussi leur place. Ces dernières ne pourront toutefois pas satisfaire tous les consommateurs, nous en sommes conscients.
Imposer toujours plus de contraintes à notre agriculture conventionnelle sans augmenter les prix de vente, en raison de la pression des cours mondiaux ou de contrats de type Mercosur, condamnera nos agriculteurs. Les consommateurs sont-ils pour autant prêts à payer plus cher et à perdre du pouvoir d’achat ? Je n’en suis pas certain. L’agriculture conventionnelle a donc toute sa place et je reste persuadé qu’elle est beaucoup plus qualitative que celle que l’on importe et que l’on ne contrôle pas.
Monsieur le ministre, j’attends que vous apportiez des réponses précises à ces questions et que vous indiquiez de véritables orientations.
Revenons au budget, qui est, je le rappelle, financé par l’Union européenne et par la France. Alors que vous êtes en pleine négociation sur la PAC, vous nous avez indiqué vouloir suivre la période passée, mais je vous rappelle que nous avons supporté des corrections européennes considérables, nous avons fait subir aux agriculteurs des retards de paiement de leurs subventions, nous avons été obligés de transférer des fonds vers le Fonds européen agricole pour le développement rural, ou Feader, en les prenant sur le premier pilier.
Nous n’avons pas traité le problème de l’installation. Nous demeurons sans réponse structurée à la question très grave des aléas de toutes sortes qui insécurisent nos agriculteurs. Pendant ce temps, nous avons élevé nos exigences environnementales sans nous en donner les moyens. Tout cela se trouve au cœur de notre discussion budgétaire et nous aurons l’occasion d’y revenir.
Les agriculteurs sont satisfaits du retour à des paiements à meilleure date, ce dont nous vous donnons acte. Toutefois, je dois confesser n’être pas tout à fait sûr que les conditions dans lesquelles ont été engagés des crédits au cours de la période allant de juin 2019 à juin 2020, avec des engagements massifs, nous garantissent contre de futures déconvenues.
Nous avons parlé des corrections financières européennes, j’ai aussi en tête les désengagements considérables d’autorisations d’engagement intervenues ces dernières années.
Pour le reste, nous l’avons dit, votre budget pour 2021 n’est pas innovant : moins d’indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), moins de plans de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles (PCAE), moins de soutiens à l’installation, moins de mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC), moins d’aides au bio dans le programme 149 et toujours une budgétisation pour aléas qui suscite la perplexité et diminue d’année en année. Ainsi, 300 millions d’euros étaient prévus en 2018, contre 190 millions d’euros en 2020, avec des risques d’aléas qui augmentent pourtant chaque année.
Monsieur le ministre, les propos que vous avez tenus lors de la récente réunion avec les parlementaires sur la politique agricole commune rejoignent largement le diagnostic que nous établissons sur le défaut de cohérence entre les objectifs agricoles et les outils prévus pour les atteindre. Je confesse là encore en avoir été surpris, même inquiet, non seulement parce qu’ils étaient presque un aveu d’échec, mais surtout parce qu’ils en ont annoncé le renouvellement à l’avenir.
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué être satisfait de la nouvelle PAC, dans son aspect tant budgétaire que réglementaire. Le succès budgétaire est tout de même très relatif, puisque, hors plan de relance européen, les dotations du Feader sont vouées à baisser.
C’est très préoccupant au regard d’un objectif combiné de souveraineté alimentaire et de transition agroécologique.
Certaines estimations font état d’une perte de production liée à la future PAC pouvant atteindre des niveaux très significatifs. Moins de production en perspective et moins d’aides : l’équation sera très difficile à résoudre !
Certes, sur le verdissement de la PAC en tant qu’objectif commun, vous avez estimé avoir obtenu des garanties. Pourtant, dans le même temps, des transferts entre piliers seront mobilisables par certains de nos partenaires européens, souvent peu enclins à pratiquer une agriculture compatible avec l’environnement. Nous risquons donc de voir se réaliser le scénario d’une politique agricole de moins en moins commune.
Monsieur le ministre, vous m’avez surtout surpris quand vous avez évoqué la création de valeur comme issue indépassable d’une politique agricole soutenable. En même temps, vous avez condamné l’attitude consistant à exiger des agriculteurs une réorientation de 30 % de leur production du fait de la transition agroécologique. N’y a-t-il pas dans le projet annuel de performances un objectif de sortie du glyphosate en 2023 et n’y a-t-il pas dans la future PAC des eco-schemes ?
Vous avez affirmé que le budget ne devait pas contraindre la politique et que l’instrument ne devait pas prévaloir sur l’objectif. Nous pouvons partager ce point de vue. C’est la raison pour laquelle, ayant estimé que votre projet de budget ne servait pas des objectifs qu’il vous faudra préciser, la commission des finances propose au Sénat le rejet des crédits de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », comme ceux du compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » (Casdar).