Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos productions agricole et forestière, ainsi que nos entreprises de pêche ne se sortent pas d’une crise, plus ou moins larvée, qui dure depuis des années et que l’année en cours portera sans doute à son comble.
En effet, la plupart des secteurs sont touchés. Comment, en tant qu’élu d’un territoire d’élevage, ne pas témoigner, à titre d’illustration, des situations dramatiques de l’élevage bovin allaitant, qui nécessitent des interventions urgentes, mais aussi des accompagnements de plus long terme, pour donner des perspectives aux exploitants ?
Les différentes lois de finances, initiale et rectificatives, applicables en 2020 n’ont pas apporté de réponses convaincantes à cette situation et le projet de budget pour 2021 dédié à la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et au compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural » n’ouvrent pas de perspectives significatives – quand elles n’en ferment pas !
Le plan de relance derrière lequel le Gouvernement tend à s’abriter est une opération à un coup qui prétend pourtant porter une modification durable de nos capacités agricoles orientée vers la souveraineté alimentaire et une agriculture plus écologique. Il ne s’appuie sur aucune évaluation de son efficacité au long cours.
D’un point de vue budgétaire, des engagements conjoncturels ne peuvent fonder une transformation de l’agriculture vers des modes de production structurellement différents répondant aux enjeux écologiques et sociaux, tout en assurant un modèle économique viable qui garantisse aux agriculteurs un revenu décent. Cela demande du temps et des soutiens opiniâtres.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué une agriculture créatrice de valeur et, en même temps, moins dépendante du marché. Vous êtes allé jusqu’à regretter que certains veuillent imposer des contraintes environnementales aux exploitants et vous vous réjouissez d’avoir imposé 20 % au moins de contenu environnemental au premier pilier de la PAC. Reconnaissez-le : il est difficile de vous suivre !
Nous avons besoin d’objectifs clairs nécessitant de faire des choix clairs et lisibles, donnant le cap à tous les agriculteurs et à toutes les agricultures, permettant aux exploitants de se lancer dans les adaptations nécessaires de leurs systèmes de production.
En l’état, les interventions publiques sont absolument indispensables à une très grande majorité d’exploitations qui font la production agricole française et le visage de notre pays, ne serait-ce que pour la survie de notre agriculture.
Ne métropolisez pas l’agriculture française, monsieur le ministre !
Le volet forestier de la mission illustre un manque de visibilité des politiques auxquelles concourent nombre de crédits de la mission. Ceux-ci représentent à peine 15 % des concours publics de votre budget et passent de plus en plus par des dépenses fiscales très inégalement profitables pour les forestiers. Ces inégalités liées à une forme d’incitations financières, nous pouvons également les constater pour l’agriculture. Tout cela devrait donner lieu à une évaluation sérieuse.
Pour en revenir à la forêt, alors que l’actuel contrat d’objectifs et de performance de l’ONF, l’Office national des forêts, arrive à peine à son terme, vous avez décidé de réduire le plafond d’emplois de l’établissement. Contre votre avis, l’Assemblée nationale en a décidé autrement.
L’attitude du Gouvernement me paraît peu cohérente avec la volonté affichée d’agir pour la forêt. On ne peut que regretter le décalage permanent entre les discours et les actes, que l’on retrouve également dans votre politique agricole.
Je sais bien que l’ONF rencontre des problèmes. Son résultat économique, sensible à l’évolution du prix du bois, qu’il ne maîtrise pas, n’est pas bon et son endettement ne cesse de croître, mais le Gouvernement préfère souvent cette issue à une prise en charge responsable des déséquilibres financiers courants.
Monsieur le ministre, l’ONF subit des handicaps sérieux. Il doit supporter un taux de contribution employeur au titre des retraites de ses salariés, sans les aménagements qui profitent à d’autres organismes à vocation industrielle et commerciale, comme Orange.
Ses productions environnementales, qui « ne créent pas de valeur », pour reprendre une formule que vous affectionnez, ne sont pas valorisées « financièrement ». Pourtant, elles sont plus que précieuses. Je pense notamment à la captation du carbone ou à la biodiversité. Vous ne pouvez pas ne pas savoir, monsieur le ministre, que la valeur du bois ne représente pas la moitié de la valeur sociétale de la forêt. Les études le démontrent les unes après les autres. Les coupes de bois ne sont pas seules à contribuer à notre stratégie bas-carbone !
Il convient donc d’être très attentif au devenir de l’ONF. À ce propos, qu’en est-il du projet de filialisation que nous avons découvert incidemment dans la presse ?
La forêt française est détenue à 75 % par des propriétaires privés, qui méritent aussi d’être aidés. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF) doit jouer un rôle. Ses moyens doivent donc être préservés.
Le programme 206, « Sécurité et qualité sanitaires de l’alimentation », connaît une progression de ses crédits. Elle répond essentiellement à des évolutions subies par les conséquences du Brexit, auxquelles le Gouvernement a souhaité répondre en créant des emplois souvent non pourvus, qui soulignent, par contraste, la faiblesse des moyens de contrôle des importations hors Union européenne.
De même, nous le voyons bien, les crédits dédiés aux indemnisations des sinistres sanitaires ou de ceux qui sont liés à la sécheresse constituent moins une anticipation des sinistres à venir que la prise en compte d’indemnisations de dommages déjà actés.
Pour le reste, les réflexions et réorganisations de notre appareil de maîtrise des risques sanitaires semblent abandonnées, tandis que des points noirs subsistent : déserts vétérinaires en formation, abattoirs publics à l’agonie, restructurations de laboratoires difficiles.
Le plan Écophyto peut bien être « + », il ne produit pas d’effets probants. Un projet de budget s’apprécie non pas seulement à l’aune des moyens budgétaires, mais également en fonction des performances. Or ces dernières ne sont pas bonnes.
Le Gouvernement a beaucoup communiqué sur la réduction des autorisations de mises sur le marché de produits comprenant du glyphosate. Reste que l’indicateur que vous invoquez ne dit rien du nombre de doses employées. Sur ce sujet, une grande confusion règne.
L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail paraît éprouver des difficultés majeures pour dérouler son programme. Elle a en effet dû enregistrer la défection de l’Institut Pasteur, pourtant choisi comme lauréat de l’appel à projets pour approfondir les études de toxicité.
De votre côté, monsieur le ministre, vous avez déclaré être hésitant sur les suites à donner à l’engagement de campagne d’une sortie du glyphosate. Quoi qu’il en soit, l’objectif demeure à l’horizon 2023 dans votre projet de budget, mais les moyens n’y sont pas. Ils y sont d’autant moins que vous déshabillez le Casdar de 10 millions d’euros, alors que le solde du compte vous permettrait de l’abonder plus significativement.
Dans le contexte actuel, alors que les exploitations doivent trouver les voies de leur adaptation, moins de moyens pour la recherche et sa diffusion, et pour la formation, c’est navrant !