Intervention de Valérie Létard

Réunion du 1er décembre 2020 à 21h15
Loi de finances pour 2021 — Cohésion des territoires

Photo de Valérie LétardValérie Létard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au-delà du seul exercice comptable et budgétaire, la mission dont nous discutons aujourd’hui – mais c’est aussi valable, plus largement, pour le PLF – doit nous amener à réfléchir aux enjeux fondamentaux que revêt la cohésion nationale pour notre société.

Dans le contexte actuel de crise sanitaire et sociale, alors que les signaux sont alarmants, il est de notre responsabilité collective d’anticiper les formes de précarité qui découleront de la montée de la pauvreté liée à cette crise.

La crise sanitaire se double effectivement d’une crise du logement, et nous entendons rappeler, au sein de cet hémicycle, que le logement est un bien de première nécessité.

À ce titre, comme l’a indiqué mon collègue Olivier Henno, nous saluons les mesures exceptionnelles qui ont été prises dans le secteur de l’hébergement depuis le début de la crise, afin de lutter contre l’épidémie et de protéger les populations les plus fragilisées : accroissement des capacités d’hébergement d’urgence, mise à l’abri des personnes, tout en diminuant la densité d’occupation des structures pour respecter les consignes sanitaires. Ce sont 35 000 places exceptionnelles qui ont été ouvertes, dont 14 000 seront pérennisées d’ici à 2021.

Si l’on peut se féliciter de l’engagement du Gouvernement en faveur de l’hébergement d’urgence, des efforts importants sont également réalisés pour la rénovation énergétique des bâtiments et du logement, via le plan de relance, qui consacre 6, 3 milliards d’euros d’autorisations d’engagement à la rénovation énergétique sur la période 2021-2022. C’est nécessaire quand on sait que le phénomène de précarité énergétique touche près de 5 millions de ménages.

En revanche, le secteur de la construction de logements neufs semble oublié, bien qu’il subisse un choc sans précédent – on estime que, sur la période 2020-2021, la baisse de la construction représentera 100 000 logements. Dominique Estrosi Sassone l’a souligné dans son rapport, il est regrettable qu’aucune mesure ne vienne soutenir la construction, car c’est un véritable levier de croissance : « 100 000 logements construits équivalent à 200 000 emplois préservés ou créés ».

Le Gouvernement a fait un premier pas à l’Assemblée nationale, avec la prorogation du dispositif Pinel et du prêt à taux zéro (PTZ). Avec des dispositions élargies, ces propositions pourraient permettre de soutenir la filière du bâtiment et de l’artisanat, et ainsi d’engager une dynamique positive pour la relance de notre pays.

La crise, évidemment, impactera aussi le monde du logement social, dont les difficultés étaient déjà connues. Les bailleurs sociaux, fragilisés depuis 2018 par la réduction de loyer de solidarité voient leurs problématiques se renforcer – au premier chef, celle qui concerne le manque d’autofinancement.

Sans retour de l’APL accession, notamment, ils auront le plus grand mal à atteindre leurs objectifs de vente dans de bonnes conditions, en évitant l’écueil des copropriétés dégradées, comme je le rappelle systématiquement. Aujourd’hui, fragilisés par la RLS, ils ne disposent plus des mêmes moyens pour financer de nouveaux programmes de construction et multiplient, depuis quelques mois, les alertes en matière d’impayés de loyers. Nous devrons être attentifs à ces signaux, afin de préserver la solvabilité des ménages et de sécuriser les parcours résidentiels.

Dans ce contexte compliqué, où le secteur du logement social manque de visibilité, il convient de souligner la pression exercée par le Gouvernement sur Action Logement – certains de mes collègues l’ont déjà fait, mais ce point est particulièrement important.

Cette pression s’est un peu relâchée, grâce à la mobilisation du Sénat dans son ensemble, notamment de sa commission des affaires économiques, mais aussi grâce aux interventions de notre collègue Philippe Dallier, qui suit ces sujets de près. De votre côté, madame la ministre, vous nous avez aidés, en signifiant que le Gouvernement ne procéderait pas par ordonnance pour réformer le groupe Action Logement.

Néanmoins, la pression reste de mise, avec le doublement de la contribution d’Action Logement prévu à l’article 47 du présent projet de loi de finances : de 500 millions d’euros, l’an passé, le prélèvement passerait à 1 milliard d’euros, cette année.

Nous défendrons, là encore de façon collégiale, un amendement visant à revenir sur cette ponction, qui nous semble préfigurer l’avenir de la réforme avant même l’engagement de la concertation avec les partenaires sociaux. En ajoutant 1 milliard d’euros aux 300 millions d’euros de compensation supprimés à l’article 24 du présent texte, on obtient le montant annuel de la collecte de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC)… Si la ressource est retirée en totalité, se pose clairement la question de la stabilité du secteur du logement social, avec, en corollaire, une remise en cause de la politique de rénovation urbaine !

Représentant 18 % des logements sociaux en France, Action Logement aura assuré plus de 40 % de la production en 2020 ! Que serait la construction neuve sans Action Logement ? Le groupe apporte 1, 4 milliard d’euros d’aides directes aux bailleurs sociaux, ainsi que 510 000 aides aux salariés pour un montant de 581 millions d’euros.

Pour la rénovation urbaine, il déploie 475 millions d’euros de financement, et cela doit nous faire réfléchir, madame la ministre, car la rénovation urbaine, comme vous le savez, peine à maintenir son régime de croisière.

D’ailleurs, c’est aussi dû à une problématique essentielle pour les élus, la garantie de la pérennité de la ressource. À cet égard, une chose est certaine : entre l’État et Action Logement, celui qui est au rendez-vous et qui paie rubis sur l’ongle, chaque euro, chaque année, c’est Action Logement ! Cette forme de « sanctuarisation » des moyens du logement va être capitale, madame la ministre, pour la période dans laquelle nous allons entrer.

Et, là encore, il y a urgence ! Nous aussi avons entendu le cri de ces maires – ils étaient 101 au départ ; ils sont de plus en plus nombreux – qui défendent des territoires en décrochage, qui réclament des moyens à la hauteur des enjeux de la République. Placés aux avant-postes de la crise sanitaire et économique, témoins de la détresse des bénévoles associatifs, ayant reçu un nombre incommensurable de demandes d’urgence, ils appellent, au nom de l’égalité républicaine, à réserver 1 % du plan de relance au soutien des quartiers et des publics prioritaires.

En évoquant ces mots, j’ai évidemment en tête le rapport de Jean-Louis Borloo : Vivre ensemble, vivre en grand. Pour une réconciliation nationale.

Le groupe Union Centriste est en phase avec les amendements déposés par la rapporteure pour avis Viviane Artigalas dans le cadre du programme 147 et, bien évidemment, avec ceux qui ont été discutés dans le cadre de la mission « Plan de relance ».

Nous appelons le Gouvernement à tenir compte de la position du Sénat pour que soient fléchés les moyens destinés aux communes ayant des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous avons besoin de repérer avec précision ces crédits, afin qu’ils atterrissent réellement dans ces territoires.

Au-delà, la lutte contre les fractures et pour l’égalité de tous sur notre territoire passe par une meilleure politique de la ville et par de réelles stratégies d’aménagement du territoire. C’est aussi l’objet de cette mission budgétaire.

Accompagner la construction et la rénovation du logement social, déployer une politique de la ville, c’est faire de l’aménagement du territoire de manière différenciée et adaptée : différenciée en fonction des problématiques locales, mais surtout adaptée aux difficultés des habitants.

L’Agence nationale de la cohésion des territoires porte de nombreuses politiques de cette mission : programmes Action cœur de ville et Petites villes de demain, initiative Territoires d’industrie, guichet France Services, agenda rural. Ce sont autant d’actions louables, mais il faut que cette agence soit bien le bras armé de l’État dans les territoires pour les accompagner dans leurs projets, et non un outil au service de l’État pour expliquer aux territoires ce qu’ils ont à faire.

Je rappelle le principe, en France, de libre administration des collectivités territoriales. L’Agence nationale de la cohésion des territoires doit offrir un support en ingénierie à ceux qui en ont besoin, les soutenir dans leurs projets, leur donner les moyens de faire ce qu’ils ont décidé de faire, au bénéfice de leur population. Tout le monde appelle de ses vœux une telle agence, afin d’opérer un rééquilibrage de l’action de l’État au bénéfice des territoires, qui a peut-être manqué par le passé. Nous voulons donc une ANCT au service des collectivités, non un outil pour leur dire ce qu’elles doivent faire !

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