Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, comme à l’accoutumée, ma collègue Sophie Taillé-Polian et moi-même allons présenter, à deux voix, les crédits demandés par le Gouvernement pour la mission « Travail et emploi ». Malgré des divergences, nous pouvons, dans certains cas, dresser des constats communs.
En premier lieu, nous ne pouvons que nous féliciter de la hausse substantielle des crédits de la mission, qui s’élèveraient l’année prochaine à 14, 1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et à 13, 4 milliards d’euros en crédits de paiement. Cette hausse, de 3 % environ, rompt avec la tendance observée les années précédentes, de baisse importante puis de stabilité.
Cette augmentation est d’autant plus nécessaire que la situation sur le marché du travail s’est brutalement dégradée. Pour ne donner qu’un chiffre, le nombre de demandeurs d’emploi en catégorie A a déjà progressé de près de 10 %. De l’augmentation des plans de sauvegarde à celle des personnes en sous-emploi, tous les indicateurs sont au rouge !
La situation est toutefois trop instable pour que je vous livre, à ce stade, des estimations précises des conséquences de la crise sur l’emploi. Les prévisions, déjà pessimistes, que nous présentons dans notre rapport ont elles-mêmes été établies avant la décision du second confinement…
Une certitude, cependant : les ajustements à ces chocs sur le marché du travail touchent en premier lieu les jeunes et les salariés les plus précaires. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) relève ainsi que, dans l’intérim, où ces publics sont surreprésentés, seulement 76 % de l’emploi détruit à la fin du mois d’avril avait été recréé à la fin du mois d’août.
Pour faire face à la crise, la mission « Plan de relance » alloue près de 10 milliards d’euros supplémentaires à la politique de l’emploi. Ces crédits renforceront des dispositifs existants et d’ores et déjà financés par la présente mission, comme les parcours emploi compétences et la garantie jeunes. Ce choix est certainement le bon, car l’heure n’était pas à l’improvisation de mesures nouvelles dans la précipitation : le principal enjeu est d’être en mesure de déployer les actions le plus rapidement et le plus puissamment possible.
J’observe toutefois que, sur le strict plan de la lisibilité budgétaire, la situation n’est pas vraiment optimale.
Prenons l’exemple de l’activité partielle : alors que le dispositif de droit commun relevait de la mission « Travail et emploi », les 21 milliards d’euros débloqués au titre des lois de finances rectificatives pour 2020 ont été retracés sur un programme ad hoc de la mission « Plan d’urgence face à la crise sanitaire » ; pour 2021, aucun euro n’est inscrit sur ce programme, puisque le dispositif sera financé sur une troisième mission – « Plan de relance »…
Cette architecture ne permet pas aux parlementaires de connaître aisément et avec précision l’effort budgétaire que le Gouvernement entend consacrer à la politique de l’emploi, politique cruciale s’il en est pour l’année qui vient.
En gestion, les modalités précises du pilotage du plan de relance, qui fait intervenir la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et la direction du budget, ne sont pas encore parfaitement clarifiées.
Sur le fond des politiques menées, la stratégie, sensiblement la même qu’au cours des années précédentes, me paraît aller dans le bon sens : concentrer les moyens sur les publics les plus fragiles grâce à des dispositifs ciblés et, dans le même temps, réaliser des efforts structurels, notamment en matière d’effectifs.
Ainsi constate-t-on, pour la deuxième année consécutive, que les crédits alloués au secteur de l’insertion par l’activité économique, qui emploie des personnes rencontrant des difficultés particulièrement fortes d’accès au marché du travail, dépassent le milliard d’euros. Les crédits mobilisés en faveur des travailleurs en situation de handicap au titre des aides au poste dans les entreprises adaptées progressent également. On relève aussi une augmentation des moyens alloués au dispositif des emplois francs, destiné à favoriser l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) – même si la complète évaluation de ce dispositif et de ses effets d’aubaine potentiels reste à mener.
En tout état de cause, les publics concernés par ces dispositifs sont frappés de plein fouet par la crise. Plus préoccupant encore, l’expérience des crises passées suggère que ces catégories ne bénéficieront pas spontanément des effets de la reprise, lorsqu’elle aura lieu : il faudra les accompagner dans la durée – comme rapporteurs spéciaux, nous y veillerons.
Madame la ministre, le budget que vous nous présentez, renforcé par les crédits du plan de relance, est, dans l’ensemble, un budget sérieux et nécessaire. C’est pourquoi la commission des finances recommande au Sénat d’adopter les crédits de la mission « Travail et emploi ».