Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, mon analyse du budget qui nous est proposé pour la mission « Travail et emploi » diffère de celle que mon collègue vient de présenter.
Si l’augmentation de 3 % des crédits demandés pour 2021 va naturellement dans le bon sens, il ne faut pas en exagérer la portée : elle est simplement conforme à la trajectoire prévue par la loi de programmation des finances publiques votée en 2018, qui inscrit le ministère du travail et le nombre de ses fonctionnaires dans une trajectoire de diminution – c’est bien là ce qui pose problème.
Je partage les observations de mon collègue en ce qui concerne le manque de lisibilité budgétaire. Néanmoins, la présentation des crédits en deux missions a une vertu : elle met en évidence, derrière le renfort ponctuel de crédits issus du plan de relance, la relative stabilité des moyens que le Gouvernement entend structurellement consacrer aux politiques de l’emploi et du travail. Force est de constater que ces moyens sont insuffisants – ils restent nettement inférieurs à leur niveau de 2017, près de 17 milliards d’euros.
Le financement global des politiques de l’emploi devrait être assuré par une mission « Travail et emploi » durablement en hausse, afin de répondre à la crise sociale majeure que nous traversons et qui, malheureusement, semble devoir perdurer.
Pôle emploi illustre bien la situation : l’État lui donne d’une main, via le plan de relance, des crédits supplémentaires qu’il lui reprend partiellement de l’autre, en abaissant sa subvention pour charges de service public, financée par la mission examinée ce matin…
On peut déplorer aussi que la contribution de l’Unédic au financement de Pôle emploi reste fixée à 11 %, dans la continuité de la hausse observée en 2020. On ne soulignera jamais assez que cette mesure revient, in fine, à faire supporter par les chômeurs eux-mêmes le coût du service public de l’emploi. Ainsi, la nécessité d’améliorer les comptes de l’assurance chômage, déjà lourdement affectés par la crise et la prise en charge du chômage partiel, risque, demain, de justifier une nouvelle restriction de leurs droits. Au demeurant, Mme la ministre pourra peut-être nous éclairer sur ses souhaits en ce qui concerne la réforme de l’assurance chômage.
C’est toutefois la poursuite obstinée de l’effort de réduction des effectifs du ministère du travail qui m’a le plus étonnée. Pour l’exercice 2021, le schéma d’emplois proposé est de nouveau fortement négatif, en baisse de 221 équivalents temps plein (ETP). À périmètre constant, le plafond d’emplois serait ainsi inférieur de plus de 1 100 ETP à son niveau de 2017 !
Certes, il nous a été expliqué que, pour faire face aux besoins urgents liés à la crise sanitaire, le ministère pourrait, l’année prochaine comme cette année, recourir au recrutement d’agents vacataires pour colmater les brèches, notamment dans les services déconcentrés et pour lutter contre la fraude au chômage partiel. Ces renforts sont bienvenus, mais la méthode retenue envoie un signal paradoxal : le ministère chargé de l’amélioration de la qualité de l’emploi est créateur de précarité pour ses propres agents…
La forte dégradation attendue de la situation sur le marché du travail et ses conséquences sociales de long terme appelleraient, à l’inverse, une augmentation pérenne et structurelle des effectifs.
De même, on peut s’interroger sur l’urgence qu’il y a à poursuivre, un peu à marche forcée, la réforme de l’organisation territoriale de l’État (OTE), qui concerne tout particulièrement les ministères sociaux. Pour ma part, je crains que cette réforme n’entraîne une certaine désorganisation, à l’heure où les services devraient être totalement tournés vers la gestion des conséquences de la crise.
Il y a, certes, des aspects positifs dans ce budget, comme les moyens conséquents prévus en faveur de l’inclusion dans l’emploi des publics les plus fragiles, notamment dans le secteur de l’insertion par l’activité économique.
Mais certaines questions se posent, s’agissant, par exemple, de l’absence de la nouvelle augmentation du nombre de garanties jeunes : si la mesure figurera certainement dans le projet de loi de finances rectificative, cette situation interroge sur la capacité des missions locales à gérer ces 50 000 nouveaux contrats.
De même, en ce qui concerne l’insertion par l’activité économique, la question se pose de la capacité des entreprises du secteur à trouver des solutions de long terme pour leurs bénéficiaires et à créer l’activité pour les accueillir, surtout dans les petites structures, fragilisées par la crise.
Nous nous félicitons en revanche, sur toutes les travées, de la montée en puissance de l’expérimentation du dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée », que nous défendons de longue date ; sa prolongation, son élargissement à cinquante nouveaux territoires et l’augmentation corrélative du financement sont autant d’éléments positifs.
Au total, en dépit de certaines avancées, la trajectoire de baisse des effectifs du ministère montre que l’esprit de rétractation des politiques de l’emploi est toujours à l’œuvre. Cette logique, en quelque sorte austéritaire, semble encore dominer, alors même que la situation sociale de notre pays et l’aggravation du chômage, notamment des jeunes et des plus âgés, seront de plus en plus préoccupantes dans les mois et les années à venir.
Pour ces raisons, j’ai appelé la commission des finances à rejeter les crédits de cette mission. Mon collègue a su la convaincre d’émettre un avis favorable, mais nous aurons des débats intéressants, notamment sur la manière de conforter les acteurs de cette politique.