Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 4 décembre 2020 à 21h00
Loi de finances pour 2021 — Justice

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Votre budget, monsieur le garde des sceaux, augmente de 8 %. C’est positif, et il faut le dire, parce que c’est vrai. Une fois qu’on l’a dit, il faut ajouter que ce rattrapage devra être suivi de nombreux autres rattrapages. Certes, il y en a déjà eu précédemment, mais d’une ampleur moindre. Les statistiques, que nous connaissons tous, montrent que, par rapport aux autres pays d’Europe ou de l’OCDE, nous sommes toujours dans le bas de la liste.

Je vous sais trop avisé, monsieur le garde des sceaux, pour ne pas être sur vos gardes : car c’est bien d’annoncer le budget, mais c’est encore mieux quand on voit l’exécution… Combien de fois n’avons-nous pas adopté dans cette enceinte des budgets qui, de mesures de régulation budgétaire en mesures de régulation budgétaire, ont fondu de mois en mois ? Nous espérons que vous serez vigilants à cet égard, y compris pour les postes, dont nos rapporteurs soulignent à juste titre qu’un certain nombre étaient déjà prévus l’année dernière. Comme ils ne sont pas arrivés, vous les reprenez dans votre lot : l’essentiel est qu’ils arrivent…

Au-delà de cette mise en garde sur l’exécution, je présenterai trois remarques.

Premièrement, s’agissant de l’aide juridictionnelle, dont les orateurs précédents ont déjà bien parlé, le montant prévu dans ce budget est la moitié de ce que la mission Perben a jugé nécessaire. Nous allons connaître, à la suite de la crise sanitaire et sociale que notre pays vit, une multiplication des gens en grande pauvreté. La question du recours effectif à la justice se pose et se posera donc. Sur ce sujet aussi, nous pensons qu’il faudra aller plus loin.

Deuxièmement, pour ce qui est de la justice des mineurs, nous aurions aimé, vous le savez, qu’il y eût un projet de loi plutôt qu’une ordonnance. Il y a une ordonnance, mais vous vous êtes engagé à ce qu’il y ait un vrai débat. J’espère qu’il sera suffisamment long, en commission comme en séance publique, pour que l’on aborde, au fond, cette question essentielle entre toutes.

Monsieur le garde des sceaux, il ne vous a pas échappé qu’un certain nombre de magistrats, de professeurs de droit et d’éducateurs ont trouvé que la version de l’ordonnance ressemblait trop à la justice des majeurs. Il y a 850 mineurs incarcérés en France. Dans son rapport fait au nom de la commission des lois, Jean-René Lecerf montrait combien une prise en charge éducative des mineurs délinquants était bénéfique pour la suite.

Nous resterons pour notre part totalement fidèles à l’esprit de l’ordonnance de 1945 : le jeune doit d’abord être éduqué. Il faut s’en donner les moyens, parce que c’est un être en devenir et que l’on ne doit jamais désespérer, même si – c’est un fait que nous constatons – la délinquance des mineurs est devenue plus violente.

Troisièmement, je souhaite évoquer les prisons. Il se trouve que, du fait de cette crise sanitaire, un certain nombre de prévenus ont quitté les prisons. Je ne crois pas que la baisse du nombre de personnes en prison ait eu des effets négatifs.

Dans le droit fil des propos que vous avez tenus, nous estimons que la condition pénitentiaire est très importante et qu’il est préférable de disposer de mesures alternatives en plus grand nombre de manière à ce qu’il y ait moins de détenus et que l’on s’occupe davantage de leur travail, de leur santé, notamment psychiatrique, et de leur insertion à la sortie pour éviter les sorties sèches, qui sont tout à fait négatives. À cet égard, il nous paraît très important que l’on privilégie, non pas la construction de nouvelles prisons, mais la restauration des établissements existants, qui sont encore indignes.

Monsieur le garde des sceaux, le Conseil constitutionnel vous a enjoint de déposer un texte de loi d’ici au mois de mars. Nous savons que vous y travaillez en préparant un amendement au projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée. Si j’ai bien compris, votre stratégie consiste donc à inscrire ce qui pourrait être un projet de loi dans un autre projet de loi. Le Conseil constitutionnel pointerait peut-être que tel n’est pas l’objet de son injonction.

Quoi qu’il en soit, nous serons très vigilants à ce que les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel soient scrupuleusement respectées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion