Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 4 décembre 2020 à 21h00
Loi de finances pour 2021 — Justice

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les qualificatifs utilisés pour ce budget ne semblent pas manquer : on le dit « exceptionnel », « historique », doté de moyens jusqu’alors « inégalés ». Nous avons souvent entendu de telles congratulations, mais il est vrai que les crédits de la mission « Justice » pour l’année 2021 connaissent une hausse notable. Ce signal était attendu par des institutions trop longtemps mal considérées budgétairement, malgré les multiples interventions du Sénat.

Comme certains de mes collègues l’ont déjà souligné, l’effort budgétaire global est important, à l’image des crédits du programme « Justice judiciaire ». Nous nous réjouissons tout autant des efforts en matière d’aide juridictionnelle que d’aide aux victimes. Il faut également apprécier la poursuite des créations de postes dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse et les juridictions pour mineurs.

Cependant, la réalité est aussi que ces hausses sont d’abord des efforts de rattrapage, après des années de sous-budgétisation catastrophique pour un service public aussi sollicité et fondamental pour notre pacte social. Il y a urgence, par exemple, sur la question des mineurs non accompagnés.

Selon notre collègue Nathalie Delattre, on recense environ 3 000 MNA en Gironde, qui pâtissent de faibles mesures d’accompagnement et sont victimes de réseaux bien structurés. Or une explosion du nombre d’agressions et de manifestations de violences a depuis été observée localement, tandis que la question de la réponse pénale apportée pour assurer une certaine tranquillité publique se pose encore.

Nous constatons donc ces efforts de rattrapage avec une certaine amertume, car le Sénat en débat depuis longtemps. Nous les regardons aussi avec modestie et en regrettant que notre nation ait tellement tardé à se remettre au niveau des exigences européennes : je ne vous citerai pas le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, la CEPEJ, car vous le connaissez tous.

Dans le temps qui m’est imparti, je voudrais appeler votre attention sur une question spécifique, qui, loin d’être anecdotique, cristallise une forme d’insuffisance persistante des crédits alloués à la justice pour nos établissements pénitentiaires. Je parle des services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, ces services déconcentrés de l’administration pénitentiaire départementale qui assurent le contrôle et le suivi des personnes condamnées dans leur parcours d’exécution des peines.

La réinsertion des personnes condamnées et la prévention de la récidive n’ont rien de nouveau, mais cette question trouve un écho particulier dans le contexte actuel. En effet, la crise complexifie encore davantage les conditions de travail des personnels de l’administration pénitentiaire. De plus, une grande partie de la tâche des SPIP concerne désormais le suivi socio-judiciaire de délinquants sexuels, d’auteurs de violences conjugales ou de profils radicalisés. La commission d’enquête du Sénat sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre a démontré que le suivi post-carcéral était fondamental pour prévenir la récidive comme pour protéger la société de profils particulièrement dangereux.

Or le travail des SPIP est rendu plus difficile, non seulement en raison des contraintes liées à la pandémie, le virus imposant de limiter les contacts physiques, mais aussi à cause du désengorgement des prisons, décidé par votre prédécesseur, afin d’éviter une trop forte contamination en milieu carcéral. Le nombre des personnes à suivre a considérablement augmenté, de sorte que les services peinent à tenir le rythme imposé.

De telles circonstances auraient dû conduire à une augmentation significative des moyens et des effectifs. Or, sur ce point, le compte n’y est pas : les dépenses sont stables pour l’année 2021 à 42, 5 millions d’euros, alors qu’elles auraient manifestement dû augmenter. Cette stagnation nous préoccupe d’autant plus qu’elle paraît éloignée de certaines de nos préoccupations : je pense, en particulier, à la lutte contre le développement de la radicalisation islamiste, dont on sait qu’il trouve un environnement propice en milieu carcéral.

Le cas des SPIP est symptomatique d’une tendance : il ne suffit pas d’instituer de nouveaux mécanismes juridiques, il faut aussi donner les moyens aux juridictions et aux administrations d’agir efficacement.

Quant aux centres éducatifs fermés, ils occupent depuis deux ans une part essentielle de l’activité du programme « Protection judiciaire de la jeunesse », cher à notre ancienne collègue Josiane Costes. Comme l’a très justement souligné Maryse Carrère, rapporteure pour avis de la commission des lois, le financement de ces centres, bien qu’essentiel, ne doit pas obérer le développement des autres types d’accueil et du secteur ouvert.

Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, les promesses de chiffres, certes encourageants, appellent désormais une mise en œuvre rapide et efficace pour la société. Sous ces réserves, le groupe du RDSE votera ces crédits.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion