Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice consiste à organiser la vie en société : cette institution doit protéger les plus faibles et sanctionner ceux qui ne respectent pas le contrat social.
La fonction de la sanction me semble essentielle. Elle permet d’intimider, de freiner les intentions néfastes, d’écouter les victimes et de donner une peine en adéquation avec la faute commise. Or la part du budget prévue pour organiser cette sanction pose problème.
Souvent décriée, la prison reste la solution préconisée dans de nombreux cas. Même si les magistrats souhaitent trouver d’autres alternatives, elle reste pour l’instant incontournable, faute de mieux.
J’aimerais m’attarder sur les multiples difficultés rencontrées par notre institution pénitentiaire et les agents qui la composent, aggravées encore depuis la crise sanitaire.
La surpopulation carcérale atteint des sommets. Si le principe de l’encellulement individuel avait été proclamé dès 1875, puis réaffirmé en 2009, il n’a dans les faits jamais été appliqué.
Le taux d’occupation des établissements pénitentiaires s’élevait à 116 %, au 1er janvier 2020, d’après la section française de l’Observatoire international des prisons. Cela signifie que la France compte plus de 70 000 prisonniers pour 61 000 places. Or cette surpopulation se concentre principalement dans les maisons d’arrêt destinées à accueillir les individus condamnés à de courtes peines de prison ou se trouvant encore en attente de leur jugement.
Dans ces établissements, qui représentent environ les deux tiers de la population carcérale, le taux d’occupation moyen grimpe jusqu’à 138 %. Deux à trois individus sont donc contraints de partager la même cellule et dorment, très souvent, sur des matelas installés par terre.
De telles conditions de détention rendent la surveillance des détenus plus ardue, voire inapplicable dans certains cas. Elles favorisent l’émergence de mutineries, permettent la prolifération de certaines maladies contagieuses et facilitent la constitution de réseaux criminels au sein même des établissements pénitentiaires.
Nous avions reçu les syndicats représentant les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire, à l’occasion des travaux de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure. Tous nous ont fait part de leur détresse face à leur incapacité à mener les missions qu’ils jugeaient nécessaires pour rétablir l’ordre dans les prisons et en assurer une gestion saine, tant pour eux que pour les individus incarcérés.
Face à ce constat, le Gouvernement a annoncé la construction de 15 000 nouvelles places de prison pour lutter contre le fléau de la surpopulation carcérale et répondre à la vétusté des bâtiments. Ne nous voilons pas la face : une telle mesure ne sera efficace, sous réserve que les places promises soient bel et bien construites, que dans quinze ans, soit le temps que les infrastructures sortent de terre. Or le besoin de lutter contre la surpopulation dans les prisons est immédiat. Plus nous retarderons l’échéance, plus la situation sera dégradée, alors qu’elle est déjà au bord de l’implosion.
Le Gouvernement, qui semble avoir pris la mesure de l’urgence, a décidé de privilégier les peines alternatives à l’enfermement. Dont acte ! Il faut désormais que l’exécutif se donne les moyens de ses ambitions.
Adjointe à la sécurité de Tourcoing, avant mon élection au Sénat, j’avais mis en place des chantiers de travaux d’intérêt général, en relation avec les juges de l’application des peines du tribunal judiciaire de Lille. J’étais particulièrement satisfaite de proposer la remise en peinture de préaux d’écoles ou de salles de sport à des jeunes qui n’avaient jamais eu l’occasion jusqu’alors de montrer leur savoir-faire, même limité.
Ces chantiers coûtent cher aux municipalités, car il faut prévoir du personnel d’encadrement. Il faut aussi convaincre les partenaires, très frileux à l’idée de recevoir des délinquants dans leurs structures. Monsieur le garde des sceaux, que prévoyez-vous pour développer ces prises en charge très difficiles à dénombrer ?
Parmi les peines alternatives à l’enfermement, l’usage des bracelets électroniques peut-être envisagé pour surveiller les personnes condamnées hors des murs d’enceinte. Au-delà des stocks, a-t-on la certitude que les détenus libérés et placés sous le régime des bracelets électroniques seront bel et bien suivis par les services qui en ont la charge ? Ces services en ont-ils les moyens humains et matériels ? Encore une fois, rien n’est moins sûr…
Nos concitoyens sont inquiets en voyant le profil de certains détenus qui sortent de prison. Les services de renseignement ne seront-ils pas débordés compte tenu du nombre de ceux qui nécessiteront une surveillance accrue lorsqu’ils auront été relâchés dans la nature, notamment les détenus radicalisés ?
En ce qui concerne la sécurité, une autre question me paraît essentielle : a-t-on les moyens d’assurer aux victimes de violences conjugales, par exemple, que les obligations de soins seront bel et bien suivies par ceux qu’elles concernent ? Qu’en est-il d’ailleurs des détenus dont on sait pertinemment que leur place se trouve davantage en hôpital psychiatrique qu’en prison ?
Notre administration pénitentiaire est en fin de chaîne pénale, mais elle est essentielle pour assurer une réelle sanction et pour organiser la réinsertion des condamnés. Nous en attendons tous beaucoup.
Monsieur le garde des sceaux, nous savons que vous êtes particulièrement sensible à toutes ces questions. Nous voterons en faveur des crédits de la mission, car nous voulons que la situation change, et nous serons à vos côtés pour cela.