Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du 4 décembre 2020 à 21h00
Loi de finances pour 2021 — Justice

Éric Dupond-Moretti :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter le budget de mon ministère pour l’année 2021. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour la qualité des travaux et les échanges constructifs que nous avons eus lors de mon audition devant la commission des lois, le 17 novembre dernier.

Comme vous l’avez noté, ce budget permet à la fois le rattrapage de la loi de programmation pour la justice et le financement des priorités que j’ai affirmées au moment de ma prise de fonction, au premier rang desquelles la justice de proximité. C’est la première fois, en plus d’un quart de siècle, que le budget de la justice augmente autant, à hauteur de 8 % hors compte d’affectation spéciale. Cette hausse inédite depuis vingt-cinq ans me permet de qualifier ce budget d’« historique », même si je sais que certains le contestent.

Avec 607 millions d’euros supplémentaires, c’est-à-dire plus du double de l’augmentation votée en 2019 pour l’année en cours, ce budget est exceptionnel par son ampleur, puisqu’il atteint 8, 2 milliards d’euros de crédits. Il est également exceptionnel par le renforcement inégalé des moyens humains de l’ensemble des métiers de justice. En effet, 2 450 emplois nets font ou feront l’objet d’un recrutement en quinze mois.

Comme l’a indiqué M. le rapporteur spécial Lefèvre, 1 500 recrutements nets seront opérés au cours de l’année 2021, soit 240 de plus que ce qui était prévu en loi de programmation pour la justice, pour 2021. Il faut ajouter à cela les 950 emplois supplémentaires que j’ai obtenus en 2020 et qui ont pour la plupart déjà fait l’objet d’un recrutement. Ils viennent renforcer sans attendre les tribunaux, les établissements pénitentiaires et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire devant la commission des lois, il ne s’agit pas de privilégier le contrat par rapport au statut, mais d’opter pour une réponse rapide – les « sucres rapides » – compte tenu de l’urgence qu’il y a à apporter un soutien immédiat au service public de la justice. Ces recrutements par contrat sont plus souples et plus rapides à mettre en place. Ainsi, pour renforcer les greffes, ils ne prévoient pas l’obligation du temps de formation de dix-huit mois à l’École nationale des greffes. Ils sont donc particulièrement bienvenus, car ils permettent de renforcer dès à présent les juridictions.

À vous lire et à vous écouter, je sens pourtant poindre encore parfois quelques doutes sur ce renfort en moyens humains.

Madame le rapporteur pour avis Canayer, madame la sénatrice Benbassa, je vous le confirme, tous les métiers de la justice bénéficieront de ce plan de recrutement.

Dans le détail, ce sont 1 100 emplois nets pour les tribunaux : 50 magistrats, 130 directeurs de greffe, 596 greffiers et renforts de greffe, qui viendront soulager sans attendre les juridictions en pourvoyant une partie des 700 vacances de postes de greffiers. Ce sont aussi 1 200 renforts pour l’administration pénitentiaire, dont 719 créations d’emplois de surveillants qui permettront de poursuivre la réduction du niveau de vacance des postes de surveillants, 335 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, 126 personnels supplémentaires pour la protection judiciaire de la jeunesse, dont 107 éducateurs.

Ce plan de recrutement est au cœur de la justice de proximité que j’appelle de mes vœux, une justice proche, humaine, qui a le souci des plus faibles ; une justice qui garantit le respect du droit dans la vie quotidienne, car elle sera plus rapide et de qualité ; une justice accessible pour tous les justiciables ; une justice de proximité non seulement pénale, mais également civile. Tels sont les objectifs profonds de la justice de proximité. Pour la mettre en œuvre, le projet de budget nous permet de disposer de moyens inédits, soit 200 millions d’euros, auxquels s’ajoute le fléchage de 1 100 emplois sur les 2 450 que je viens de vous présenter.

Très concrètement, nous consacrerons 13 millions d’euros pour favoriser le recours à des magistrats honoraires et des magistrats à titre temporaire ; 28 millions d’euros pour la mobilisation accrue des délégués du procureur ; 20 millions d’euros pour la création de nouvelles unités médico-légales d’assistance de proximité aux victimes ; 79 millions d’euros d’augmentation des autres frais de justice pour renforcer les moyens d’investigation et donc l’efficacité de la justice. Nous attribuerons aussi 20 millions d’euros au milieu associatif de la protection judiciaire de la jeunesse, pour renforcer la prise en charge rapide des délits du quotidien. Enfin, madame la sénatrice Boyer, nous prévoyons 10 millions d’euros pour le développement des bracelets électroniques et anti-rapprochement, le développement des travaux d’intérêt général et du travail non rémunéré, et pour le fonctionnement courant.

Ces crédits et renforts supplémentaires sont particulièrement bienvenus dans le contexte actuel. Ce sont des moyens en plus pour le renseignement pénitentiaire, pour la réalisation de places dédiées aux détenus radicalisés, pour le recrutement et la formation d’agents spécialisés.

Ce budget permet donc de répondre aux inquiétudes ou aux alertes exprimées par M. le rapporteur pour avis Marc, ou encore M. le sénateur Sueur. En effet, la lutte contre la radicalisation est également au cœur de mon action.

Au sein de l’administration pénitentiaire, plus de 43 millions d’euros seront mobilisés à cette fin. En 2021, 495 places seront dédiées aux détenus radicalisés dans les quartiers d’évaluation de la radicalisation, les quartiers de prise en charge de la radicalisation ou encore dans les quartiers d’isolement.

Par ailleurs, 63 millions d’euros, soit une hausse des moyens de 10 %, seront consacrés à l’amélioration de la sécurité pénitentiaire pour accompagner le renforcement de la vidéosurveillance, lutter contre les drones malveillants ou encore déployer des systèmes de brouillage des communications.

La surpopulation carcérale est une préoccupation majeure. Elle pose des défis en termes de dignité pour les détenus, de capacité à la réinsertion et de sécurité au sein des établissements pénitentiaires. L’enjeu reste important, car le nombre de détenus poursuit sa progression depuis la fin du confinement : il s’établissait, au 26 novembre dernier, à 62 897 détenus.

Pour faire face à cette situation, mon action au sein du Gouvernement est double : développer les aménagements de peine via les travaux d’intérêt général ou le développement de la surveillance électronique, d’une part, et poursuivre le programme de construction de 15 000 places de prison, d’autre part. Nous y consacrerons 556 millions d’euros en 2021, soit une hausse de 42 % des crédits.

Mes services travaillent avec obstination pour trouver le foncier nécessaire au lancement des 8 000 futures places d’ici la fin du quinquennat, mais, pour ce programme, j’ai besoin du soutien de tous les élus, et de vous particulièrement, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, pour convaincre les élus qui ont parfois quelques réticences à vouloir construire des établissements pénitentiaires sur leur territoire.

Madame la rapporteure pour avis Vérien, monsieur le sénateur Bonnecarrère, vous avez appelé mon attention sur la rénovation numérique : c’est un enjeu de modernisation tout à fait essentiel, qui est pris en compte dans le cadre du plan de transformation numérique. Sa mise en œuvre se poursuit et s’accélérera dans le cadre du plan de relance.

Pour réussir cette transformation, il faut tout d’abord des crédits. Au programme 310, « Conduite et pilotage de la politique de la justice », nous proposons 235 millions d’euros de crédits en fonctionnement et en investissement, soit 30 millions d’euros de plus et une hausse de 13 % en un an. Ensuite, il faut des hommes. Sur ce même programme, nous proposons la création de cinquante emplois supplémentaires. Enfin, il faut une bonne organisation et un bon management pour travailler en mode projet. Les services du ministère s’y emploient.

À titre d’illustration, je peux vous citer trois grandes réalisations en 2021 : le système d’information de l’aide juridictionnelle (SIAJ), le portail des agents et des détenus pour lequel une expérimentation est prévue à partir de mars 2021 en vue d’une généralisation dès la fin de l’année et, enfin, le portail des juridictions, qui remplacera progressivement les huit systèmes d’information du domaine civil utilisés dans les tribunaux judiciaires pour une procédure civile enfin dématérialisée.

Le projet de budget prévoit également la réforme de l’aide juridictionnelle. J’ai écouté les interventions et pris connaissance des amendements de M. le rapporteur spécial Lefèvre, de Mmes les rapporteures pour avis Canayer et Carrère, ainsi que ceux des sénateurs Benbassa et Mohamed Soilihi. Cet intérêt fait clairement écho à l’attente forte des justiciables, des avocats et de l’ensemble des métiers du droit en la matière.

C’est la raison pour laquelle, le Gouvernement a mis en œuvre sans attendre le fruit du travail de deux rapports, celui des députés Moutchou et Gosselin, puis celui de Dominique Perben, après concertation dans le cadre du Conseil national de l’aide juridique. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner devant la commission des lois du Sénat, c’est bien pour laisser du temps à la concertation en septembre et en octobre que nous avons été contraints d’introduire cette réforme par amendement au projet de loi de finances.

Au total, ce sont donc 50 millions d’euros qui sont d’ores et déjà mis sur la table dès le 1er janvier 2021 avec deux objectifs complémentaires : d’un côté, la hausse substantielle de la rémunération de l’heure travaillée par chaque avocat au titre de l’aide juridictionnelle et ce, je le redis, dès le 1er janvier 2021, soit une hausse de 2 euros de l’unité de valeur ; de l’autre, une révision du barème, notamment pour mieux rémunérer les médiations ou l’assistance éducative.

Il faut également pouvoir utiliser cet effort budgétaire comme moyen de levier pour développer les modes alternatifs de règlement des différends.

Il s’agit bien d’une première marche de 50 millions d’euros. C’est un réel gage de crédibilité donné à la profession pour enclencher le nécessaire travail de fond sur l’avenir du métier d’avocat.

Avec 50 millions d’euros supplémentaires, soit une augmentation de 7 % en crédits de paiement, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) n’est pas oubliée, notamment dans la perspective de l’entrée en vigueur le 31 mars prochain du code de justice pénale des mineurs, sur lequel l’Assemblée nationale a justement commencé à débattre ces jours derniers.

Nous mettons les moyens pour permettre la mise en œuvre de cette réforme : 72 magistrats, 100 greffiers spécialement dédiés sont mobilisés avec, en outre, la création de 252 emplois nouveaux à la protection judiciaire de la jeunesse entre 2018 et 2022.

Plus globalement, les crédits supplémentaires alloués à la PJJ permettront de développer les alternatives aux poursuites dans le secteur associatif habilité et apporter une réponse plus rapide et plus efficace à tous les actes de délinquance.

Ils permettront également, madame la rapporteure pour avis Carrère, de poursuivre la politique de construction de vingt centres éducatifs fermés.

Enfin, pour les personnels du ministère, j’ai décidé de mettre en œuvre une politique de ressources humaines ambitieuse.

Nous devons améliorer le fonctionnement de notre justice, en général. C’est le sens de ce projet de budget, qui s’en donne les moyens pour la première fois en plus d’un quart de siècle. Tous les maillons de la chaîne judiciaire seront renforcés avec le même objectif : mieux accueillir le justiciable, juger plus vite et mieux faire exécuter les décisions de justice, en particulier les peines. C’est ce que les Français attendent de leur justice.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion