Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord rappeler la vocation particulière de la mission « Outre-mer » : favoriser le rattrapage, par les territoires ultramarins, de leur retard économique et social par rapport à l’Hexagone. Cet objectif se manifeste notamment par le fait que plus de 90 % des crédits demandés pour 2020 étaient des dépenses d’intervention.
Le rattrapage de cet écart persistant constitue le défi majeur de la mission. La situation économique des outre-mer paraît en effet bien plus défavorable qu’en métropole : le PIB par habitant est, dans l’Hexagone, près d’une fois et demie plus élevé que celui de la Guyane et près de trois fois supérieur à celui de Mayotte.
Les outre-mer ont été fortement touchés par la covid-19, et les effets de la pandémie sur l’économie de ces territoires sont palpables ; ainsi, l’effet du confinement s’élève à plus de 25 % du PIB à La Réunion et en Guyane. Toutefois, la comparaison avec les données de la France entière montre également une meilleure résistance des économies ultramarines, en raison principalement du poids plus important, dans ces territoires, du secteur non marchand.
La crise économique constitue néanmoins un facteur supplémentaire de ralentissement de la convergence des économies ultramarines avec l’Hexagone, l’un des principaux objectifs, je le rappelle, de la mission « Outre-mer ».
Dans ce contexte, l’augmentation des crédits de celle-ci par rapport à 2020 – de 6, 39 % en autorisations d’engagement et de 2, 64 % en crédits de paiement – constitue indéniablement une bonne nouvelle pour ces territoires.
Le principal point de vigilance sur lequel je souhaite attirer votre attention est la sous-exécution importante dont cette mission fait l’objet. Il s’agit d’une question centrale et récurrente, souvent mise en avant par les gouvernements successifs pour expliquer la situation des outre-mer ; ces derniers seraient presque responsables de leur situation parce que les crédits existent mais ne seraient pas consommés faute d’ingénierie locale. C’est d’ailleurs de la difficulté à consommer les autorisations d’engagement au cours des dernières années que le Gouvernement argue pour proposer une baisse de 5 % des crédits de paiement du programme 123, « Conditions de vie outre-mer ».
La sous-consommation s’explique également par la situation financière de nombreuses collectivités locales, qui ne disposent pas de l’épargne nécessaire et qui souffrent d’un déficit du compte de fonctionnement. Il est crucial de les remettre à flot financièrement, afin qu’elles puissent s’inscrire dans le plan de relance.
Concernant le logement, la question du manque d’ingénierie ne devrait pas se poser, dans la mesure où les opérateurs immobiliers ont de très bons services en la matière. En outre, la disponibilité du foncier fait souvent défaut en outre-mer ; ainsi, avant de prévoir des crédits destinés à la construction, il conviendrait d’en prévoir pour l’aménagement du foncier. Dans certains territoires, en effet, le foncier est rare et cher. Dans d’autres, comme en Guyane, le foncier existe, mais il doit être aménagé et il serait judicieux d’avoir des crédits pour cela, à l’image du fonds régional d’aménagement foncier et urbain. Action Logement m’a également fait part d’une sous-consommation des crédits, pourtant disponibles.
Cette sous-consommation des crédits budgétaires est d’autant plus préoccupante que, en 2019, le Gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d’euros de dépenses fiscales en outre-mer : suppression de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) et recentrage de la réduction d’impôt sur le revenu dans les territoires d’outre-mer. Il s’était toutefois engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés pour abonder le fonds exceptionnel d’investissement (FEI) et financer les dépenses visant à favoriser le développement économique des territoires. J’avais appelé l’attention du Sénat, à l’époque, sur le fait que les dépenses budgétaires, contrairement aux dépenses fiscales, n’offrent aucune garantie dans la durée et peuvent faire l’objet de sous-consommation.
Je constate aujourd’hui que ces promesses sont tenues en apparence ; les crédits du FEI, par exemple, augmentent largement. Toutefois, ce fonds fait l’objet d’une forte sous-consommation – près de 30 % en 2019 –, qui constitue une perte nette pour les territoires ultramarins.
Le programme 138, « Emploi outre-mer », rassemble les crédits visant à compenser, auprès des organismes de sécurité sociale, les exonérations spécifiques de cotisations patronales. En 2019, le dispositif d’allégements et d’exonérations de charges patronales de sécurité sociale spécifiques aux outre-mer a été modifié, afin de répondre entièrement aux dispositions de l’article 86 de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018, qui actait la suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) au 1er janvier 2019.
Cette réforme avait entraîné, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges. Ces derniers connaissent, en 2021, une hausse de 6, 4 % par rapport à ceux qui étaient prévus en 2020.
Nous tenons à rester vigilants quant à la fiabilité de ces prévisions, parce que la baisse de l’activité qui résulte de l’épidémie et le recours important au chômage partiel sont susceptibles d’entraîner une sous-exécution importante. En pareil cas, il nous paraît important que les crédits restants soient affectés à d’autres dépenses de la mission.
Sur le fond, je tiens à le dire, les nouveaux paramètres du régime issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n’ont pas pleinement compensé les effets de la suppression du CICE à 9 %. Cela a entraîné une augmentation du coût du travail en Guyane, alors même que ce territoire subit une forte concurrence extérieure et reste particulièrement vulnérable par rapport à l’économie informelle.
Les conséquences économiques de l’épidémie devraient être de nature à susciter une réflexion sur un éventuel élargissement du barème de compétitivité renforcée à de nouveaux secteurs, afin d’apporter un soutien suffisant aux territoires ultramarins.
Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2021 ne comprend aucune évolution en matière fiscale concernant les outre-mer, alors que ce levier aurait été pertinent pour mobiliser l’épargne face à la crise.
Pour ce qui concerne l’accompagnement des collectivités territoriales, je tiens à souligner l’adoption, à l’Assemblée nationale, d’un amendement tendant à augmenter les crédits de la mission de 30 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 10 millions d’euros en crédits de paiement, afin de financer l’expérimentation d’un contrat d’accompagnement pour les communes en difficulté des départements et régions d’outre-mer qui manifesteraient des efforts de redressement. J’avais proposé, au travers d’un rapport remis au Gouvernement et rédigé par Jean-René Cazeneuve et moi-même, un tel contrat, qui est susceptible de fournir un accompagnement financier de l’État aux collectivités les plus en difficulté, dans une logique de coresponsabilité ; son expérimentation me semble donc particulièrement bienvenue.
Comme chaque année, je rappelle que la mission ne concerne qu’une part faible de l’effort de l’État en faveur des outre-mer. C’est particulièrement vrai aujourd’hui, puisque les territoires ultramarins devraient bénéficier d’au moins 1, 5 milliard d’euros dans la cadre du plan de relance national.
Une vigilance particulière s’imposera néanmoins quant à la déclinaison territoriale de ce plan et à la bonne exécution des crédits. En outre, dans la mesure où une partie importante des dépenses dépend d’appels à projets, aucune garantie ne peut être apportée à ce stade quant au montant dont les outre-mer bénéficieront réellement. Nous interrogerons le ministre, en séance publique, afin d’avoir une meilleure vision du montant effectivement mis au service de chaque territoire.
Malgré ces réserves, mes chers collègues, la prudence restant de mise, je vous inviterai à adopter les crédits de la mission « Outre-mer ».