Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les chiffres sont têtus ! Malgré la crise, l’effort de l’État en faveur des outre-mer est réel. Il est en hausse non seulement sur cette mission, mais aussi, de manière transversale, sur l’ensemble des missions du projet de loi de finances (PLF) pour 2021.
La mission « Outre-mer » regroupe environ 12 % des crédits de l’État en faveur des outre-mer, sur un total de plus de 19, 2 milliards d’euros, hors dépenses fiscales. Cela représente 4 % du budget de l’État, pour environ 4 % de la population française, comme le souligne Micheline Jacques dans son excellent rapport pour avis publié au nom de la commission des affaires économiques.
Alors, non, mes chers collègues, avec 2, 68 milliards d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et 2, 4 milliards d’euros de crédits de paiement (CP), les outre-mer ne sont ni des enfants trop gâtés ni des oubliés de la République !
En cette période extraordinaire, au sens premier du terme, plutôt que de joutes verbales décapantes, il nous faut relever le défi de l’efficacité et de l’efficience des moyens déployés par l’État et par chacune de nos collectivités, pour apaiser l’urgence sanitaire et conjurer le mauvais sort économique, que la division de nos énergies risque d’aggraver.
Comme dans l’Hexagone, la covid-19 a fragilisé nos maisons construites sur nos terres insulaires lointaines, isolées mais pas esseulées. Ce budget en est la preuve.
Comme dans l’Hexagone, nos collectivités ont dû improviser, se débrouiller et trouver des solutions pour gérer les urgences.
Comme dans l’Hexagone nos populations vivent dans l’espoir d’une année 2021 à l’aune d’un ou plusieurs vaccins salvateurs, mais aussi et surtout d’un rebond économique impératif, urgent et crucial. Nous avons été beaucoup plus exposés qu’ailleurs à l’arrêt brutal du tourisme et des transports, qui a produit des effets directs et indirects dévastateurs sur des marchés étroits et concentrés. Le seul secteur du tourisme a chuté jusqu’à 90 % dans certaines collectivités ultramarines.
L’urgence est à la reconsolidation de nos économies, à la formation des hommes pour les préparer à cette reprise indispensable et à la stabilité des dotations publiques alimentant nos moteurs économiques éparpillés sur tous les océans du monde.
En matière d’emploi et de formation, nous ne pouvons pas ignorer les efforts budgétaires du programme 138, « Emploi outre-mer ». Comme l’a souligné Georges Patient, il constituera, dès la reprise de l’activité, un relais essentiel aux mesures d’indemnisation du chômage partiel en cours. Ce programme rassemble, en plus des crédits destinés aux exonérations de charges sociales, les crédits du service militaire adapté (SMA), qui constitue une formidable opportunité, une deuxième chance offerte par la République à nos jeunes en difficulté d’insertion. Ses crédits sont en augmentation de 4 % en AE et il fait l’objet d’un ambitieux plan dit « SMA 2025 », qui prend pleinement sens en ces temps de redressement face à la crise.
En 2020, la création, à Bourail, d’une nouvelle compagnie du régiment du SMA de Nouvelle-Calédonie marque la volonté d’aller encore de l’avant sur ce dispositif essentiel pour nos jeunes en quête d’une nouvelle voie.
Par ailleurs, comme le prévoit le programme 123, l’amélioration des conditions de vie dans les outre-mer n’est pas une formule vaine au soir d’une crise comme celle que nous vivons. Les AE, à hauteur de 829 millions d’euros, et les CP, à hauteur de 593 millions d’euros, connaissent respectivement une hausse de 7 % et une baisse de 5 %, que nous devons relever de manière factuelle, mais aussi comprendre.
L’enjeu, aujourd’hui – je le dis avec tout le respect que je porte au pouvoir d’amendement que nous serons nombreux à exercer tout à l’heure –, est de savoir, non pas combien de crédits nous pourrons décrocher en plus, mais comment nous pourrons mobiliser au maximum ceux qui seront consacrés à nos territoires. En effet, tous les observateurs l’attestent : la mission « Outre-mer » doit quitter le podium de la sous-exécution ou sous-consommation – cela est fonction des hémisphères d’analyse.
Je sais que d’autres voix s’exprimeront différemment, mais l’ajustement du niveau des CP relève, selon moi, de la mécanique financière logique et implacable : il est fonction des décaissements escomptés sur l’année concernée, pour faire simple, comme pour toutes les lignes s’exécutant de manière pluriannuelle.
Nous avons pour défi un regain d’engagements, de nouvelles contractualisations, de nouvelles concrétisations réelles, effectives et à un rythme plus élevé de portée contracyclique.
Que faire ? Si l’accusé se nomme ingénierie, redoublons d’appui aux collectivités territoriales, notamment en matière de gestion de projets. Des efforts ont été faits sur ce plan. Néanmoins, ne détournons pas le regard. La simplification des procédures et des normes, l’accessibilité des informations ainsi que la territorialisation des budgets forment autant de gages de souplesse ou d’agilité, pour employer une formule du moment, comme le relève la Cour des comptes. C’est cette agilité qui nous apportera l’efficience budgétaire et ce doit être notre priorité.
En ce qui concerne l’investissement, l’État est au rendez-vous : sa politique contractuelle en outre-mer, dont les crédits sont supportés par l’action n° 02, Aménagement du territoire, du programme 123, connaît ainsi une augmentation de 3 % en AE. Le FEI maintient son fort niveau de dotation à 110 millions d’euros, pour accompagner l’équipement de nos territoires.
En 2021, l’effort sera maintenu en AE pour les contrats de convergence et de transformation, le futur contrat de développement et de transformation en Polynésie française en cours de finalisation et le contrat de développement en Nouvelle-Calédonie. Il en est de même pour la convention triennale santé-solidarité polynésienne qui nous est confirmée pour le printemps par le Premier ministre. Nous lui faisons confiance !
Il est vrai que les contrats passés ont fait l’objet, depuis leur mise en œuvre, d’un problème récurrent d’impayés, des niveaux d’AE étant constatés en deçà des montants contractualisés dès leur démarrage. Des retards de paiement ont aussi été relevés. La parole de l’État doit pourtant reposer sur un socle de confiance inébranlable. Nous relevons que le montant cumulé des charges à payer relatives à ces contrats s’élevait, en fin de gestion 2019, à 3, 6 millions d’euros, ce qui constitue le plus bas niveau historique et traduit la volonté de ce gouvernement d’honorer les engagements de l’État, quel que soit celui qui les a pris par le passé.
Programmons ce que nous pouvons payer et engageons ce que nous pouvons réaliser : voici le maître-mot de nos prochains contrats, selon les principes de différenciation mais aussi de responsabilité commune dans un respect mutuel.
L’aide à la reconversion de l’économie polynésienne est consolidée une année de plus. Sont maintenus, en effet, la transformation de la dotation globale d’autonomie en prélèvement sur recettes (PSR), la dotation territoriale d’investissement des communes ou encore le troisième instrument financier sur les projets d’investissement prioritaires. Globalement et malgré la crise, l’ensemble des dotations d’investissement ultramarines est maintenu, voire augmenté. Comme le répète souvent le président Édouard Fritch, il faut savoir dire merci et arrêter de se plaindre.
Les crédits de la ligne budgétaire unique finançant le logement outre-mer s’élèvent à 224, 6 millions d’euros en AE et 176, 9 millions d’euros en CP : ils sont donc en hausse.
Il est vrai qu’ils sont à un niveau très inférieur à celui qui a été constaté jusqu’en 2017 et qu’ils sont frappés d’une sous-exécution chronique, comme cela a été souligné.
Les crédits prévus et dépensés en 2021 devraient donc se trouver largement inférieurs aux besoins, alors que le rythme souhaité de construction de logements sociaux est estimé à plus de 15 000 par an depuis le vote, en 2017, de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer. Voilà un fait tout aussi têtu qu’incontestable.
Le sénateur que je suis ne saurait affirmer d’autre axe que celui de la différenciation en associant les énergies locales, pour une meilleure appropriation des outils et consommation de nos crédits.
Ce sera le cœur des débats de la loi « 4D » – décentralisation, différenciation, déconcentration, décomplexification –, que nous prépare le ministre des outre-mer, le tout autant sénateur M. Sébastien Lecornu. Je tiens à le remercier pour son engagement et son dévouement à nos océans de France.
Chers collègues, avec quelques points d’attention, mais aussi avec responsabilité, je constate que nos budgets de la mission « Outre-mer » sont en augmentation, malgré certaines sous-exécutions chroniques. Notre défi, au-delà de la course aux crédits, est de remporter la bataille de l’efficacité pour gagner au champ de la responsabilité. C’est dans un partenariat franc et constructif avec l’État, qui est à nos côtés en ces temps de crise comme lors de la relance prochaine, que nous réussirons tous.
Je me joins donc à l’avis de mon collègue Georges Patient en invitant le Sénat à adopter ces crédits et l’État à les exécuter avec nos collectivités.