Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je m’exprime au nom de mon groupe, Les Républicains, mais permettez-moi en préambule, en tant que président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de remercier très chaleureusement les rapporteurs pour avis et les intervenants du travail exceptionnellement utile qu’ils ont réalisé sur ce budget de la défense.
Madame la ministre, en cette période de crise, la Nation demande toujours plus à ses soldats et ils sont au rendez-vous : le renforcement de l’opération Sentinelle après les attentats, les opérations Résilience pour la crise sanitaire, l’opération Amitié pour le Liban se sont mises en place, alors que nos opérations se poursuivaient dans la bande sahélo-saharienne et au Levant, à un rythme particulièrement élevé. En cet instant, avec vous tous, j’ai une pensée pour les 35 000 hommes et femmes de nos forces armées, déployés sur le territoire national comme à l’extérieur.
Cette année, je le rappelle, dix militaires français ont payé de leur vie leur engagement, et je tiens ici, en notre nom à tous, à leur rendre encore un ultime hommage. Ce sont ces soldats, ces marins, ces aviateurs, dont l’abnégation et le courage forcent l’admiration. Ils sont l’excellence de nos armées. Ce sont eux qui, si souvent, sont en première ligne, face à la dégradation du contexte stratégique.
Malheureusement en effet, les tendances identifiées par la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017 ne cessent de se confirmer et même s’aggravent.
Le terrorisme djihadiste, tout d’abord, se maintient et se recompose, malgré les défaites de Daech, imposées en bonne partie par nos armes, sur le champ de bataille. Il continue de répandre son idéologie mortifère sur tous les continents, singulièrement en Europe. Notre pays a encore été cette année durement éprouvé.
On note ensuite retour des États puissances : l’actualité ne cesse de nous en donner des exemples et, à nos portes, la Méditerranée en est le théâtre. La Turquie n’hésite plus à user de la force militaire, la Russie se place en position centrale, tandis que l’Europe paraît plus qu’hésitante, préférant bien souvent les condamnations verbales, qu’il faut âprement négocier, aux démonstrations de puissance qui ne correspondent ni à sa culture ni à l’ambition d’un certain nombre de ses membres.
L’escalade récente de la violence dans le Haut-Karabagh nous montre dans quelles impasses nous conduit cette impuissance. L’élection d’un nouveau président des États-Unis changera-t-elle la donne ? Rien n’est moins sûr, car, nous le savons, les États-Unis réorienteront durablement leur effort militaire vers l’Indopacifique. Tous nos partenaires européens feraient bien de le comprendre et de continuer d’avancer dans le sens du renforcement de l’autonomie stratégique européenne.
Dans ce contexte, avec 39, 2 milliards d’euros, la mission « Défense » de ce projet de loi de finances, le troisième depuis l’adoption de la loi de programmation militaire, est conforme à la trajectoire prévue. Peut-on néanmoins faire comme si rien ne s’était passé au cours de l’année 2020 ? Peut-on ainsi considérer que la LPM de 2018 constitue en elle-même un plan de relance suffisant pour répondre à la grave crise, non seulement sanitaire, mais aussi économique et géopolitique, que nous traversons actuellement ?
Oui, l’effort sur la condition du personnel se poursuit, avec l’amélioration très nette des conditions d’hébergement et la poursuite du plan Famille. Nous vous en devons personnellement la reconnaissance, madame la ministre, car c’est votre marque dans cette loi de programmation militaire, je tenais à le dire ici.
Oui, les nouveaux matériels arrivent : cette année a été notamment marquée par la livraison du nouveau sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Suffren après le succès de ses essais à la mer. Le premier tir de missile de croisière naval depuis ce SNA inaugure pour notre pays une nouvelle capacité stratégique, qui sera décisive pour nos armées. L’entretien programmé du matériel a bénéficié d’un effort important. Autant dire que c’était vraiment nécessaire, vu la détérioration de la disponibilité des équipements au cours de la précédente période de programmation.
Il restera à franchir les marches financières importantes à compter de 2022, cela a été souligné à plusieurs reprises, car la partie la plus importante de l’effort a été repoussée sur les dernières années de programmation. Pourrons-nous les franchir ? C’est l’espérance que nous formulons ici.
Par ailleurs, comme chaque année à la même période, la fin de gestion vient un peu tempérer notre satisfaction. Le surcoût des opérations extérieures et des missions intérieures en 2020 s’est révélé une fois de plus supérieur aux montants provisionnés. Le solde s’élève à 236 millions d’euros : il est financé par des redéploiements ou des annulations de crédits, dont 124 millions d’euros prélevés sur le programme « Équipement des forces » par la loi de finances rectificative. Ce n’est pas toujours le bon signe qui nous est envoyé.
Dans ce budget, une fois de plus, il semble que l’on ignore l’article 4 de la LPM, qui prévoit une solidarité interministérielle pour le financement de ce surcoût ; nous le déplorons. Des incertitudes subsistent par ailleurs concernant le dégel de 504 millions d’euros de réserve de précaution, ce qui est là aussi assez classique en cette période de l’année.
Venons-en aux autres sujets. Le ministère des armées, nous vous l’avons dit en commission, devra bénéficier du produit de la cession des 12 avions Rafale prélevés dans le budget de l’armée de l’air et de l’espace au profit de la Grèce. L’intérêt de cette vente n’échappe à personne, puisque c’est le premier pays européen membre de l’Union européenne et de l’OTAN qui s’approvisionne en Rafale en France. Cependant, des crédits supplémentaires seront nécessaires pour l’achat d’appareils neufs, que nous souhaitons voir se concrétiser le plus vite possible. Le respect des objectifs de la LPM dans le domaine de l’aviation de chasse en dépend fortement.
Vous avez pu entendre à travers les interventions de nos rapporteurs une inquiétude, parce que la crise économique est une bombe à retardement pour notre industrie de défense. Les carnets de commandes passés ont masqué la crise en 2020, mais les prochaines années risquent d’être dévastatrices. Les entreprises duales ont été immédiatement touchées par la violence du choc subi par le secteur aéronautique. Dans ce contexte, nous regrettons que la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne bénéficie pas suffisamment du plan de relance. Le maintien des crédits de la LPM peut malgré tout rassurer, même si ce n’est pas toujours le sentiment de nos industriels.
L’aéronautique a bénéficié d’un plan de soutien, mais aucune mesure spécifique n’a été prise à l’intention des industries terrestres et navales. Nous tenons à vous faire part de leur inquiétude. Chacun connaît pourtant le potentiel de la BITD : ce sont 200 000 emplois de haute technologie, non délocalisables, des milliers de PME irriguant nos territoires. C’est un secteur capable de transformer rapidement la commande publique en croissance, en emplois et en recettes fiscales. Dès lors, pourquoi s’en priver, alors que l’économie connaît une récession exceptionnelle par son ampleur et que les besoins en matière de défense restent criants ?
L’actualisation de la loi de programmation militaire, prévue en 2021, apportera peut-être des réponses. Madame la ministre, je vous pose la même question que le rapporteur spécial : est-ce bien une loi qui est envisagée pour cette actualisation ? Faites en sorte que nous ne soyons pas mis devant le fait accompli, face à des arbitrages opaques sur lesquels les parlementaires n’auraient aucun droit de regard.
Vous savez le soutien que le Parlement vous a apporté pour la LPM