Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec 39, 2 milliards d’euros, en hausse de 4, 5 %, le projet de budget des armées pour 2021 apparaît toujours comme une priorité nationale. La loi de programmation militaire 2019-2025 est respectée, ce dont je ne peux que me féliciter.
À y regarder de plus près toutefois, c’est l’arrêt des usines d’armement pendant le confinement qui a facialement préservé l’exercice 2021, puisque cela a conduit le ministère à ne pas dépenser 1, 1 milliard d’euros de crédits. Ces crédits non consommés ont permis de couvrir les dépenses nouvelles de 2020, notamment les surcoûts des opérations extérieures. Ces derniers devraient atteindre un record inégalé, avec 1, 6 milliard d’euros à la fin de l’année 2020, soit 500 millions d’euros de plus que prévu, en raison du renforcement de l’opération Barkhane, de l’opération de secours menée au Liban, mais également du soutien à la lutte contre le covid.
Il faut y ajouter les surcoûts liés aux missions intérieures, avec la montée en puissance de l’opération Sentinelle et ses 7 000 soldats mobilisés. Si l’on s’en tient à l’article 4 de la LPM, les surcoûts OPEX et Missint devraient être financés par la solidarité interministérielle. Or, comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires étrangères, cet article n’a jamais été appliqué depuis son entrée en vigueur.
Il est un sujet de préoccupation sur lequel le projet de budget est silencieux : les 18 avions Rafale que la France doit fournir à la Grèce, 6 neufs et 12 d’occasion. Cette opération risque de laisser un surcoût pour l’armée évalué à 1 milliard d’euros. Le produit de la vente de ces Rafale est estimé à 400 millions d’euros. Si la possibilité d’une rétrocession de ces produits via un compte d’affectation spéciale a été évoquée, les recettes de vente seront inscrites au budget général de l’État, et non au budget du ministère des armées. Certes, madame la ministre, il vous revient de négocier la rétrocession de cette vente, mais cette négociation entre votre ministère et Bercy est loin d’être garantie.
Enfin, l’autre conséquence immédiate est l’affaiblissement de nos capacités opérationnelles d’ici à 2025 : retirer 12 Rafale sur 102, c’est diminuer la flotte de plus de 10 %. Madame la ministre, avez-vous signé le bon de commande pour les Rafale au profit de nos armées ?
Le coût des réparations à la suite de l’incendie du sous-marin nucléaire Perle est aussi un élément de préoccupation.
L’industriel était assuré à hauteur de 50 millions d’euros. La facture pour l’État s’élève à 60 millions d’euros et inclut la réparation de la Perle et la prolongation du Rubis. Rapporté au budget global de la défense, ce coût représente un choc financier majeur.
Les décisions prises sur le futur porte-avions de nouvelle génération, dont le programme devrait être prochainement lancé, sont un autre sujet d’inquiétude. Madame la ministre, pourriez-vous nous confirmer le calendrier de conception et de construction du nouveau porte-avions ? Quid d’une prolongation du Charles-de-Gaulle au-delà de 2038 ? Est-il envisageable qu’il reste déployé en Méditerranée, comme je vous le suggère dans le rapport d’information qu’Olivier Cigolotti et moi-même avons rédigé ?
Aux inquiétudes que je viens d’exprimer quant au respect de la trajectoire de la LPM s’ajoute la crise que traversent les industries de défense, cela a été souligné. Malgré la mise en place au mois de mai dernier d’un guichet spécifique pour les PME, ainsi qu’un plan de rattrapage capacitaire, la situation est très préoccupante : fragilisation des chaînes de production, difficultés avec les banques, fonte des marchés à l’export, menace d’une multiplication de rachats par des sociétés étrangères prédatrices. On peut citer l’exemple de Photonis, qui a échappé in extremis à un rachat par l’américain Teledyne.
J’en viens aux incertitudes de la coopération européenne alors que la LPM mise sur son développement. L’autonomie stratégique européenne nécessite de partager une vision commune des menaces, mais aussi d’avoir la volonté de renforcer l’indépendance et la capacité d’innovation des industries européennes du secteur. Or le Fonds européen de défense est reconduit avec un budget amputé de moitié. Est-ce un bon signe à adresser à nos partenaires, en particulier allemands ? Je ne le crois pas.
Comment, dans un tel cadre, rester compétitifs en matière de recherche et d’innovation technologique, alors que l’Europe est confrontée à un environnement de plus en plus compétitif ?
La culture commune en matière de défense est à construire. Il est nécessaire que toutes les initiatives nationales fonctionnent de façon complémentaire, avec un objectif unique. Or cet objectif n’existe pas encore. C’est tout l’enjeu de la boussole stratégique. Nous avons proposé que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’empare du sujet.
Cette coopération européenne doit aussi se traduire dans les faits. Au mois de février dernier, la France et l’Allemagne ont lancé la première phase du programme de système de combat aérien du futur (SCAF). Cependant, une interrogation demeure sur la sécurisation des financements. De même, il faut également considérer l’important effort des Britanniques, à hauteur de 1, 74 milliard d’euros pour la recherche militaire.
Madame la ministre, pour les raisons que j’ai indiquées et dans l’attente des réponses que – nous l’espérons – vous nous apporterez, le groupe SER votera les crédits de la mission « Défense ».