Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la sécurité est devenue l’une des premières préoccupations des Français. Ces derniers mois ont vu le modèle républicain de sécurité durement mis à l’épreuve. Nouvelles attaques terroristes, persistance des radicalismes de tous bords, augmentation préoccupante des atteintes aux personnes, catastrophes naturelles telles que la tempête Alex : les défis à relever étaient innombrables.
L’examen du budget de la mission « Sécurités » nous permet d’abord d’évaluer l’adéquation des moyens prévus avec l’ampleur de ces défis. À cet égard, nous constatons un effort d’investissement important, grâce au plan de relance. Nous nous en félicitons.
Au-delà de cette réponse ponctuelle, décidée dans le cadre de la crise sanitaire, il est toutefois nécessaire d’anticiper les défis du jour d’après. Le nouveau Livre blanc de la sécurité intérieure permet précisément de se livrer à cet exercice. Il doit également constituer la matrice d’une future loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi). Nous connaissons en effet l’efficacité de ce modèle dans le cas des armées, avec les lois de programmation militaire. À cet égard, une nouvelle Lopsi serait insuffisante si elle ne comportait qu’un volet juridique : une véritable programmation des moyens est absolument indispensable.
Je souhaite d’ailleurs exprimer un regret au sujet du Livre blanc de la sécurité intérieure. S’il aborde les enjeux communs à la police et à la gendarmerie, il n’évoque que très peu le statut militaire des gendarmes. Or cette singularité des gendarmes est pourtant un aspect central du modèle de sécurité intérieure français, que le rattachement des gendarmes au ministère de l’intérieur en 2009 n’a pas remis en cause.
La réactivité de la gendarmerie nationale, sa polyvalence et sa capacité à répondre présent auprès des populations et des élus en toutes circonstances, le tout dans le respect des règles républicaines, découlent en grande partie de ce statut militaire. C’est bien lui qui garantit la résilience et la disponibilité de la gendarmerie nationale. Aussi, nous sommes très attachés à ce modèle. C’est pourquoi il ne faut en aucun cas le laisser se scléroser.
Cela suppose, en premier lieu, de reconnaître les sujétions imposées par l’état militaire et de prendre les mesures de ressources humaines et d’investissement qui en sont la contrepartie nécessaire.
Contrairement aux policiers, les gendarmes ne peuvent pas se syndiquer, même si nous avons approuvé, en 2015, la création des associations professionnelles nationales de militaires (APNM), qui ont ouvert des possibilités limitées de revendication. C’est donc le rôle de la représentation nationale que d’évaluer constamment le respect de l’équilibre entre les sujétions liées à la condition militaire et les mesures dont bénéficient les gendarmes.
Les mutualisations avec la police nationale, qui sont nécessaires et utiles dans le domaine des fonctions de support ou de la police technique et scientifique, ne doivent pas porter atteinte à la spécificité du statut des gendarmes ni aux domaines d’excellence de la gendarmerie. Nous nous étions ainsi émus, l’année dernière, des projets de centralisation ministérielle des fonctions liées au numérique. Par chance, nous avons été entendus et la gendarmerie a pu continuer à innover dans ce domaine.
Par ailleurs, la gendarmerie ne peut rester à l’écart des débats sur l’équilibre nécessaire entre sécurités et libertés. Ainsi, dans le domaine du maintien de l’ordre, la doctrine doit être modernisée en permanence. C’est aussi le cas pour l’utilisation des technologies numériques. Les drones, la généralisation des caméras-piétons ou encore la numérisation intégrale des procédures suscitent des interrogations et des réticences, comme l’a montré le débat autour de l’application GendNotes. Nous avons une totale confiance dans la capacité de la gendarmerie à relever ces défis. En effet, le statut militaire, loin d’être un handicap, constitue selon nous un atout dans cet exercice délicat de conciliation entre éthique républicaine et sécurité.
Comme la commission d’enquête du Sénat sur l’état des forces de sécurité intérieure l’a déjà établi il y a deux ans, la police nationale connaît actuellement une crise multifactorielle. Ne croyons pas que la gendarmerie soit à l’abri de telles vicissitudes ! Au contraire, l’histoire nous invite à la prudence. À nous et à vous, madame la ministre, de faire évoluer ce modèle et de l’améliorer constamment, afin qu’il continue à offrir un service de sécurité de proximité unanimement apprécié !