Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en réaction à ce que j’ai entendu de la part de certains de nos rapporteurs, je souhaiterais d’abord rappeler certains chiffres tirés des données d’Eurostat.
Concernant les délivrances des premiers titres de séjour, nous sommes au vingt-troisième rang en Europe, proportionnellement au nombre de nos habitants.
En chiffres bruts, avec 274 000 premiers titres de séjour en France, nous sommes derrière la Pologne, qui en délivre 724 000, le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne. Un tiers des titres que nous délivrons sont destinés à des étudiants et un sixième à des familles de Français.
Par ailleurs, lorsque l’Union européenne faisait face à une importante croissance des demandes d’asile en 2015, la situation restait relativement stable en France, avec un peu plus de 60 000 demandeurs annuels.
Contrairement à nos partenaires et singulièrement à l’Allemagne, nous n’avons pas eu d’à-coups brutaux, mais une progression régulière, je dirai même prévisible, pour atteindre le chiffre de 120 000 primo-demandeurs en 2019.
À aucun moment, nous n’avons eu à faire face à une situation difficilement surmontable. Malgré cela, madame la ministre, l’année 2020 aura illustré la négligence de la politique du Gouvernement.
D’abord, la France a été condamnée par deux fois par la CEDH : en juin, pour expulsion d’enfants isolés à Mayotte ; en juillet, pour traitement dégradant de demandeurs d’asile.
Au printemps, tirant prétexte de la crise sanitaire, le Gouvernement tentait, par ordonnance, d’élargir la possibilité de juge unique à la CNDA. Heureusement, le Conseil d’État veillait !
Pendant ce temps, les centres de rétention n’ont pas été correctement adaptés à la crise sanitaire. La nouvelle Contrôleure générale des lieux de privations de liberté l’a signifié à votre ministre de tutelle dans un récent courrier. J’ai vu moi-même des CRA où les personnes retenues devaient boire à l’unique robinet d’eau potable disponible. J’ai vu des personnels de la police aux frontières (PAF) honteux des produits censés tenir lieu d’aliments livrés par le prestataire. Ces risques et ces humiliations, parfois pendant plus de deux mois, pour moins de 40 % d’éloignements, c’est indigne !
Madame la ministre, avant, il y avait des queues devant les préfectures. C’était insupportable, mais il suffisait d’attendre. Aujourd’hui, c’est la justice qu’il faut saisir pour avoir un rendez-vous en préfecture. Or préfecture de nouvelle génération rime avec préfecture virtuelle, tant la prise de rendez-vous en ligne est défectueuse. Comment enregistrer une demande d’asile ? Comment renouveler une carte de séjour ? Comment demander une autorisation exceptionnelle de séjour quand la crise sanitaire vous empêche de rentrer chez vous ? Ces remarques pourraient aussi concerner la plateforme d’appel de l’OFII. Comment, madame la ministre, construire l’image de la République avec ce type de défaillances ?
Après des années à nous être acharnés à réduire les délais d’instruction des demandes d’asiles, n’est-il pas temps de constater qu’il existe un temps minimum incompressible pour l’étude des dossiers et qu’il serait utile qu’il soit consacré à la préparation de l’éventuelle intégration de la personne ? Je pense à l’apprentissage de la langue, à la formation, au droit au travail.
Sans préparation à l’intégration, comment s’étonner que plus de 60 % des places de CADA soient occupées par des personnes ayant le statut de réfugié, qui ne peuvent aller ailleurs, faute d’avoir commencé un parcours d’intégration pour devenir autonomes ? Nous n’avons plus de logements pour répondre à leurs besoins.
Pendant ce temps, les demandeurs dont le dossier est en cours d’instruction sont hébergés dans des conditions de plus en plus indignes. Pour eux, aujourd’hui, la norme est la rue ! C’était vrai l’année dernière et c’est toujours vrai cette année.
Je formulerai quelques remarques liées à l’actualité.
Il est essentiel que l’Ofpra soit présent lors des audiences à la CNDA, lorsque sa décision initiale de refus de protection s’appuie sur une alerte sécuritaire. Cela doit être pris en compte de manière systématique, dans le respect du contradictoire, lorsque la juridiction de la CNDA prend ses décisions.
Plutôt que de mettre en réadmission « Dublin » vers l’Italie des personnes en besoin de protection, il est grand temps que nous marquions notre solidarité totale avec ce pays. C’est une question d’humanité, d’efficacité et de crédibilité dans les négociations actuelles sur le prochain paquet Asile.
Concernant la lutte contre l’immigration irrégulière, un rapport de l’Assemblée nationale rappelle le coût moyen d’une expulsion, à savoir 15 000 euros, soit une année de SMIC net. Dès lors, pourquoi s’acharner à développer les départs forcés, alors que les départs volontaires sont moins coûteux, plus efficaces, et contribuent à faire revenir volontairement des personnes qui, ensuite, peuvent témoigner que l’Europe n’est pas nécessairement la terre promise ?
Attention aussi aux gouvernements qui vous donnent tous les laissez-passer consulaires que vous réclamez, mais ne font rien contre les réseaux de passeurs. Mieux vaut des partenaires rudes et fiers plutôt que ceux qui adaptent ce qu’ils vous disent à ce que vous voulez entendre et jouent sur les deux tableaux.
Il faut enfin en finir avec la politique du chiffre, qui conduit à faire des réadmissions « Dublin », dont on sait parfaitement qu’elles n’éloignent la personne que pour quelques jours, ce qui ne change rien à la situation réelle. Tout cela se fait au mépris de la dignité des personnes concernées !
J’aimerais tant entendre ici le Wir schaffen das d’Angela Merkel en 2015. Regardez la situation cinq ans après : une mobilisation fantastique de la société allemande, qui a parfois douté qu’elle y arriverait. Ils réussissent, et Angela Merkel est plus populaire que jamais. Méditons cela au regard de nos propres peurs.
Nous en débattrons de nouveau dans quelques semaines, mais la réussite de cette politique passe par une plus grande harmonisation européenne, dans le respect total de nos principes et de nos engagements. Pour donner du sens à cette coopération européenne, il conviendrait de changer certaines attitudes. L’Europe ne peut pas être l’excuse de tous les échecs, alors qu’elle progresse chaque année sur la voie d’un système de plus en plus intégré de contrôle des frontières et de systèmes d’information interconnectés.
Ainsi, à Roissy, en juillet dernier, alors que je m’étonnais des contrôles systématiques effectués aux frontières sans respect des règles sanitaire, un policier de la PAF m’a répondu : « Monsieur, Schengen n’existe plus. Ici, c’est la France. » Ce n’est pas acceptable ! La progression de notre politique d’asile se fera en Europe et avec l’Europe.
Madame la ministre, parce que votre politique n’est pas la bonne, le groupe socialiste et républicain refusera de voter ces crédits.