Intervention de Didier Marie

Réunion du 2 décembre 2020 à 10h45
Loi de finances pour 2021 — Compte de concours financiers : avances aux collectivités territoriales

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chaque année, l’examen des crédits qui nous réunissent ce matin nous offre l’occasion de débattre des relations financières entre l’État et les collectivités locales, en dépassant très largement le cadre de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Cette mission, avec 4, 1 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 3, 9 milliards en crédits de paiement, représente seulement 3, 6 % du montant des transferts financiers de l’État aux collectivités et 1, 6 % du montant global de leurs ressources.

En cette période de crise sanitaire, économique et sociale, chacun en convient, les collectivités ont été le premier rempart face aux conséquences de l’épidémie de la covid-19. Elles ont fait preuve de rapidité, achetant des masques dès le début du mois de mars, et d’adaptabilité, répondant aux injonctions parfois contradictoires de l’État, entre confinement et déconfinement, en particulier en matière scolaire. Elles se sont mobilisées pour soutenir les entreprises locales, les commerces et les associations. Elles ont organisé la solidarité, en venant en soutien des personnes âgées et isolées et en distribuant l’aide alimentaire aux plus fragiles. Tout cela s’est traduit par des dépenses supplémentaires imprévues.

Dans le même temps, leurs recettes fiscales, domaniales et tarifaires se sont écroulées, à hauteur, selon les estimations, de 5 à 8 milliards d’euros, et ce avant le second confinement.

L’effet combiné des dépenses nouvelles et de la chute des recettes a été une dégradation de l’autofinancement, ce qui s’est traduit par un recul de 14 % des dépenses d’investissement.

C’est dire que le présent projet de loi de finances était attendu. Malheureusement, il est source, pour les collectivités, de multiples désillusions.

Désillusion d’abord sur la faiblesse du dispositif des garanties de ressources introduit au PLFR 3. Après les annonces du Gouvernement assurant de son soutien 12 000 à 14 000 communes, ce ne sont finalement que 2 300 d’entre elles qui bénéficieront des 230 millions d’euros. Cela fait suite à un subterfuge : la prise en compte non pas de la situation de la dernière année, mais de la moyenne lissée des ressources de 2017 à 2019.

Désillusion ensuite sur le refus de compenser les pertes de recettes tarifaires sur les droits de place, la taxe de séjour, les locations de salles ou les recettes de casinos, qui représentent plus de 2 milliards d’euros.

Désillusion également sur la prise en compte insuffisante des dépenses spécifiques à la lutte contre la covid-19, que ce soit sur la date et le montant de prise en charge pour l’achat des masques ou sur l’ensemble des investissements et dépenses de fonctionnement supplémentaires pour maintenir l’accès aux services publics locaux.

Désillusion enfin de voir une fois encore la DGF gelée, même si le Gouvernement s’enorgueillit de la maintenir, actant ainsi un nouveau recul – j’y reviendrai.

C’est ce moment particulièrement difficile que l’exécutif a choisi pour accélérer le bouleversement de la fiscalité locale.

D’abord, il poursuit sa réforme de la taxe d’habitation (TH), en engageant pour un tiers la disparition de la contribution des 20 % des ménages les plus aisés. La réforme nécessitera de trouver 10 milliards d’euros sur les trois années à venir et creusera encore les inégalités au détriment des plus modestes, ceux qui ne payaient pas la TH et qui ne gagnent donc rien à sa suppression. Cette réforme aurait pu a minima être reculée d’une année.

Ensuite, il privilégie une politique de l’offre, en diminuant de 20 milliards d’euros sur deux ans les impôts des entreprises, alors qu’une grande partie de nos concitoyens ont vu leur pouvoir d’achat amputé. Dès cette année, les entreprises bénéficient d’une remise de 7 milliards d’euros de CVAE, prélèvement qui, comme son nom l’indique, est une taxe sur la valeur ajoutée, et non un impôt de production, car prélevé en aval du processus de production et adapté à l’activité de l’entreprise. Voilà une offrande à laquelle n’accéderont pas les TPE et PME dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros. C’est un cadeau qui bénéficiera aux plus grandes entreprises sans aucune contrepartie en termes d’emploi, d’engagement écologique ou d’amélioration des droits sociaux.

De même, la taxe foncière et la cotisation foncière des entreprises baisseront de 50 %, pour 3, 4 milliards d’euros. La compensation, elle, sera gelée sur les taux de 2020. Mesquinerie supplémentaire, le Gouvernement a décidé de minorer l’évolution des bases des locaux industriels, privant ainsi les collectivités de leur dynamique.

Ces décisions, qui étaient discutées au sein du Gouvernement depuis le début du quinquennat, n’ont rien à voir avec la relance. Au contraire : elles pénalisent les capacités d’investissement des collectivités. Elles sont la réactivation d’une vieille lune libérale et de la stratégie du ruissellement. On nous justifie cette réforme par un différentiel de compétitivité avec nos voisins. La France serait « moins attractive », alors que nous sommes le pays qui a accueilli le plus d’investissements étrangers en Europe en 2019.

De plus, il faudrait comparer ce qui est comparable et se mettre d’accord sur ce qu’est un impôt de production : ainsi, en Allemagne, le Gewerbesteuer, une variante de la taxe professionnelle, rapporte 50 milliards d’euros aux communes et n’entre pas dans le champ des impôts de production au sens de la comptabilité européenne.

Si l’on ajoute à cela la nationalisation des 2, 3 milliards d’euros de la taxe locale sur la consommation finale d’électricité, qui ôte au passage aux collectivités la faculté de mener une politique tarifaire en faveur des plus précaires, on assiste à un remplacement de la fiscalité locale par des dotations et à une substitution du contribuable local par le contribuable national.

La part de la fiscalité ne représente plus qu’un quart des recettes des collectivités, quand les transferts de l’État sont supérieurs à 45 %. C’est une très mauvaise nouvelle pour les collectivités, trop averties des conséquences des compensations annoncées à l’euro près qui se traduisent dans la durée par une perte financière.

J’en viens aux crédits de la mission et aux articles rattachés.

Tout d’abord, si le Gouvernement se déclare satisfait du maintien de la DGF, le gel de celle-ci correspond à une diminution au regard de l’inflation, de l’évolution du « panier du maire » et de la démographie. Depuis le début du quinquennat, c’est près de 10 % de pouvoir d’achat perdu !

Plus contestable est l’habitude qui a été prise de faire financer la péréquation verticale par les collectivités elles-mêmes. On ne peut qu’être d’accord, sur le principe, avec l’augmentation de la DSU et de la DSR de 90 millions d’euros chacune et le rattrapage de la dotation d’aménagement des communes et des circonscriptions territoriales d’outre-mer (Dacom) pour 17 millions d’euros. Mais il s’agit une fois de plus d’un écrêtement de la dotation forfaitaire, et non d’argent frais. Résultat : près de la moitié des communes connaîtra une diminution de DGF, comme en 2020, et les autres autofinanceront une partie – quand ce ne sera pas la totalité ! – de leur propre péréquation.

Madame la ministre, la DGF est devenue illisible, complexe et injuste. Le dispositif a atteint ses limites. Il faut avoir le courage de le réformer. Nous y sommes prêts. L’êtes-vous ?

Pour le reste, la DETR est stable. L’Assemblée nationale a apporté des améliorations bienvenues quant à son éligibilité. Mais nous aimerions connaître le niveau d’exécution des crédits de paiement, un certain nombre de communes se plaignant d’attendre fort longtemps le versement des subventions.

La DPV ne bénéficie toujours pas d’une réévaluation que nous avions déjà réclamée à la suite de l’élargissement du nombre de communes éligibles en 2017.

La DSIL est significativement augmentée en autorisations d’engagement dans la mission « Plan de relance ». Cependant, nous nous étonnons qu’il n’y ait que 100 millions d’euros inscrits en crédits de paiement, alors que de nombreuses opérations pourraient démarrer rapidement.

En outre, nous réitérons notre souhait que cette dotation soit à la main des préfets de département, dans un souci de simplification, de lisibilité et d’efficacité, notamment par la possibilité de la cumuler avec la DETR.

Cela étant, si le bloc communal se satisfait de ces crédits d’investissement, les dotations sont fléchées par l’État sur des priorités définies par lui, alors qu’il serait plus conforme à l’esprit de la décentralisation qu’elles soient libres d’emploi et abondent l’autofinancement.

Les départements ont perdu 3, 4 milliards d’euros de recettes en 2020 et voient leurs dépenses sociales flamber. Le PLFR 4 prévoit 200 millions d’euros de soutien, mais rien pour 2021, alors que – nous le savons – le RSA va croître de manière exponentielle. Madame la ministre, nous pensons que la question de la recentralisation du financement du RSA doit maintenant être posée.

La dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID) reste au même niveau qu’en 2019. Son architecture en deux fractions n’a pas été modifiée, laissant plus des deux tiers de l’enveloppe à la main des préfets sous forme d’appels à projets, alors que, là aussi, elle pourrait utilement abonder l’autofinancement, mis à mal par la crise.

Je souhaite lancer une alerte sur le programme concernant les aides aux collectivités victimes de catastrophes naturelles, qui nous semble sous-doté, alors que nous connaissons une multiplication des phénomènes climatiques extrêmes.

Autre alerte : si tout le monde se réjouit que soit enfin déclenchée l’automatisation du FCTVA, nous resterons vigilants sur le périmètre de l’assiette, l’État ayant annoncé que la réforme devait être neutre financièrement.

Madame la ministre, si les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » n’évoluent que très peu d’une année sur l’autre, c’est l’architecture générale des relations financières entre l’État et les collectivités que vous chamboulez !

Après la suppression de la taxe professionnelle, dont on mesure aujourd’hui douloureusement la promesse de compensation à l’euro près, vous accélérez le détricotage de la fiscalité locale, en engageant la suppression totale de la TH et celle de la moitié de la fiscalité des entreprises – et ne doutons pas du fait que cette évolution se poursuivra !

Vous coupez le lien entre l’impôt, le citoyen, l’entreprise et le territoire. Pourtant, ce lien et le levier fiscal qui en découle sont un impératif démocratique d’une République décentralisée. Nous assistons dans ce budget à un changement de nature dans les relations entre l’État et les collectivités, à une volonté affirmée de recentralisation, vécue comme une défiance à l’égard des élus locaux. Vous comprendrez que nous nous y opposions.

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