Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 2 décembre 2020 à 21h00
Loi de finances pour 2021 — Compte de concours financiers : avances à l'audiovisuel public

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Madame la présidente, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, oui, 2020 aurait dû être enfin l’année de la réforme audiovisuelle promise par le Président de la République !

Après des débuts laborieux, Franck Riester l’avait remise sur les rails ; voilà que la crise sanitaire est le prétexte à tout abandonner !

Notre commission, qui milite de longue date pour une réforme systémique de toutes les chaînes historiques, n’a pourtant pas ménagé ses efforts, madame la ministre, pour que, au cours de l’été, nous puissions transposer rapidement la directive SMA et la directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, contenues dans le projet de loi, et faciliter le recours aux ordonnances.

Notre colloque Comment réenchanter l ’ audiovisuel public à l ’ heure du numérique, organisé par notre commission en 2018, avait mis en exergue le grand retard accumulé par rapport aux audiovisuels publics européens et la nécessité d’une réforme de la gouvernance, du modèle économique, de la réglementation et de la régulation.

Sur ce dernier point, alors qu’existait une fenêtre de tir d’ici fin janvier, correspondant à la fin de mandat de plusieurs conseillers de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), qui permettait une fusion avec le CSA, nous ne disposons de plus aucun calendrier. Le piratage reste un fléau, privant la création d’environ 1 milliard d’euros par an.

Même s’il y avait indéniablement des gains de productivité à réaliser, face à une concurrence extraeuropéenne exacerbée, nous pouvons nous interroger, d’un point de vue stratégique, sur la baisse continue des moyens affectés à notre audiovisuel public depuis 2018. Cette année, la trajectoire est stable et, point de satisfaction, est assortie d’une dotation exceptionnelle pour répondre à la crise sanitaire, bien que la réponse doive être nuancée en fonction des opérateurs – j’y reviendrai.

Les chiffres et les coups de communication sont louables, mais nous avons aussi besoin d’une vision d’avenir. Quelle stratégie, quelle réponse structurelle adopter pour donner à nos médias les moyens d’une alternative à la standardisation d’une offre de plus en plus globale et anglo-saxonne ? L’ensemble du secteur de la création audiovisuelle et cinématographique est concerné, les chaînes, publiques comme privées, étant soumises à des obligations en matière d’investissement.

Nous veillerons aux équilibres entre les acteurs de la chaîne médiatique dans le futur décret de transposition des directives.

La manière dont nos entreprises audiovisuelles ont fait preuve d’adaptabilité et de résilience face à la crise ne doit pas cacher leur fragilité structurelle et budgétaire. Voyez la chute des recettes publicitaires ! Plus que jamais, les modèles sont à clarifier et la réforme de la CAP à mener, ne serait-ce aussi que parce qu’elle est profondément injuste. Sur ce point, nous insisterons toujours sur la nécessité d’une dotation publique et non d’État, seule garante de la véritable indépendance.

Objectifs et missions doivent être reprécisés. Personne n’a compris la suppression de France Ô et de France 4, présentée strictement sous l’angle budgétaire et non sous celui des besoins des publics. Quel sera l’avenir de la chaîne jeunesse temporairement réhabilitée ? La stratégie est-elle de désarmer l’audiovisuel public face à Disney et YouTube ? En l’état du réseau, tous les Français ne reçoivent pas Okoo.

France 4, désormais dépourvue de publicité grâce au Sénat, chaîne pour laquelle mon ancien collègue Jean-Pierre Leleux et moi-même avions déposé un moratoire, a démontré à quel point elle était un outil indispensable à l’éducation, à la culture et à la citoyenneté. Interrogé devant notre commission, Jean-Michel Blanquer lui-même est convenu de la nécessité de son maintien.

J’en viens à Arte et aux chaînes de notre audiovisuel extérieur, parents pauvres du budget malgré leurs bonnes performances.

Je regrette le peu d’ambition accordée à ces opérateurs, qui jouent un rôle crucial, aux niveaux européen et mondial, dans la bataille de l’information et de la désinformation. Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’offensive d’Al Jazeera à la suite à l’assassinat de Samuel Paty. Alors que France Médias Monde aurait dû être renforcée – nous ne cessons de le dire ici, année après année –, voilà que l’entreprise est contrainte à des arbitrages douloureux entre nouveaux projets nécessaires et préservation des zones de diffusion.

La chaîne franco-allemande Arte, qui est de plus en plus européenne et innovante, enregistre toujours une baisse de la ressource publique.

Enfin, nous peinons à discerner une stratégie pour TV5 Monde, pour laquelle la France est restée en retrait pour le financement de sa plateforme numérique, lancée grâce au Canada.

En conclusion, la situation financière semble certes stabilisée pour 2021 – raison pour laquelle notre groupe votera ces crédits –, mais nous émettons de grandes réserves face aux nombreuses incertitudes qui pèsent à l’horizon 2022 et face à l’abandon de la réforme, très préjudiciable à tout le secteur de l’audiovisuel et du cinéma, lui-même très ébranlé par la crise.

Au-delà de la mobilisation des financements de l’État et des collectivités pour lutter contre la crise, nous devons continuer à faire preuve de la plus grande vigilance.

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