L'exercice d'aujourd'hui a ceci de singulier qu'il me conduit à vous présenter les crédits de la mission « Économie » destinés au commerce et à l'artisanat, alors que l'édition 2021 acte leur quasi-disparition. S'il existait jusqu'en 2019 au sein de la mission une action spécifiquement dédiée à ces secteurs, elle a depuis disparu. Ses crédits continuaient tout de même d'exister l'an dernier, en étant répartis sans trop de cohérence dans d'autres actions ; ils sont désormais supprimés.
Pour autant, cela ne signifie pas qu'aucune action n'est menée en faveur de ces secteurs dans le PLF : un plan de relance à destination de l'économie de proximité, certes maigre, est en effet prévu dans la mission « Relance », que je vais détailler après vous avoir exposé les mouvements de la mission « Économie ».
Le PLF pour 2021 acte tout d'abord, au sein de cette mission, la disparition du FISAC. Ce dispositif était jusqu'à présent mis en gestion extinctive, c'est-à-dire que des crédits étaient ouverts uniquement pour assurer les appels d'offres des années passées, sans en prévoir de nouveau. Désormais, plus aucun crédit n'est prévu, alors qu'il s'agit d'un outil de soutien et de protection des services commerciaux et artisanaux de proximité auquel l'ensemble des acteurs de terrain a indiqué être attaché.
Le Gouvernement justifie sa décision en arguant de la compétence économique des régions, de la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et du programme « Action coeur de ville ». Je conteste cette analyse, pour trois raisons : premièrement, aucun autre dispositif n'est aujourd'hui prêt à prendre sa relève - l'ANCT existe en effet depuis moins d'un an ; deuxièmement, le programme « Action coeur de ville » concerne uniquement les villes moyennes et ne luttera donc pas contre la vacance commerciale en zone rurale ; troisièmement, les régions n'ont pas encore achevé la montée en puissance de leur compétence économique qui, en tout état de cause, est jugée trop éloignée du terrain, selon les acteurs de proximité. Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir les crédits du FISAC en le dotant de 30 millions d'euros. L'urgence de venir au secours du commerce et de l'artisanat dans nos territoires en difficultés n'a jamais été aussi grande.
Deuxièmement, il n'est prévu dans cette mission « Économie » qu'une maigre dotation de 900 000 euros à destination de l'Institut national des métiers d'art (INMA), association d'utilité publique qui se transforme progressivement en Agence française des métiers d'art et du patrimoine vivant. L'an dernier, l'institut avait pu bénéficier de 1,2 million d'euros de subventions. L'objectif du Gouvernement est que l'institut s'autofinance à partir de 2022.
Or la crise actuelle va mécaniquement impacter les ressources de l'INMA, par exemple via l'annulation des salons ou la baisse du mécénat. En outre, une réflexion est toujours en cours sur le traitement fiscal de ces nouvelles ressources, alors que l'INMA est une association reconnue d'utilité publique. Il serait particulièrement dommageable que le projet du Gouvernement entraîne l'assujettissement de ces ressources à la TVA et, potentiellement, la perte du statut associatif. L'objectif d'autofinancement en 2022 est donc, à l'heure actuelle, irréaliste.
Je vous proposerai donc un amendement augmentant de 300 000 euros la dotation versée à l'INMA afin d'assurer son activité l'an prochain.
J'en viens maintenant au plan de relance pour l'économie de proximité, essentiellement retracé dans le programme « Cohésion » de la mission « Relance », que notre collègue Anne Chain-Larché nous a présentée la semaine dernière. Comme nous le savons tous, le commerce de proximité connaît des difficultés structurelles depuis plusieurs années et subit un enchaînement de crises depuis deux ans. Après une perte moyenne de 30 % de leurs ventes durant le mouvement des gilets jaunes, comme l'a montré Evelyne Renaud-Garabedian dans son rapport l'an dernier, les commerçants ont été impactés par les mouvements sociaux fin 2019 et, cette année, ont affronté deux confinements. C'est plusieurs dizaines de milliers de commerces qui pourraient disparaître d'ici fin 2021, entraînant la perte de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Les conséquences seront multiples, de l'aggravation de la vacance commerciale à la hausse du chômage. Surtout, c'est un pan de l'économie fait de liens sociaux, de contacts humains, de conseils, qui s'effondre.
Face à ce terrible constat, le Gouvernement prévoit un plan d'environ 200 millions d'euros, uniquement axé sur l'offre. Non seulement le montant ne semble pas encore à la hauteur des enjeux, mais il se décompose en outre en une kyrielle d'actions hétérogènes, chacune dotées de faibles crédits, et parfois même sans que leur présence au sein d'un tel plan ne paraisse évidente...
Le Gouvernement entend ainsi créer 100 foncières afin de rénover des locaux commerciaux et de les louer à un tarif préférentiel. C'est une initiative bienvenue, mais gonflée par un effet d'annonce : en réalité, plus de la moitié de ces foncières existent déjà, dans le cadre d'« Action coeur de ville », et sont financées par la Banque des territoires à hauteur de 200 millions d'euros. Seule une enveloppe supplémentaire de 60 millions d'euros est prévue par le Gouvernement dans ce plan de relance pour que de telles foncières soient créées également en zone rurale, et non uniquement dans les villes moyennes.
Il conviendra de veiller, en tout état de cause, à ce que les plus petites villes, villages ou bourgs aient bien accès à ces foncières, et que les élus de ces territoires les moins dynamiques soient précisément informés de leur fonctionnement ; autrement, seules les communes disposant de moyens techniques et humains suffisants en auront connaissance ou sauront les appréhender. À nouveau, de bonnes intentions pourraient manquer leur cible.
Le plan de relance prévoit également une enveloppe de 40 millions d'euros qui permettra de financer des actions collectives menées par les collectivités en faveur de la revitalisation des centres-villes. Parmi elles figurent, par exemple, le recrutement de managers de centres-villes, l'achat de prestations d'ingénierie numérique, comme des analyses de zone de chalandise, la création de plateformes numériques locales, sur le modèle du site « Achatville » créé par le réseau consulaire ou sur celui de « Ma Ville Mon Shopping », hébergé par La Poste.
Nous le voyons, le Gouvernement souhaite mettre l'accent sur la numérisation des commerces de proximité. Pour autant, avec un plafond de 20 000 euros par action menée, l'enveloppe ne pourra financer au maximum que 2 000 actions : une goutte d'eau dans l'océan des besoins de nos territoires. En outre, alors que la relance du commerce de proximité passe nécessairement par des outils flexibles et adaptables aux diverses réalités des territoires, les modalités de déblocage de ces crédits semblent au contraire particulièrement rigides : le montant de l'aide est fixe, indépendamment de la taille de la commune, de la profondeur de ses besoins ou de son taux de vacance commerciale.
Une enveloppe de 40 millions d'euros est également prévue dans le plan de relance pour des prêts « Croissance TPE » accordés par Bpifrance pour financer des dépenses ayant une faible valeur de gage. Il est pour le moins surprenant de faire figurer cette enveloppe dans le plan de rénovation des commerces de centre-ville : ces prêts bénéficieront en effet à toute TPE éligible, indépendamment de son secteur d'activité, de sa localisation, et sans que la dépense couverte ne concerne spécifiquement la rénovation commerciale. Il semble donc s'agir là d'un effet d'annonce.
Dans l'objectif d'accélérer la numérisation des PME, dont le confinement rappelle l'intérêt en termes de ventes, le Gouvernement a également prélevé à l'Assemblée nationale 60 millions d'euros du Fonds de solidarité pour financer une aide de 500 euros versée aux commerçants ou artisans fermés administrativement et n'ayant aucune présence numérique. L'aide doit permettre de prendre en charge, partiellement, certaines dépenses comme l'achat d'un site internet ou le paiement de l'adhésion à une plateforme de commerce en ligne.
Il semble donc que le Gouvernement ait fini par entendre les demandes répétées du Sénat, qu'il s'agisse de la Délégation aux entreprises ou de notre commission, de traiter le sujet du financement de la transition numérique. Toutes les études montrent que le coût de la formation ou des équipements est un frein massif à cette numérisation. Pour autant, l'aide ne concernera que les entreprises contraintes de fermer, dans la limite de 120 000 entreprises, alors que l'impératif de numérisation touche plus largement toutes nos PME, et singulièrement celles de proximité. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement créant un crédit d'impôt de 50 % à la formation et à l'équipement numérique, utilisable par les PME dans la limite de 10 000 euros par an. Le Sénat l'avait adopté lors de l'examen de la 3e loi de finances rectificative, contre l'avis du Gouvernement. Or nous ne réussirons cette nécessaire transition que si l'obstacle financier est levé et qu'il existe un instrument fiscal clair à disposition des entrepreneurs.
Je me félicite que le sujet de la numérisation des PME soit devenu central. J'ai donc analysé plus particulièrement l'opérateur principal sur lequel s'appuie le Gouvernement pour promouvoir sa politique en la matière : l'initiative « France Num », créée en 2018. Elle remplit principalement un rôle utile d'intermédiaire en référençant sur son site internet les professionnels du numérique disponibles pour accompagner les petites entreprises, ainsi qu'un rôle de sensibilisation, en publiant de nombreuses vidéos et articles. Pourtant, étonnamment, elle ne contrôle pas de façon approfondie la fiabilité et le sérieux des personnes proposant leurs services ; elle n'assure pas non plus de suivi des actions de numérisation, ce qui ne lui permet pas de mesurer sa propre efficacité. Ces deux lacunes peuvent être particulièrement dommageables, alors que l'on sait que le virage du numérique nécessite une relation de confiance entre la petite entreprise et le professionnel, qui sont par nature dans une relation asymétrique.
Par ailleurs, 11 millions d'euros ont été accordés à « France Num » en loi de finances rectificative pour qu'elle finance des diagnostics et des formations, essentiellement assurés par le réseau consulaire. Pour 2021, 26 millions d'euros supplémentaires sont prévus. Je salue cette initiative, qui montre que la politique de numérisation commence à entrer dans une phase d'intensification.
Malheureusement, toutes ces initiatives risquent de se heurter à un obstacle clé : « France Num » manque fortement de notoriété. Ses campagnes de communication sont diffusées via des supports ou des canaux qui ne sont en réalité familiers que des entrepreneurs déjà informés du sujet : web radio, magazine Frenchweb, salon nationaux ou internationaux, etc. Autrement dit, la communication de « France Num » s'adresse à ceux qui en ont le moins besoin.
Il est donc essentiel de prévoir au contraire une vaste campagne nationale de communication qui utilise les médias grand public, de télévision, de presse et de radio. Je vous proposerai donc un amendement augmentant le budget de « France Num » de 5 millions d'euros, afin de financer cette campagne de communication mais également de mettre en place un dispositif de suivi de ses actions et de mesure de leur efficacité ainsi que de renforcer les contrôles de fiabilité des professionnels qui se référencent sur la plateforme.
Nous le voyons donc, le plan de relance de l'économie de proximité est d'un maigre montant, 200 millions d'euros, et comporte essentiellement des mesures de rénovation des locaux et de numérisation. C'est utile, mais largement insuffisant, alors que les restaurateurs craignent par exemple la disparition des deux tiers d'entre eux, et que leur activité a encore chuté de 60 % en novembre. Les annonces d'hier soir, qui plus est, attestent que cette chute aura également lieu en décembre et, pour partie, en janvier.
Aucune mesure de relance n'est spécifiquement dédiée à ce secteur, de même qu'aucune mesure n'est tournée vers le redémarrage de la consommation, en particulier celle des plus modestes qui ont une propension marginale à consommer plus élevée ! Il est anormal de concentrer la quasi-intégralité de l'enveloppe de relance sur le numérique, aussi utile soit-il, et d'en oublier ces mesures de demande.
Pourtant, une fois la réouverture des restaurants autorisée, c'est bien à un risque d'insuffisance de la demande que ces derniers feront face. Cet été, après le premier confinement, le marché de la restauration n'avait ainsi atteint que 70 % du chiffre d'affaires généré au cours de l'été 2019.
Il n'est pas possible que le secteur le plus sinistré par cette crise ne fasse pas l'objet d'un soutien spécifique, massif, afin de le relancer au plus vite. Au Royaume-Uni, par exemple, l'État a pris en charge en août la moitié des additions des clients des restaurants, dans la limite de 10 livres par repas. La mesure est utile, mais pouvait engendrer des effets d'aubaine car elle n'était pas ciblée sur les plus précaires.
Compte tenu du délai limite de dépôt d'amendement sur la mission « Relance », j'ai donc déposé hier un amendement en mon nom pour que soit créé par l'État, pendant un mois, un dispositif de « chèque restaurant » à destination des ménages les plus modestes (par exemple ceux des trois premiers déciles de revenus).
Ces chèques seraient distribués par les communes volontaires, via par exemple les centres communaux d'action sociale, qui ont une forte légitimité en la matière. Le montant de la mesure est conséquent : 400 millions d'euros ; mais ce n'est rien à côté des pertes subies par les restaurateurs !
N'oublions pas, en outre, que la réouverture se fera pour eux dans des conditions toujours strictes : le nombre de couverts sera diminué et la clientèle étrangère manquera. Il est donc particulièrement important d'envoyer un signal fort à ce secteur, de permettre aux ménages en difficultés financières de partager ces moments de convivialité, et de tirer la sonnette d'alarme auprès du Gouvernement.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je vous proposerai donc un avis favorable aux crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption des quatre amendements relatifs au FISAC, à l'INMA, à « France Num » et au crédit d'impôt.