La présidente Primas, retenue ce matin dans son département, m'a chargée de vous présenter ses excuses et de conduire notre réunion, au cours de laquelle nous examinerons trois avis budgétaires.
L'exercice d'aujourd'hui a ceci de singulier qu'il me conduit à vous présenter les crédits de la mission « Économie » destinés au commerce et à l'artisanat, alors que l'édition 2021 acte leur quasi-disparition. S'il existait jusqu'en 2019 au sein de la mission une action spécifiquement dédiée à ces secteurs, elle a depuis disparu. Ses crédits continuaient tout de même d'exister l'an dernier, en étant répartis sans trop de cohérence dans d'autres actions ; ils sont désormais supprimés.
Pour autant, cela ne signifie pas qu'aucune action n'est menée en faveur de ces secteurs dans le PLF : un plan de relance à destination de l'économie de proximité, certes maigre, est en effet prévu dans la mission « Relance », que je vais détailler après vous avoir exposé les mouvements de la mission « Économie ».
Le PLF pour 2021 acte tout d'abord, au sein de cette mission, la disparition du FISAC. Ce dispositif était jusqu'à présent mis en gestion extinctive, c'est-à-dire que des crédits étaient ouverts uniquement pour assurer les appels d'offres des années passées, sans en prévoir de nouveau. Désormais, plus aucun crédit n'est prévu, alors qu'il s'agit d'un outil de soutien et de protection des services commerciaux et artisanaux de proximité auquel l'ensemble des acteurs de terrain a indiqué être attaché.
Le Gouvernement justifie sa décision en arguant de la compétence économique des régions, de la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et du programme « Action coeur de ville ». Je conteste cette analyse, pour trois raisons : premièrement, aucun autre dispositif n'est aujourd'hui prêt à prendre sa relève - l'ANCT existe en effet depuis moins d'un an ; deuxièmement, le programme « Action coeur de ville » concerne uniquement les villes moyennes et ne luttera donc pas contre la vacance commerciale en zone rurale ; troisièmement, les régions n'ont pas encore achevé la montée en puissance de leur compétence économique qui, en tout état de cause, est jugée trop éloignée du terrain, selon les acteurs de proximité. Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir les crédits du FISAC en le dotant de 30 millions d'euros. L'urgence de venir au secours du commerce et de l'artisanat dans nos territoires en difficultés n'a jamais été aussi grande.
Deuxièmement, il n'est prévu dans cette mission « Économie » qu'une maigre dotation de 900 000 euros à destination de l'Institut national des métiers d'art (INMA), association d'utilité publique qui se transforme progressivement en Agence française des métiers d'art et du patrimoine vivant. L'an dernier, l'institut avait pu bénéficier de 1,2 million d'euros de subventions. L'objectif du Gouvernement est que l'institut s'autofinance à partir de 2022.
Or la crise actuelle va mécaniquement impacter les ressources de l'INMA, par exemple via l'annulation des salons ou la baisse du mécénat. En outre, une réflexion est toujours en cours sur le traitement fiscal de ces nouvelles ressources, alors que l'INMA est une association reconnue d'utilité publique. Il serait particulièrement dommageable que le projet du Gouvernement entraîne l'assujettissement de ces ressources à la TVA et, potentiellement, la perte du statut associatif. L'objectif d'autofinancement en 2022 est donc, à l'heure actuelle, irréaliste.
Je vous proposerai donc un amendement augmentant de 300 000 euros la dotation versée à l'INMA afin d'assurer son activité l'an prochain.
J'en viens maintenant au plan de relance pour l'économie de proximité, essentiellement retracé dans le programme « Cohésion » de la mission « Relance », que notre collègue Anne Chain-Larché nous a présentée la semaine dernière. Comme nous le savons tous, le commerce de proximité connaît des difficultés structurelles depuis plusieurs années et subit un enchaînement de crises depuis deux ans. Après une perte moyenne de 30 % de leurs ventes durant le mouvement des gilets jaunes, comme l'a montré Evelyne Renaud-Garabedian dans son rapport l'an dernier, les commerçants ont été impactés par les mouvements sociaux fin 2019 et, cette année, ont affronté deux confinements. C'est plusieurs dizaines de milliers de commerces qui pourraient disparaître d'ici fin 2021, entraînant la perte de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Les conséquences seront multiples, de l'aggravation de la vacance commerciale à la hausse du chômage. Surtout, c'est un pan de l'économie fait de liens sociaux, de contacts humains, de conseils, qui s'effondre.
Face à ce terrible constat, le Gouvernement prévoit un plan d'environ 200 millions d'euros, uniquement axé sur l'offre. Non seulement le montant ne semble pas encore à la hauteur des enjeux, mais il se décompose en outre en une kyrielle d'actions hétérogènes, chacune dotées de faibles crédits, et parfois même sans que leur présence au sein d'un tel plan ne paraisse évidente...
Le Gouvernement entend ainsi créer 100 foncières afin de rénover des locaux commerciaux et de les louer à un tarif préférentiel. C'est une initiative bienvenue, mais gonflée par un effet d'annonce : en réalité, plus de la moitié de ces foncières existent déjà, dans le cadre d'« Action coeur de ville », et sont financées par la Banque des territoires à hauteur de 200 millions d'euros. Seule une enveloppe supplémentaire de 60 millions d'euros est prévue par le Gouvernement dans ce plan de relance pour que de telles foncières soient créées également en zone rurale, et non uniquement dans les villes moyennes.
Il conviendra de veiller, en tout état de cause, à ce que les plus petites villes, villages ou bourgs aient bien accès à ces foncières, et que les élus de ces territoires les moins dynamiques soient précisément informés de leur fonctionnement ; autrement, seules les communes disposant de moyens techniques et humains suffisants en auront connaissance ou sauront les appréhender. À nouveau, de bonnes intentions pourraient manquer leur cible.
Le plan de relance prévoit également une enveloppe de 40 millions d'euros qui permettra de financer des actions collectives menées par les collectivités en faveur de la revitalisation des centres-villes. Parmi elles figurent, par exemple, le recrutement de managers de centres-villes, l'achat de prestations d'ingénierie numérique, comme des analyses de zone de chalandise, la création de plateformes numériques locales, sur le modèle du site « Achatville » créé par le réseau consulaire ou sur celui de « Ma Ville Mon Shopping », hébergé par La Poste.
Nous le voyons, le Gouvernement souhaite mettre l'accent sur la numérisation des commerces de proximité. Pour autant, avec un plafond de 20 000 euros par action menée, l'enveloppe ne pourra financer au maximum que 2 000 actions : une goutte d'eau dans l'océan des besoins de nos territoires. En outre, alors que la relance du commerce de proximité passe nécessairement par des outils flexibles et adaptables aux diverses réalités des territoires, les modalités de déblocage de ces crédits semblent au contraire particulièrement rigides : le montant de l'aide est fixe, indépendamment de la taille de la commune, de la profondeur de ses besoins ou de son taux de vacance commerciale.
Une enveloppe de 40 millions d'euros est également prévue dans le plan de relance pour des prêts « Croissance TPE » accordés par Bpifrance pour financer des dépenses ayant une faible valeur de gage. Il est pour le moins surprenant de faire figurer cette enveloppe dans le plan de rénovation des commerces de centre-ville : ces prêts bénéficieront en effet à toute TPE éligible, indépendamment de son secteur d'activité, de sa localisation, et sans que la dépense couverte ne concerne spécifiquement la rénovation commerciale. Il semble donc s'agir là d'un effet d'annonce.
Dans l'objectif d'accélérer la numérisation des PME, dont le confinement rappelle l'intérêt en termes de ventes, le Gouvernement a également prélevé à l'Assemblée nationale 60 millions d'euros du Fonds de solidarité pour financer une aide de 500 euros versée aux commerçants ou artisans fermés administrativement et n'ayant aucune présence numérique. L'aide doit permettre de prendre en charge, partiellement, certaines dépenses comme l'achat d'un site internet ou le paiement de l'adhésion à une plateforme de commerce en ligne.
Il semble donc que le Gouvernement ait fini par entendre les demandes répétées du Sénat, qu'il s'agisse de la Délégation aux entreprises ou de notre commission, de traiter le sujet du financement de la transition numérique. Toutes les études montrent que le coût de la formation ou des équipements est un frein massif à cette numérisation. Pour autant, l'aide ne concernera que les entreprises contraintes de fermer, dans la limite de 120 000 entreprises, alors que l'impératif de numérisation touche plus largement toutes nos PME, et singulièrement celles de proximité. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement créant un crédit d'impôt de 50 % à la formation et à l'équipement numérique, utilisable par les PME dans la limite de 10 000 euros par an. Le Sénat l'avait adopté lors de l'examen de la 3e loi de finances rectificative, contre l'avis du Gouvernement. Or nous ne réussirons cette nécessaire transition que si l'obstacle financier est levé et qu'il existe un instrument fiscal clair à disposition des entrepreneurs.
Je me félicite que le sujet de la numérisation des PME soit devenu central. J'ai donc analysé plus particulièrement l'opérateur principal sur lequel s'appuie le Gouvernement pour promouvoir sa politique en la matière : l'initiative « France Num », créée en 2018. Elle remplit principalement un rôle utile d'intermédiaire en référençant sur son site internet les professionnels du numérique disponibles pour accompagner les petites entreprises, ainsi qu'un rôle de sensibilisation, en publiant de nombreuses vidéos et articles. Pourtant, étonnamment, elle ne contrôle pas de façon approfondie la fiabilité et le sérieux des personnes proposant leurs services ; elle n'assure pas non plus de suivi des actions de numérisation, ce qui ne lui permet pas de mesurer sa propre efficacité. Ces deux lacunes peuvent être particulièrement dommageables, alors que l'on sait que le virage du numérique nécessite une relation de confiance entre la petite entreprise et le professionnel, qui sont par nature dans une relation asymétrique.
Par ailleurs, 11 millions d'euros ont été accordés à « France Num » en loi de finances rectificative pour qu'elle finance des diagnostics et des formations, essentiellement assurés par le réseau consulaire. Pour 2021, 26 millions d'euros supplémentaires sont prévus. Je salue cette initiative, qui montre que la politique de numérisation commence à entrer dans une phase d'intensification.
Malheureusement, toutes ces initiatives risquent de se heurter à un obstacle clé : « France Num » manque fortement de notoriété. Ses campagnes de communication sont diffusées via des supports ou des canaux qui ne sont en réalité familiers que des entrepreneurs déjà informés du sujet : web radio, magazine Frenchweb, salon nationaux ou internationaux, etc. Autrement dit, la communication de « France Num » s'adresse à ceux qui en ont le moins besoin.
Il est donc essentiel de prévoir au contraire une vaste campagne nationale de communication qui utilise les médias grand public, de télévision, de presse et de radio. Je vous proposerai donc un amendement augmentant le budget de « France Num » de 5 millions d'euros, afin de financer cette campagne de communication mais également de mettre en place un dispositif de suivi de ses actions et de mesure de leur efficacité ainsi que de renforcer les contrôles de fiabilité des professionnels qui se référencent sur la plateforme.
Nous le voyons donc, le plan de relance de l'économie de proximité est d'un maigre montant, 200 millions d'euros, et comporte essentiellement des mesures de rénovation des locaux et de numérisation. C'est utile, mais largement insuffisant, alors que les restaurateurs craignent par exemple la disparition des deux tiers d'entre eux, et que leur activité a encore chuté de 60 % en novembre. Les annonces d'hier soir, qui plus est, attestent que cette chute aura également lieu en décembre et, pour partie, en janvier.
Aucune mesure de relance n'est spécifiquement dédiée à ce secteur, de même qu'aucune mesure n'est tournée vers le redémarrage de la consommation, en particulier celle des plus modestes qui ont une propension marginale à consommer plus élevée ! Il est anormal de concentrer la quasi-intégralité de l'enveloppe de relance sur le numérique, aussi utile soit-il, et d'en oublier ces mesures de demande.
Pourtant, une fois la réouverture des restaurants autorisée, c'est bien à un risque d'insuffisance de la demande que ces derniers feront face. Cet été, après le premier confinement, le marché de la restauration n'avait ainsi atteint que 70 % du chiffre d'affaires généré au cours de l'été 2019.
Il n'est pas possible que le secteur le plus sinistré par cette crise ne fasse pas l'objet d'un soutien spécifique, massif, afin de le relancer au plus vite. Au Royaume-Uni, par exemple, l'État a pris en charge en août la moitié des additions des clients des restaurants, dans la limite de 10 livres par repas. La mesure est utile, mais pouvait engendrer des effets d'aubaine car elle n'était pas ciblée sur les plus précaires.
Compte tenu du délai limite de dépôt d'amendement sur la mission « Relance », j'ai donc déposé hier un amendement en mon nom pour que soit créé par l'État, pendant un mois, un dispositif de « chèque restaurant » à destination des ménages les plus modestes (par exemple ceux des trois premiers déciles de revenus).
Ces chèques seraient distribués par les communes volontaires, via par exemple les centres communaux d'action sociale, qui ont une forte légitimité en la matière. Le montant de la mesure est conséquent : 400 millions d'euros ; mais ce n'est rien à côté des pertes subies par les restaurateurs !
N'oublions pas, en outre, que la réouverture se fera pour eux dans des conditions toujours strictes : le nombre de couverts sera diminué et la clientèle étrangère manquera. Il est donc particulièrement important d'envoyer un signal fort à ce secteur, de permettre aux ménages en difficultés financières de partager ces moments de convivialité, et de tirer la sonnette d'alarme auprès du Gouvernement.
Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je vous proposerai donc un avis favorable aux crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption des quatre amendements relatifs au FISAC, à l'INMA, à « France Num » et au crédit d'impôt.
Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail ; la mission « Économie » regroupe en effet de nombreux opérateurs et des sujets hétérogènes. Je souhaiterais avoir votre avis sur le plan de soutien aux entreprises exportatrices, qui comporte entre autres un renforcement de leur accompagnement par Business France, des chèques exports ainsi que des incitations au recrutement. Quel est votre avis sur le fait d'inciter ainsi ces entreprises à prendre des risques dans une période dans laquelle l'accent est au contraire mis sur le soutien aux entreprises qui s'adressent à notre marché national ?
Je félicite également le rapporteur pour son travail. Je soutiens l'amendement relatif au FISAC. L'Assemblée nationale a voté le maintien des zones de revitalisation rurale jusqu'au 31 décembre 2022, compte tenu de la crise actuelle. Dans ce même esprit, il est également important de conforter le FISAC sur cette période, afin d'accompagner le commerce de proximité qui est dans une situation catastrophique. La situation est très grave dans de nombreuses villes moyennes et petites communes, où les espaces commerciaux se vident progressivement. Il y aura un avant et un après la crise actuelle : il est donc nécessaire de maintenir le FISAC. Du fait de son activité en 2020, il sera par ailleurs aisé de le proroger.
Le maintien et le soutien au FISAC est déterminant pour nos territoires, à commencer par les petites communes. Nous soutiendrons donc cet amendement.
Je partage votre avis sur le manque de moyens concernant le commerce de proximité et la manque d'ambition concernant la numérisation des entreprises. Il faut rappeler que le commerce en ligne est passé de 25 milliards d'euros en 2009 à 100 milliards d'euros en 2018, soit une multiplication par quatre. Il est donc très important que les entreprises réussissent leur transition numérique.
En outre, il faut rechercher une plus grande solidarité entre les acteurs. Je rappelle à ce titre que le Sénat a adopté le 21 novembre dernier une taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises de vente à distance. Ce sujet rejoint par ailleurs celui de la « taxe GAFA ».
Je salue également la qualité de l'analyse, que je partage. Concernant les chèques restaurants, l'intention est louable, mais je souhaiterais poser une question sur son ciblage. Les plus modestes, en effet, ne vont plus au restaurant. Cette aide ne risque-t-elle pas de bénéficier à McDonald's ?
À ce sujet, il pourrait être intéressant d'entendre les porteurs du projet « sécurité sociale de l'alimentation », ainsi que l'association Solidarité Paysans : ils travaillent à la distribution de bons d'achat pour les plus modestes, ciblés vers la production et l'agriculture de proximité.
Je souligne la qualité du rapport. Nous avons des échanges nombreux à ce sujet, avec le rapporteur et d'autres collègues, et nous sommes d'accord sur beaucoup de points. Entre autres, sur le maintien du FISAC ; notre groupe déposera d'ailleurs un amendement similaire.
Nous sommes dans une année exceptionnelle pour les petits commerces et l'artisanat. Or entre mission « Relance » et la mission « Économie », il est difficile de s'y retrouver ! En réalité, le débat politique et budgétaire aura surtout lieu sur le plan de relance, pour lequel 150 amendements ont déjà été déposés.
Concernant le Fonds de solidarité, je constate que du temps aurait été gagné si le Gouvernement avait écouté plus tôt le Sénat. Certains critères nécessitent toujours d'être assouplis : les employeurs, des dizaines de milliers de petits patrons, n'y ont toujours pas droit. Il est inconcevable que le Gouvernement refuse toute condition aux aides aux grands groupes mais soit en mesure, via la technocratie de Bercy, d'inventer de nombreux obstacles qui barrent la route vers les aides aux petits commerces et artisans.
Le débat est ancien entre choc de l'offre et choc de la demande. Je constate que les 10 millions de pauvres sont les grands oubliés du discours du Président de la République. L'aide de 150 euros annoncée il y a maintenant six mois ne résoudra pas la crise : c'est la question de la hausse des salaires et du partage des richesses qui doit être posée.
Enfin, il est nécessaire de prévoir une aide encore plus spécifique pour les bars et restaurants que celle annoncée hier soir. Par ailleurs, quand étudiera-t-on cette mesure ? Dans un cinquième projet de loi de finances rectificative pour 2020 ? Dans un premier projet de loi de finances rectificatives pour 2021 ? Le Parlement est devenu le paillasson de l'exécutif. Les propositions que notre commission formulait ont ainsi été refusées, avant qu'elles ne soient financement appliquées par le Gouvernement quelques jours plus tard, ce que l'on apprenait par communiqué de presse !
Nous sommes donc, potentiellement, en train de voter un budget insincère, et nous interpellerons le Gouvernement sur cette nouvelle mesure.
Je salue le travail de notre rapporteur. Je souhaiterais vous interroger sur le travail des chambres de commerce et d'industrie (CCI), et notamment sur celui d'accompagnement à la numérisation : quels outils sont mis en place ? Il sera important qu'il se fasse au plus proche du commerçant ou de l'artisan.
L'enjeu, en tout état de cause, sera de relancer la demande, ce qui nécessite de la confiance ; or le discours, hier, du Président de la République était anxiogène. Comment faire en sorte que les Français disposant d'une épargne accumulée la consomment ? Si elle n'est pas débloquée, les aides risquent de ne pas être suffisantes et dureront plusieurs mois.
L'importance du FISAC a été soulignée par mes collègues ; c'est en effet un outil essentiel.
Concernant l'annonce faite hier par le Président de la République d'une aide de 20 % du chiffre d'affaires des restaurateurs, il m'a été indiqué que l'assiette serait plafonnée à 100 000 euros. Pour un chiffre d'affaires supérieur, l'aide ne pourra donc dépasser 20 000 euros. Une colère sourde monte actuellement parmi les restaurateurs, qui ne comprennent pas pourquoi ils sont maintenus fermés. Ce n'est plus une question d'aide financière, mais de conséquences psychologiques : ils veulent travailler ! Sans annonce les concernant avant le 20 janvier, le mouvement social pourrait être important, et aurait le soutien d'une partie importante de la population.
Le Secours catholique et le Secours populaire nous alertent justement sur les fortes souffrances éprouvées par ceux qui y font appel.
Le fait que les restaurants soient fermés pose également d'autres problèmes : les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, par exemple, sont obligés de s'entasser dans leur camionnette pour manger ou de manger dehors. En hiver, avec d'aussi basses températures, c'est tout à fait anormal ! Le Gouvernement a certes assoupli les règles en faveur des chauffeurs routiers, mais il convient de ne pas oublier ces autres professions.
Avant de passer la parole à notre rapporteur, je souhaiterais rappeler la phrase exacte prononcée par le chef de l'État hier : « en plus des dispositifs déjà existants, les restaurants, les bars, les salles de sport, les discothèques, tous les établissements qui resteront fermés administrativement se verront versés, quelle que soit leur taille, 20 % de leur chiffre d'affaires de l'année 2019 si cette option est préférable pour eux aux 10 000 euros du Fonds de solidarité ». La nouvelle n'est donc pas forcément excellente : ils devront choisir entre l'un ou l'autre.
On peut se réjouir que les commerces de proximité puissent rouvrir dès le samedi 28 novembre. Mais les restaurants, bars, salles de sport, vont rester fermés encore deux mois, au minimum. De nouveaux protocoles sanitaires sont en discussion, alors que ceux qui avaient permis la réouverture après le premier confinement étaient déjà draconiens (certains ont même décidé de ne pas rouvrir, compte tenu de leur petite taille). Ils auront subi au total six mois de fermeture administrative ! Rien ne dit en outre que les clients seront au rendez-vous lors de la réouverture.
Se pose aussi la question de savoir quelle sera la capacité d'accueil autorisée... Hier, le discours du Président de la République ne contenait que du négatif. J'ai eu le sentiment d'un propos fermé, comme si nous étions pris au piège. Dans ces conditions, le message ne peut pas passer.
Ma région subit déjà le Brexit, un taux de chômage de 14 %, et les problèmes migratoires. Il faut donc absolument aider ces commerçants et artisans de proximité, qui ne seront pas sauvés par une simple réouverture. En outre, les Français savent bien que lors des vacances, des sports d'hiver, des loisirs, ils n'auront pas de restaurant.
Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez au rapport.
Concernant la nouvelle aide à destination des restaurants, bars, etc., le Président de la République n'a pas indiqué de plafonnement du chiffre d'affaires pouvant être pris en compte. Les restaurateurs ont donc dû réfléchir, parfois avec angoisse, aux différentes options possibles.
Aujourd'hui, le risque de fermeture est évalué à 60 % : que sera-t-il dans deux mois ? Le risque social est en effet considérable, et les salariés n'ont même pas de visibilité pour leur propre vie personnelle. La fermeture des restaurateurs touche en outre à la culture française, à un certain attachement à la gastronomie. Une déconvenue supplémentaire entraînera des réactions fortes. Nous faisons donc face à un problème grave de communication du Gouvernement, alors que les gens sont à fleur de peau.
Les cas particuliers cités par Mme Chauvin sont exacts : ils nous ont en effet été remontés par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB). Les ouvriers sont obligés de se confiner dans l'habitacle du camion, sans masque. Nous avons interpellé les pouvoirs publics sur ce sujet.
Les protocoles des restaurateurs étaient déjà très stricts : on ne pourra pas exiger d'eux d'espacer encore davantage les tables.
L'amendement sur les chèques restaurants concerne la demande : inutile d'ouvrir les magasins s'il n'y a pas de consommation. L'amendement est donc en faveur des restaurateurs, secteur le plus touché, ciblé sur les plus modestes, distribué au plus proche des consommateurs, par exemple par les centres d'action sociale. Ils pourront déterminer les bénéficiaires, ainsi que les restaurants éligibles, pour éviter que les tickets soient utilisés dans les fast-foods de la ville centre. L'objet est donc bien de permettre aux personnes en situation de précarité de partager un moment de convivialité, et de redynamiser ainsi les restaurants.
Concernant la numérisation des PME, il faut savoir qu'un tiers seulement du 1,5 million de petites et moyennes entreprises ont un site internet, tous n'étant pas forcément des sites marchands. C'est une cause nationale, d'autant que beaucoup de chefs d'entreprises ne voient toujours pas l'intérêt de la numérisation.
Les CCI ont développé une plateforme de commerce en ligne, Achatville. Étant décentralisée, cette plateforme n'a pas été mise en place dans chaque département. Nous avons donc eu des contacts avec CCI France et plusieurs CCI de régions afin de les pousser à l'installer. Le réseau consulaire dispense également des formations : 10 000 doivent l'être en 2020. Il faut saluer le travail des CCI et des chambres des métiers et de l'artisanat, alors que les difficultés dépassent désormais la sphère économique et concernent désormais les problématiques humaines. Les CCI sont en première ligne pour prévenir les drames humains. Beaucoup d'indépendants prennent le chemin des « restos du coeur »...
Mon rapport s'est concentré sur les crédits liés au commerce et à l'artisanat, et n'a donc pas abordé le sujet des entreprises à l'international. En revanche, à titre personnel, je me suis intéressé au renforcement de l'aide aux entrepreneurs français à l'étranger. En tout état de cause, les échanges internationaux sont aujourd'hui figés : les exportations, espérons-le, redémarreront en 2021.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 33
État B
L'amendement AFFECO.1 vise à empêcher la disparition du FISAC en le dotant de 30 millions d'euros. C'est en effet un outil efficace et apprécié de l'ensemble des acteurs du terrain. Aucun dispositif ne semble aujourd'hui prêt à prendre réellement sa relève.
L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.2 vise à abonder de 5 millions d'euros les fonds de l'initiative « France Num », dans l'objectif de financer une vaste campagne de communication nationale qui cible le grand public, et non uniquement les initiés. Ces fonds permettront également de mettre en place un système de suivi des actions menées grâce à « France Num », afin de disposer d'un retour sur son efficacité.
L'amendement AFFECO.2 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.3 entend augmenter la subvention publique versée à l'Institut national des métiers d'art de 300 000 euros supplémentaires. L'objectif de son autofinancement en 2022 semble en effet irréaliste, compte tenu de l'impact de la crise actuelle sur ses ressources propres et sur le mécénat.
L'amendement AFFECO.3 est adopté à l'unanimité.
L'amendement AFFECO.1 entend créer un crédit d'impôt à la formation et à l'équipement numérique. Dans la limite de 10 000 euros par an, 50 % des dépenses en la matière seraient ainsi prises en charge. Il s'agit de faire entrer la numérisation des PME dans une nouvelle dimension, à la hauteur des enjeux.
L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Commerce et artisanat » de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de ses amendements.
Nous passons à présent à l'examen des crédits « Numérique et postes ». Je cède la parole à Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis.
Je souhaite au préalable remercier mon collègue Patrick Chaize pour nos échanges sur cette mission. Comme pour l'ensemble du budget cette année, la mission « Économie » est complétée par le plan de relance, qui reprend plusieurs préconisations que nous avions formulées au printemps. Je pense notamment à l'inclusion numérique ou à la numérisation des PME, dont M. Serge Babary vient de parler en détails.
J'ai souhaité cette année concentrer mon avis budgétaires sur trois principaux points, dont deux figuraient dans nos réflexions sur le plan de relance. L'autre point, concernant La Poste, est d'une actualité budgétaire plus récente.
Premier point : le Sénat a semble-t-il enfin été entendu sur le financement des réseaux de télécommunications à usage fixe. Cela faisait plusieurs années que nous plaidions en faveur d'une rallonge budgétaire substantielle pour donner de la visibilité aux acteurs des réseaux sur tout notre territoire. L'année dernière, nous avions plaidé pour 322 millions d'euros supplémentaires. Cette année, en troisième projet de loi de finances rectificative, j'avais obtenu, en lien avec la commission des finances, une rallonge de 30 millions d'euros. Dans le plan de relance, c'est un surplus de 240 millions d'euros qui est dégagé. Au-delà de cette enveloppe, le Gouvernement estime pouvoir « recycler » 280 millions d'autorisations d'engagement non utilisées au préalable. En tout, cela ferait 550 millions d'euros. Ce n'est pas encore les 670 à 680 millions que la filière réclame pour couvrir l'ensemble du territoire, et cette enveloppe sera composée pour une bonne partie de crédits qui ne sont pas nouveaux - puisque, comme je l'ai déjà dit l'année dernière il y a une part de recyclage -, mais c'est déjà un budget conséquent, qui permettra de sortir des errements de ces dernières années. Nous avons d'abord connu une fermeture du guichet « France très haut débit », puis nous avons observé sa réouverture, mais dans des conditions resserrées. Ces 550 millions d'euros donneront lieu à l'établissement d'un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d'initiative publique. Il conviendra que celui-ci établisse un cadre stable, pérenne, et de nature à traiter les raccordements longs et complexes à venir, pour faciliter les investissements et ne laisser personne au bord du chemin numérique.
Sur le terrain, si la dynamique enclenchée est bien réelle, il y a encore des millions de locaux qui ne sont pas couverts ni en très haut débit ni en fibre optique jusqu'à l'abonné. Le confinement a bridé la dynamique haussière mais heureusement, si l'on suit les premières tendances de l'année, on arrive à des estimations oscillant entre 4,8 et 5 millions de prises installées en 2020, contre 4,8 millions en 2019. Le retard pourrait donc être rattrapé grâce à la mobilisation des entreprises. C'est essentiel car 35 % des locaux restent inéligibles au très haut débit et 48 % des locaux restent inéligibles à la fibre - et c'est 75 % en zone rurale. Nous sommes toujours bons derniers de l'Union européenne sur le très haut débit fixe. En somme, le chemin reste long à parcourir mais le signal envoyé par le projet de budget, à travers le plan de relance, est encourageant.
S'agissant du mobile, la dynamique des déploiements dans le cadre du « New Deal » apparaît vraiment positive si l'on regarde les derniers chiffres : la France est ainsi passée de la 18e à la 13e place en Europe et cela devrait encore s'améliorer. Compléter la couverture du territoire en 4G et ne pas prendre de retard sur la 5G sera un véritable défi industriel pour les acteurs des télécommunications. Pour accompagner ce mouvement, je proposerai en séance de parvenir à une fiscalité plus favorable aux déploiements d'antennes mobiles à travers deux amendements : l'un prolongeant le dispositif d'exonération existant en zone de montagne, l'autre - qui est plutôt un amendement d'appel dans l'attente d'un rapport des services de l'État sur le sujet - plafonnant le produit de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) « mobile » à son niveau de 2020. Ainsi, nous préserverions les recettes perçues jusqu'alors par les collectivités locales tout en créant un environnement plus favorable à cette nouvelle vague de déploiements tant attendue.
J'en viens au deuxième point s'agissant de la mission « Économie », qui concerne le financement des missions de service public de La Poste. Année après année, les missions de service public confiées à La Poste sont sous-compensées par l'État. En tout, La Poste estime le déficit non compensé de ces missions de service public à 850 millions d'euros. Dans ces conditions, nous risquons une dégradation des services.
Il en va de même s'agissant de la mission de transport et de distribution de la presse. Sa compensation baisse encore de quelques millions d'euros, sans que La Poste n'ait été consultée. Une mission d'inspection est en cours pour faire des propositions. Nous y serons attentifs.
Cela doit conduire notre commission à mener une réflexion plus globale sur l'ensemble des missions de service public de La Poste, en particulier sur un renouveau du service universel, peut-être plus numérisé et qui réponde davantage aux attentes de nos concitoyens dans les années à venir.
Mais dans ce projet de loi de finances, l'urgence porte sur la mission d'aménagement du territoire. Cette mission de service public qui garantit un maillage territorial fort de 17 000 points de contact et qui se traduit par des actions de financement concrètes, en lien avec les commissions départementales de présence postale territoriale, est financée par des abattements de fiscalité locale, en particulier par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Or, la suppression de la moitié de la CVAE régionale dans le projet de loi de finances pour 2021 fait perdre 66 millions d'euros d'abattements correspondant, qui finançaient la mission d'aménagement du territoire. L'État n'avait manifestement pas anticipé le sujet car rien n'est prévu dans le projet de budget pour compenser cette perte ! Cette mission est déjà déficitaire à hauteur de 60 millions d'euros. Poursuivre sur cette voie serait prendre le risque d'une dégradation importante des services. Il convient donc que l'État compense les effets de la réforme de la fiscalité de production. Il tiendrait ainsi sa parole, car il s'était engagé dans le contrat de présence postale territoriale signé avec les élus locaux à un financement annuel de 177 millions d'euros par an. Un amendement a été adopté par le Sénat en première partie au projet de loi de finances sur ce sujet, en affectant une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée au fonds national de péréquation territoriale. Si c'est un signal assurément bienvenu, le Gouvernement n'est pas disposé à l'accepter. Cette solution risque donc de ne pas prospérer au cours de la navette. C'est pourquoi je vous proposerai, en lien avec M. Patrick Chaize, président de l'observatoire national de présence postale, d'adopter un amendement de crédits dotant à hauteur de 66 millions d'euros la mission « Économie » pour maintenir le niveau de financement de cette mission d'aménagement du territoire. C'est une solution à laquelle le Gouvernement semble adhérer. Afin que l'État honore sa parole sur toute la durée du contrat de présence postale territoriale, j'assortirai l'amendement d'une demande que le Gouvernement s'engage à reconduire la subvention dans les années à venir.
Au-delà de l'urgence, je disais qu'il faudrait nous pencher également sur le financement à plus long terme des missions de service public. La crise sanitaire a porté un nouveau coup dur au service universel postal : elle a accéléré de deux ans la baisse du courrier par rapport aux prévisions, générant un déficit prévisible de la mission d'environ 1,5 milliard d'euros en 2020 selon La Poste. Cet effondrement de l'activité courrier est insoutenable pour l'entreprise publique et ne peut être compensé par la croissance des services colis. Nous devrons mener ce chantier de réflexion en 2021. C'est l'occasion de créer un nouveau service universel modernisé, le cas échéant plus numérisé.
Enfin, j'ai souhaité me pencher cette année sur le sujet de la fiscalité applicable aux centres de stockage de données - les data centers. Ces infrastructures sont essentielles à notre avenir numérique, notamment comme élément de souveraineté. Un avantage fiscal a été créé en 2019 pour inciter à l'implantation de data centers en France. Il y avait deux raisons à cela : d'abord, la vive concurrence entre États européens pour accueillir ces infrastructures numériques stratégiques ; ensuite, pour maximiser l'avantage compétitif de notre pays que constitue son prix de l'électricité, parmi les moins chers. Il fallait donc que la fiscalité accompagne cet effort d'attractivité.
Mais il y avait deux limites à ce dispositif aujourd'hui en vigueur, limites que je proposerai de corriger en séance publique à l'occasion de ce projet loi de finances. D'abord, l'avantage fiscal ne s'applique pas à tous les data centers, mais seulement aux plus énergivores, créant une rupture d'égalité et qui se justifie d'autant moins que cela n'incite pas à réduire l'empreinte environnementale des data centers. Je proposerai d'y revenir à travers un amendement qui étend l'avantage fiscal à tous les data centers. Ensuite, il s'agit d'obtenir, en contrepartie, des engagements environnementaux. Jusque-là aucun dispositif de ce type n'a été adopté, malgré ce qui avait été initialement envisagé. C'est ce que propose de corriger le projet de loi de finances en mettant en place une forme d'éco-conditionnalité du dispositif, qui consiste notamment en l'adhésion à un programme de mutualisation des bonnes pratiques de gestion énergétique. Dans une logique conciliation entre attractivité et exigences environnementales, je proposerai en séance un amendement visant à aligner ces exigences sur celles déjà édictées au niveau européen, dans le cadre du code de bonne conduite européen auquel adhèrent de nombreux acteurs de la filière. C'est une approche européano-compatible qui devrait séduire le ministre Cédric O, qui nous a montré à maintes reprises son attachement à l'échelon européen ! Cela favorisera l'intégration des data centers français dans un référentiel environnemental commun à l'échelle européenne.
Pour conclure, je vous invite, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous propose sur La Poste, à émettre un avis favorable sur ces crédits qui, comme vous l'aurez compris, sont sauvés par le plan de relance.
Les opérateurs ont pu avoir droit à des conditions préférentielles d'octroi des fréquences. Quelles sont les contreparties qui leurs sont imposées sur la 5G ? Nous serions en droit de leur demander des engagements fermes, notamment auprès des collectivités, pour accélérer le calendrier de couverture. Cet enjeu est fondamental pour le public mais aussi pour les entreprises établies en milieu rural.
La notion de service universel du numérique est fondamentale pour assurer un service équitable et équilibré de l'ensemble du territoire. La 4G doit être ce minimum accessible à tous. Je vais prêcher dans le désert mais on sait que la 5G fait débat ! L'intérêt de la 5G pour le monde économique et industriel est indéniable, ainsi que pour la santé, éventuellement pour les administrations. Mais pour le grand public, dès lors que tout le monde sera équipé de la 4G, le service minimum sera assuré. Il ne faut pas continuer la fuite en avant. Comment fera-t-on quand nous serons arrivés à la 4G ? Comme disait Coluche, « on ne sait pas où on va, mais on y va ! ».
Sur le déploiement de la 5G, je ne reviendrai pas sur les débats que l'on connaît tous. Les opérateurs ont déboursé 2,7 milliards d'euros, et il y a bien sûr des contreparties dans les autorisations qui leur ont été octroyées, par exemple l'obligation de déployer 10 500 antennes d'ici à 2025. Une attention particulière a été portée pour éviter que les déploiements se focalisent sur les zones denses. Il s'agit notamment de couvrir des zones d'activité prioritaires en zone rurale, qui ne doivent en aucun cas pâtir d'un retard. Sur la 4G, le New Deal a également permis une amélioration de la couverture. Par exemple, 96 % du territoire est au moins couvert par un opérateur.
J'en viens à l'amendement que je vous propose : il vise à abonder la mission « Économie » à hauteur de 66 millions d'euros afin de financer la mission d'aménagement du territoire de La Poste. L'idée serait d'obtenir que le Gouvernement « lève le gage » en séance publique.
La commission adopte l'amendement AFFECO.4.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Numérique et postes » de la mission « Économie », sous réserve de l'adoption de son amendement.
Nous passons à présent à l'examen des crédits « Industrie ». Je cède la parole à M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis.
Cette année plus encore que d'ordinaire, l'industrie est au centre des débats sur la politique économique de la France. En marquant un coup d'arrêt brutal à l'activité des entreprises industrielles, en interrompant les échanges commerciaux et les chaînes d'approvisionnement traditionnelles, la crise liée à la pandémie de coronavirus a mis en évidence les conséquences de plusieurs décennies de désindustrialisation et de délocalisation.
À l'heure où se pose désormais la question de la reprise, mais surtout de la relance, il est plus que jamais urgent de se doter d'une politique industrielle claire, structurée et conquérante. Comment remédier aux faiblesses structurelles de notre tissu productif ? Comment réinvestir des pans d'activité que nous avions délaissés au profit d'importations moins coûteuses ? Quel plan d'action pour se positionner sur les produits et technologies d'avenir ? Et plus généralement, quelle sera la place de l'industrie et des emplois industriels dans notre société ? Un rapport de la Fabrique de l'Industrie paru il y a quelques jours à peine rappelle à ce titre que les entreprises industrielles tirent vers le haut la productivité et la capacité d'innovation de notre pays, mais sont aussi fortement pourvoyeuses d'emploi : elles sont donc un pilier de notre tissu économique. Et ce, même si le poids de l'industrie dans l'économie n'est aujourd'hui plus que de 13 %, contre 21 % en Allemagne...
C'est dans cette optique que j'ai examiné le budget proposé par le Gouvernement pour l'année 2021, année charnière pour la relance.
Laissez-moi dire d'entrée que si mon avis « Industrie » porte formellement sur les crédits de la mission « Économie », il eut été cette année impossible d'y limiter mon analyse. De budget en budget, notre commission constate que les crédits dédiés à l'industrie dans la mission « Économie » se réduisent à peau de chagrin. En 2021, ils se limitent quasiment à une seule sous-action : la « compensation carbone » des sites électro-intensifs, pour 400 millions d'euros environ. Les crédits de l'industrie se retrouvent aux quatre coins du budget, à la façon d'un puzzle : une approche panoramique est donc nécessaire.
Il faut inclure dans notre analyse les crédits exceptionnels mobilisés depuis l'été en réponse à la crise. Selon mes calculs, depuis le 3e PLFR, ce sont au total près de 2,2 milliards d'euros du budget général qui ont été mobilisés pour l'industrie. Dans la mission « Plan de relance » du budget pour 2021, il est prévu près de 7,4 milliards d'euros pour l'industrie, dont 2,6 milliards dès 2021. En un an et demi, la politique industrielle devrait ainsi recevoir près de 15 fois plus de moyens qu'elle n'en reçoit d'habitude chaque année. Vous comprendrez donc que mon avis « Industrie » dépasse, cette année, le champ de la seule mission « Économie ».
Comment évaluer la pertinence et le ciblage de ces moyens colossaux déployés pour la relance et la transformation de l'industrie ? D'abord, en rappelant brièvement l'impact de la crise liée à la pandémie de coronavirus, et les priorités qui doivent être les nôtres.
Mon rapport démontre que le choc économique subi en mars, plus brutal et plus durable qu'ailleurs en Europe, a eu pour conséquence d'exacerber les faiblesses structurelles de notre industrie, à au moins quatre niveaux.
Premièrement, il a conduit à une forte hausse de l'endettement. Si le recours au prêt garanti par l'État (PGE) a permis de soutenir la trésorerie et d'éviter une vague de faillites à court terme, il est venu s'ajouter à l'important stock de dettes de nos entreprises industrielles. En septembre, l'encours total de la dette de l'industrie est de 147 milliards d'euros - soit 1,5 fois le plan de relance... - dont 20 milliards d'euros de PGE. Cela représente une hausse de 13 % en une année seulement. Cette hausse est principalement portée par les PME. L'endettement accru est d'autant plus problématique que les entreprises industrielles françaises se caractérisent par la faiblesse de leurs fonds propres.
Deuxièmement, l'investissement a chuté de 14 % par rapport à 2019, en raison des trésoreries asséchées et des pertes d'exploitation. Or, la France accuse déjà un important retard en matière de modernisation de l'outil industriel : à 19 ans d'âge moyen, il est deux fois plus ancien qu'en Allemagne, et bien moins robotisé et numérisé. Il souffre d'une certaine inertie : il est difficile de susciter les décisions d'investissement, surtout en conjoncture défavorable. Ce n'est pas qu'un problème de compétitivité, mais aussi un problème environnemental : on estime que 40 % de l'énergie consommée par l'industrie en France est le fait d'équipements de plus de trente ans d'ancienneté, aux mauvaises performances énergétiques. Le manque d'investissement est aussi un frein à l'innovation et à la montée en gamme.
Troisièmement, la crise a révélé l'importante dépendance de la France à certains grands secteurs exportateurs. L'aéronautique, moteur de l'export, a été touchée de plein fouet ainsi que le secteur automobile, dans une moindre mesure. Ces deux secteurs représentent le quart des exportations industrielles de la France. Les exportations aéronautiques ont baissé de 60 % au premier semestre 2020 et sont toujours aujourd'hui à - 35 % environ de leur niveau normal. En conséquence, le déficit de la balance commerciale française devrait se creuser de près de 22 milliards en 2020, atteignant - 79 milliards selon une estimation d'avant le reconfinement. Au-delà du seul déficit, le risque est que nous perdions durablement des parts de marchés à l'international.
Quatrièmement, l'emploi industriel renoue avec une trajectoire à la baisse. Pour l'instant, l'activité partielle, largement mobilisée dans l'industrie, a permis de limiter l'impact ; mais près de 53 000 emplois industriels auraient été détruits en 2020, alors que des créations nettes avaient été enregistrées au cours des dernières années. De nombreux groupes ont déjà annoncé des plans sociaux : Renault, Airbus, ou encore Vallourec et Daher ; mais les PME aussi ont stoppé les embauches. Des capacités et compétences industrielles clefs pourraient être perdues, sans parler de l'impact sur les territoires, qui sera répercuté sur les autres secteurs économiques (moindre consommation, moindre attractivité, moindre ressources fiscales pour les collectivités territoriales...).
Comment le budget pour 2021 répond-il à ces enjeux ? Du point de vue structurel, il me semble qu'il identifie bien les principaux leviers de transformation à long terme de l'industrie, même si certaines actions doivent être approfondies. En revanche, je pense qu'il sous-estime les défis à court terme, en particulier la faiblesse de la demande et le mur de la dette. À cet égard, il doit être renforcé.
Concernant la transformation à long terme, les actions du plan de relance s'organisent autour de trois axes.
Le premier axe est l'aide à la modernisation. Je me félicite que le Gouvernement ait enfin fait droit aux demandes du Sénat. Notre commission a proposé dès juin de contemporanéiser les aides à la robotisation et à la numérisation des PME : c'est désormais chose faite. Le suramortissement a été transformé en aide forfaitaire. Pour les secteurs automobile et aéronautique plus spécifiquement, deux fonds ont été mis en place pour près de 1,2 milliard sur quatre ans. J'estime toutefois qu'il faut renforcer ces efforts, d'abord en offrant aux dispositifs une meilleure visibilité en les prolongeant. Ensuite, j'ai déposé un amendement visant à prévoir une enveloppe de 20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP, dédiée au soutien des applications industrielles de la 5G en France. Cette technologie de rupture sera une part intégrante de « l'Industrie du Futur », et la France ne doit pas prendre de retard. Les usines allemandes la déploient par exemple déjà.
Le deuxième axe est le soutien à la transition énergétique. Là aussi, le Gouvernement a partiellement fait droit à des demandes de longue date de notre commission. Un crédit d'impôt couvrant une partie des dépenses des TPE et PME pour leur rénovation énergétique a été inséré à l'Assemblée nationale, tardivement, mais c'est une bonne chose. J'ai déposé un amendement pour le compléter, en faisant entrer dans son champ les dépenses d'audit énergétique, coûteux préalable aux travaux de rénovation. Si le plan de relance prévoit une enveloppe de 1,2 milliard d'euros pour la décarbonation de l'industrie, seuls 290 millions devraient être débloqués dès 2021. L'effort me paraît trop tardif. Je fais le même constat pour les actions relatives à l'économie circulaire, avec seulement 84 millions d'euros en 2021 sur 500 millions d'euros. J'ai déposé un amendement renforçant dès 2021 ce volet, en mobilisant 50 millions d'euros d'aides visant spécifiquement l'écoconception et la réduction des déchets industriels. La rénovation énergétique est une chose, mais il faut aussi accompagner la transformation des procédés de production eux-mêmes.
Enfin, le troisième axe de long terme est la « relocalisation ». Le Gouvernement entretient la confusion entre relocalisation et ce qui s'apparente en réalité davantage à de la réindustrialisation, c'est-à-dire l'implantation de nouvelles activités. Environ 400 millions d'euros devraient y être dédiés en 2021 et une trentaine de projets ont déjà été validés. Il me semble que le volet « territorial » de cette enveloppe devra faire l'objet d'une attention particulière pour assurer que l'ensemble des territoires y aient bien accès : les financements passent par le programme « Territoires d'Industrie », or l'éligibilité y est basée sur une approche géographique et la gouvernance de ce programme est difficile.
Enfin, je pense que les orientations stratégiques de la réindustrialisation du pays devraient faire l'objet d'un dialogue avec les filières, d'une part, et le Parlement de l'autre. Il nous faut établir une feuille de route stratégique partagée, qui traduise notre politique industrielle. Cette coordination des efforts passera aussi par l'échelle européenne, souvent la plus pertinente pour investir dans de nouvelles filières et pour massifier la demande.
Pour que la transformation de notre industrie réussisse, et que les dispositifs de relance que j'ai cité fonctionnent bien, il me semble en outre qu'un effort particulier de suivi et d'accompagnement devra être déployé. Avec l'affaiblissement des réseaux consulaires, la charge importante confiée aux collectivités territoriales et la réduction des services déconcentrés de l'État, nous devrons nous assurer que les entreprises trouvent bien écoute et conseil, sous peine d'être laissées au bord du chemin, comme nos auditions l'ont mis en évidence. En outre, au vu des montants colossaux en jeu, l'évaluation des politiques publiques sera centrale : nous devons exiger du Gouvernement la mise en place d'indicateurs transparents et cohérents, en matière d'emplois et de performance environnementale notamment, déclinés à l'échelle de chaque action. Je note avec surprise que le principal indicateur de performance prévu pour le plan de relance est la rapidité de consommation des crédits, et que les indicateurs de verdissement sont bien frustes... Il y a là un enjeu de responsabilité démocratique et de bonne gestion des dépenses publiques.
Si les orientations de long terme du budget me paraissent les bonnes, il me semble en revanche qu'il présente des carences à court terme.
D'abord, un soutien plus conséquent à la demande sera nécessaire. Des efforts ont été faits pour la filière automobile et l'aéronautique, mais la crise de demande qui se profile déjà fera des dégâts dans l'ensemble de l'industrie. Plusieurs leviers existent. D'abord, le soutien à des secteurs oubliés du plan de relance, comme la construction neuve, qui soutient la production métallurgique par exemple. Ensuite, la commande publique, en tirant profit des assouplissements récents - mais encore faudrait-il que les collectivités, qui représentent 60 % de l'investissement, disposent des ressources nécessaires - or le plan de relance ne soutient pas assez l'investissement local. Enfin, la réouverture des commerces est également un impératif pour l'industrie. Elle offre des débouchés indispensables pour l'industrie cosmétique et chimique, l'agroalimentaire, l'habillement ou l'ameublement et permettra de mobiliser l'épargne importante accumulée par les Français pendant la crise - angle trop peu traité par le budget pour 2021.
Ensuite, le Gouvernement ne semble pas bien prendre la mesure du mur de la dette que j'ai évoqué tout à l'heure, qui s'élève aujourd'hui à près de 150 milliards d'euros dans l'industrie. Le budget pour 2021 prévoit certes de renforcer les capacités de financement par Bpifrance, et prévoit des aides et incitations à l'investissement. Mais cela ne suffira pas à déclencher l'investissement s'il implique encore davantage de dette... La solution des prêts participatifs garantis par l'État, créés par le PLF 2021, est intéressante, car elle permet de renforcer les fonds propres. Son montant apparaît en revanche bien insuffisant - j'estime qu'il faudrait au moins le doubler - et il n'est pas certain que les investisseurs s'en saisissent... Il faut étudier d'autres solutions, en lien avec l'Union européenne, comme le cantonnement de la « dette Covid » ; la mise en place d'un PGE « de relais », au remboursement à long terme, permettant de rembourser la dette privée plus urgente ou de plus fortes incitations à l'investissement en fonds propres.
En conclusion, mes chers collègues, il me semble que la relance offre une opportunité longtemps attendue de penser une politique industrielle ambitieuse et réaliste, qui utilise tous les leviers de transformation de notre industrie. Le budget pour 2021 mobilise des montants très conséquents, sans commune mesure avec les crédits habituels de la mission « Économie », dans l'objectif de mener de nombreuses nouvelles actions de soutien. Le plan de relance identifie bien les enjeux de long terme (modernisation - transition environnementale - réindustrialisation), mais doit être renforcé à court terme pour pallier à une crise de la demande et au problème de l'endettement.
Au vu de ces conclusions, je rends un avis favorable à la mission « Économie », bien qu'elle ne soit plus cette année le véhicule budgétaire principal des crédits dédiés à l'industrie. J'ai aussi déposé plusieurs amendements à la mission « Plan de relance », qui traduisent les recommandations de mon rapport.
On compare souvent la France à l'Allemagne lorsque l'on parle de modernisation et de numérisation de l'industrie. Or, en matière de déploiement de la fibre, nous avons un coup d'avance : nous visons la couverture du territoire en 2022, alors que l'Allemagne lance à peine un grand programme, car elle n'avait pas opéré ce choix en amont. Il me semble que nous devons optimiser cette avance concurrentielle en matière de maillage du territoire car, à l'inverse, nos PME et ETI se sont peu lancées dans « l'Industrie 4.0 ». Nous avons un avantage de couverture et d'infrastructure, mais pas de technologie.
Nous sommes dans le moment de la réindustrialisation - même le Gouvernement le dit. Nous devons retrouver une souveraineté industrielle, en particulier dans un certain nombre de domaines stratégiques tels que le secteur du médicament. Or, en matière de 5G, nous sommes handicapés : nous n'avons que des solutions américaines, par Qualcomm, ou chinoises, par Huawei, car nous avons démantelé nos capacités nationales détenues par Alstom et Nokia. Maintenant qu'il existe un Haut-commissariat au plan, je m'interroge sur notre plan de réindustrialisation pour la France. Quelles sont nos priorités, nos secteurs de souveraineté ? Le ministre Arnaud Montebourg s'était attelé à délimiter ces secteurs essentiels, dont la loi PACTE a encore élargi le champ.
Il existe une vraie question vis-à-vis des licenciements. L'une des réponses est, peut-être, le chômage de longue durée, qui a été négocié avec les syndicats mais peu d'entreprises y font en réalité appel. D'autres préfèrent aujourd'hui licencier, notamment dans le secteur aéronautique. On ne peut pas imposer le recours au chômage de longue durée ; mais comment peut-on engager les négociations avec les entreprises, au plus haut niveau, pour éviter de licencier des milliers de personnes alors que le carnet de commandes est certes retardé, mais toujours plein ? Nous nous mettons en difficulté car nous perdrons des compétences et des savoir-faire qui nous serons utiles au moment de la reprise.
Ce rapport s'inscrit dans la droite ligne des travaux de notre commission sur la souveraineté industrielle française. J'en partage les conclusions. Il existe aujourd'hui un ministère de l'industrie, des comités stratégiques de filière, un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, mais ce qu'il nous manque est la vision d'avenir. Nous courons derrière les catastrophes industrielles pour tenter de les rattraper. Il faut certes savoir gérer les urgences, mais nous avons besoin, au niveau de l'État, d'un pendant aux comités stratégiques de filière, qui travaillent dans le long terme. Cela pourra passer par des équipes renforcées au sein du ministère de l'industrie et, peut-être, par l'intermédiaire du Haut-commissariat au Plan, qui pourra coordonner les apports de chaque ministère et être garant de la vision transversale. Notre pays doit avoir une stratégie claire sur la manière d'engager le virage industriel. Les ministères n'ont aujourd'hui pas assez de moyens pour travailler sur le fond plutôt que sur l'urgence.
Dans le cas de Vallourec, contrairement à celui de Bridgestone, l'État doit pouvoir agir, car il est actionnaire principal. Bpifrance a beaucoup investi, mais l'entreprise supprime aujourd'hui à nouveau 350 emplois. Certes, la crise est passée par là mais ces suppressions d'emplois sont-elles réellement le résultat de la crise ? Nous devons travailler avec la ministre chargée de l'industrie, qui fait preuve de volonté. L'usine Vallourec de Déville-lès-Rouen est peut-être la mieux placée pour accompagner le « plan hydrogène » de notre pays, car elle fabrique des éléments nécessaires. Or, c'est cette usine qui va fermer. Quel est le sens de cette restructuration ? Quelle est la stratégie de l'État ? Comment accompagne-t-il la mutation industrielle pour ne pas se priver de capacités importantes ? Sur quoi va-t-on concentrer les efforts ? Quelles sont nos forces et nos faiblesses ? Il me semble que cette analyse fait aujourd'hui défaut. Mettre les moyens sans stratégie sous-jacente ne mènera nulle part. Cette réflexion doit être conduite avec les régions, les intercommunalités, les territoires, qui représentent l'échelon de proximité et qui tissent au quotidien la relation avec les industriels.
Le mur de l'endettement des entreprises est en effet source d'inquiétude. La part de la valeur ajoutée captée par la dette va augmenter de 5 à 6 % dans les prochaines années : cela va peser sur la capacité de notre industrie à investir. La confiance sera un paramètre déterminant pour la reprise de l'investissement : il faut clarifier les perspectives et accroître la demande.
Un sondage récent effectué auprès des entreprises, relatif à la relocalisation, montre que 58 % d'entre eux n'ont pas l'intention de relocaliser, tandis que 70 % estiment que le plan de relance est insuffisant pour les convaincre de relocaliser. Un travail de fond doit être fait pour améliorer les incitations. 30 % des entreprises indiquent délocaliser pour accéder à des technologies et innovations qui ne sont pas disponibles en France. Comme le suggère le rapport de notre collègue Franck Montaugé, il faut intensifier les investissements dans l'innovation et diversifier nos filières industrielles. Je partage également la nécessité d'établir une feuille de route partagée entre le Gouvernement et le Parlement, pour que notre pays reprenne l'initiative.
Les interventions de mes collègues se complètent bien et montrent la voie à suivre. Je crois également en la nécessité d'un ministère de l'industrie, qui s'appuie peut-être davantage sur les territoires, comme c'est le cas en Allemagne via les Länder. Une meilleure coordination doit être visée entre l'État, les partenaires sociaux, les industriels, les acteurs locaux, afin de définir des stratégies de filière et une stratégie globale de réindustrialisation.
Le plan de relance français à destination de l'industrie est plus restreint que celui mis en oeuvre par l'Allemagne. Or son industrie est déjà largement avantagée. On ne cible pas assez l'industrie - certes, la dette est un sujet, mais les taux d'intérêts bas facilitent aujourd'hui le recours à l'emprunt. Je pense qu'on en fait peut être trop pour certains secteurs qui n'en ont pas besoin, et pas assez pour ceux qui le nécessitent réellement, comme l'industrie.
En matière d'intelligence économique, l'Allemagne sait trouver des bonnes sources de financement, notamment européennes, et pour comprendre et détecter les mécanismes de délocalisation et de réorganisation. Nous ne savons pas aussi bien le faire, et donc réagir. Dans le cas de Bridgestone, l'étude des prix de transfert montre qu'ils ont été très fortement augmentés, ce qui permet de créer un déficit « arbitraire » pour mieux justifier la délocalisation. Dans le même temps, l'Union européenne finance en Europe de l'Est l'installation d'usines délocalisées depuis la France. En attendant de changer l'Europe, réalisons un véritable effort d'intelligence économique en amont, par filière, pour mieux détecter ce qui va se passer. Mieux vaut prévenir que guérir.
Je suis convaincue qu'il faut donner aux collectivités locales la possibilité d'entrer au capital d'entreprises locales, surtout les PME. Les Länder allemands le font très facilement. Le but n'est pas de diriger les entreprises à leur place, mais de veiller à ce qu'elles investissent et gardent un ancrage territorial. Dans la phase défensive que nous allons connaître, le capital public sera un outil permettant de ne pas fermer les sites mais d'accompagner leur inévitable mutation. Le niveau de désindustrialisation atteint est tel que la situation l'exige.
Je note enfin que le Japon a prévu dans son plan de relance des mécanismes de financement des relocalisations, par le biais de subventions directes actées dans des contrats de relocalisation signés avec les entreprises, et prenant compte des besoins immobiliers ou de matériel. La France pourrait-elle mettre en place cette stratégie, qui est efficace ailleurs ?
L'Allemagne a une grande avance sur la France en matière de robotisation et de numérisation, et est déjà entrée pleinement dans l'edge computing, tendance qui va s'accélérer avec l'arrivée de la 5G. Nous sommes peut-être en avance sur l'infrastructure, mais eux sont en avance sur les applications industrielles directes, ce qui leur confère un avantage certain.
Le sujet de la souveraineté industrielle, et des moyens pour l'atteindre, est majeur. Il appartient pour partie à la France, mais je suis convaincu que nous n'y parviendrons que dans le cadre de coopérations européennes renforcées. Certaines sont déjà lancées, en particulier dans le secteur du numérique comme sur l'ordinateur quantique, mais elles s'imposeront aussi dans le secteur industriel. Nous mesurons bien que beaucoup de dossiers ont aujourd'hui une dimension européenne, comme la commission l'a récemment étudié avec le rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri.
On parle souvent d'État stratège, mais quelle est la capacité de l'État à faire respecter sa stratégie dès lors qu'il n'est plus présent au capital d'entreprises importantes ? L'implication du Parlement dans ces sujets me paraît souhaitable : nous ne pouvons pas nous en désintéresser. La commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait par exemple proposé d'élaborer une loi de programmation sur la souveraineté numérique, sous l'égide du Parlement. Cela vaut pour tous les secteurs industriels.
Des crédits dédiés au soutien à la relocalisation sont bien prévus au sein du plan de relance. Il faudra nous assurer qu'ils sont suffisants, accompagner les projets naissants, et en évaluer l'impact réel dans les territoires. Les régions joueront un rôle important dans l'accompagnement du tissu économique au cours des mois et des années à venir.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption des amendements.
Nous passons au quatrième rapport, avec Mme Viviane Artigalas, à la mission « Cohésion des territoires » pour le programme « Politique de la ville ».
Madame la Présidente, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, 101 maires de banlieues de toutes les couleurs politiques publiaient une Lettre ouverte au Président de la République pour l'égalité républicaine de nos quartiers prioritaires. Au regard des espoirs créés par le discours d'Emmanuel Macron à Tourcoing, trois ans auparavant, et de son ambition de « changer le visage de nos quartiers d'ici la fin du quinquennat », le constat est amer. Le Rapport Borloo, qui avait été justement lancé à Tourcoing, est resté lettre morte, loin des 70 % de mesures mises en oeuvre annoncées le 2 octobre dernier dans le discours du Président de la République prononcé aux Mureaux. Selon ces maires, « seules quelques mesures éparses, bien souvent portées par les villes ont pu être engagées, dont quatre seulement avec le portage de l'État ! ». Ce rapport préconisait un changement radical de méthode : « il faut mettre en mouvement chacun des programmes en même temps afin de provoquer un effet de blast et une dynamique extrêmement puissante. C'est un plan de réconciliation nationale ». Ce changement de méthode n'a pas vu le jour, la réconciliation nationale non plus.
C'est la parole de l'exécutif qui est décrédibilisée. Dans le discours du 23 mai 2018, Emmanuel Macron enterrait le Rapport Borloo et annonçait la concrétisation d'ici à juillet 2018 d'une initiative « coeur de quartier » à l'exemple du Programme Action coeur de ville. Elle n'a jamais vu le jour. Quand les maires en ont parlé au Premier ministre lundi dernier, personne ne savait de quoi il s'agissait.
C'est dans ce contexte alarmant qu'il nous faut ce matin examiner les crédits de la politique de la ville, inscrits au programme 147, au sein de la mission de cohésion des territoires du projet de loi de finances pour 2021.
L'analyse de ce budget m'inspire trois idées principales. Tout d'abord, les quartiers dits « prioritaires » sont en réalité les oubliés du plan de relance. Ensuite, l'absence de choix est le signe d'un manque de vision. Et enfin, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, a redémarré, mais le Gouvernement est resté sur le bord de la route...
À travers ce projet de budget, on constate donc tout d'abord que les quartiers dits « prioritaires » sont en réalité les oubliés du plan de relance. Comment cette occultation a-t-elle pu se produire ? Il y a en fait trois temps.
Le premier est le respect formel des engagements pris par le Président de la République de sanctuariser les crédits de la politique de ville. En effet, après avoir rejeté le Rapport Borloo, Emmanuel Macron a toutefois annoncé une augmentation de 80 millions d'euros par an des crédits sur le quinquennat et un doublement du nouveau programme de renouvellement urbain, le NPNRU. J'y reviendrai.
Concernant les crédits, effectivement, en 2021, les crédits du programme 147 dépasseront 515 millions d'euros, soit une augmentation de 3,4 % par rapport à l'année dernière et 87 millions de plus qu'en 2018. L'engagement est tenu, dont acte.
La ministre de la ville va même plus loin, elle présente un budget en forte augmentation, mais en trompe-l'oeil, c'est le second temps de l'occultation. Elle annonce en effet une augmentation de 46 millions d'euros soit une hausse de 9,8 %, mais il s'agit d'autorisations d'engagement. Les crédits de paiement n'augmentent, eux, que de 21 millions d'euros. La différence s'explique par le fait que, d'un côté, on a inscrit plus 15 millions d'euros en autorisations d'engagement en faveur de l'ANRU, et que, de l'autre côté, on constate une baisse de 10 millions d'euros de crédits de paiement en défaveur de l'ANRU. C'est une sorte de « tour de passe-passe » budgétaire. En fait, ces nouvelles autorisations d'engagement ne sont pas utiles puisque les 200 millions d'euros promis sur le quinquennat ont déjà été inscrits en 2018 et 2019 et n'ont pas été décaissés !
Du respect formel des engagements à l'illusion d'une forte augmentation, on passe au troisième temps, celui de l'oubli des quartiers populaires dans le plan de relance alors qu'ils sont en plein désarroi.
Que nous disent les 101 maires - plus de 180 maintenant - que nous avons reçus lundi dernier ? Partout sur le terrain, les signaux sont au rouge. Les quartiers populaires sont deux fois plus infectés par la Covid-19 en raison de l'exiguïté des logements. C'est ce qu'a montré l'enquête de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, l'INSERM, dans l'étude EpiCov (épidémiologie et conditions de vie) publiée le 9 octobre dernier.
De plus, la crise sanitaire a provoqué une très grave crise économique et sociale. Les demandes d'aide alimentaire explosent. À Mantes, le nombre de tickets alimentaires distribués a doublé entre 2019 et 2020. Les demandes de RSA progressent massivement. D'octobre 2019 à octobre 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 20 % à Grigny dans l'Essonne. Il a doublé à Arras dans le Pas-de-Calais. Le chômage augmente : + 13 % à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines. Il aurait doublé à Reims.
Or, les maires dénoncent aujourd'hui une véritable « non-assistance à territoires en danger ». Selon eux, un virus bien plus dangereux que la Covid-19 se répand dans les quartiers, celui du « décrochage de la République ». « En dépit des alertes, les quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance, aucune mesure ambitieuse n'a été prise ».
Déjà, dans le rapport d'Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone sur la crise sanitaire et les mesures de relance rendu au nom de notre commission, le bon diagnostic avait été posé. Nos collègues alertaient sur les conséquences du confinement dans ces territoires fragilisés et elles demandaient la mise en oeuvre d'une politique très ambitieuse à la fois de médiation sociale en direction de la jeunesse et de construction à travers l'ANRU. Elles soulignaient en outre qu'après la crise de 2008, les quartiers avaient fait l'objet d'une attention toute particulière.
Face aux critiques à propos de l'absence de dispositions spécifiques dans le plan de relance, Nadia Hai déclarait : « Pourquoi se contenter d'une enveloppe quand on peut prétendre à l'ensemble du plan de relance ? ». Pourtant, « C'est n'être nulle part que d'être partout » écrivait Sénèque avec la sagesse de l'ancien monde que ne renieraient pas les élus de terrain !
Les maires de banlieues demandent aujourd'hui 1 % du plan de relance, soit un milliard d'euros dont la moitié pour financer de l'aide d'urgence pour les associations de jeunesse, les distributions alimentaires et l'action sanitaire. L'autre moitié viserait à mobiliser les acteurs de la formation professionnelle et de l'emploi ainsi qu'à recruter massivement des médiateurs.
Suite, à la rencontre que nous avons eue avec eux, nous avons décidé de proposer un plan de 500 millions d'euros dès 2021, ce qui rend possible d'atteindre un milliard sur le plan de relance. Cela comprend : la création d'un Fonds spécifique de 200 millions d'euros dédié à ces communes pour leur permettre de disposer des moyens financiers afin de pallier l'urgence de la situation économique et sociale et lancer des projets qui pourront recréer une dynamique ; des moyens en faveur de l'emploi à hauteur de 89 millions d'euros à travers les parcours emploi compétences et les cités de l'emploi, de l'éducation à hauteur de 51 millions d'euros autour du programme de réussite éducative et des cités éducatives, et de la santé à hauteur de 15 millions d'euros pour déployer des actions spécifiques alors que ces quartiers ont été les plus touchés par la crise sanitaire ; les fonds nécessaires pour que l'État tienne ses engagements et de donner une nouvelle impulsion au NPNRU à hauteur de 145 millions d'euros ; et enfin la création du Conseil national des solutions inspiré du Rapport Borloo.
Les amendements portant sur le plan de relance ont été déposés hier et je les ai proposés à votre cosignature. Les amendements portant sur le programme 147 vont être débattus tout à l'heure.
Si la politique de la ville a été oubliée dans le plan de relance, c'est sans doute parce que le Gouvernement manque d'une vision sur le sujet. C'est le deuxième volet que je voudrais mettre en avant dans cet avis budgétaire sous trois aspects : la poursuite ou l'amplification de dispositifs peu ou mal évalués, la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes, et l'absence de promotion d'une vision positive et dynamique de ces quartiers.
On constate donc tout d'abord dans ce budget la poursuite ou l'amplification de dispositifs peu, mal ou négativement évalués. Je voudrais en donner deux exemples.
Le premier est le dispositif des zones franches urbaines - territoires d'entrepreneurs (ZFU-TE). Il arrivait à son terme le 31 décembre. Par amendement, le Gouvernement l'a fait prolonger de deux ans par l'Assemblée nationale. Pourtant, au premier semestre 2020, un rapport d'inspection, promis mais toujours pas communiqué au Parlement, a conclu que cette mesure d'exonération d'impôt sur les sociétés ou les revenus, qui coûte 201 millions d'euros, n'avait pas démontré son efficacité en matière de création d'entreprises et d'emplois. Le Gouvernement motive son amendement par le caractère symbolique de la mesure et la nécessité d'ouvrir une concertation pour imaginer une alternative.
Le second exemple, ce sont les emplois francs. Ils sont en dehors du périmètre budgétaire du programme 147. Mais il faut s'y arrêter un instant car c'était une des grandes promesses présidentielles lors de la campagne de 2017 et, dans le plan de relance, il a été décidé de renforcer les aides à hauteur de 8,1 millions d'euros pour 3 100 jeunes bénéficiaires potentiels... Les emplois francs sont une aide de 5 000 euros par an sur trois ans pour l'embauche en CDI d'une personne issue des quartiers quel que soit son âge. Environ 30 000 contrats ont été signés mais c'est très loin de l'ambition initiale puisque seulement 10 à 15 % de l'enveloppe budgétaire est consommée.
A contrario, l'EPIDE, l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi, dispositif éprouvé de formation et de réinsertion de jeunes via une vie en collectivité structurée, est doté de 4 millions d'euros supplémentaires pour appuyer l'ouverture d'un nouveau centre en Seine-Saint-Denis et pourrait être plus amplement soutenu.
On assiste ensuite à la pérennisation de mesures d'urgence peu structurantes. Le principal exemple est le dispositif Vacances apprenantes, qui, en 2020, a coûté 283 millions d'euros dont 86,5 sur la mission cohésion des territoires. Cette mesure qui visait à combler le décrochage scolaire en raison du premier confinement et de la reprise partielle de l'école avait aussi une finalité « occupationnelle » et sociale non dissimulée. 1 514 nouveaux adultes relais ont également été recrutés à cet effet. Leur prolongation en 2021 est chiffrée à 10 millions d'euros. En revanche, la pérennisation des Vacances apprenantes, annoncée par le Président de la République aux Mureaux, le 2 octobre dernier, n'est toujours pas budgétée, soit un manque de 85 millions d'euros sur un budget total de 515 millions, je le rappelle.
Face à cette absence inquiétante de vision au regard des enjeux des quartiers, je voudrais esquisser deux pistes en me fondant sur des travaux de think tank ou de recherche. Elles ne sont naturellement pas exhaustives mais elles permettent de sortir, sans angélisme, d'une vision exclusivement communautaire, pour ne pas dire religieuse, et sécuritaire de ces quartiers. Car si leur fragilité est indéniable une réelle dynamique économique et entrepreneuriale les anime, comme l'avait rappelé le Rapport Borloo. J'ai la conviction que c'est en partie grâce à elle que se comblera le fossé avec le reste de la société.
Première piste, en octobre 2020, l'Institut Montaigne a publié un rapport intitulé « Les quartiers pauvres ont un avenir ». Que dit-il ? Qu'il faut d'abord abandonner les préjugés. La Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France, est pourtant le 8e contributeur au financement de la protection sociale et celui qui en reçoit le moins par habitant. Il compte aussi pour 29 % de l'augmentation de la masse salariale en France entre 2007 et 2018. Pour l'Institut Montaigne, il s'agit donc de jouer sur les atouts de ces quartiers : la jeunesse, la mobilité et une réelle compétitivité foncière dans les métropoles. Le rapport plaide pour une « ANRU des habitants » à côté de « L'ANRU des bâtiments » d'autant que ces quartiers sont plus des sas que des trappes à pauvreté. Il plaide également pour une sorte de « loi SRU à l'envers », c'est-à-dire un plafonnement des logements sociaux dans ces communes.
La seconde piste, c'est une étude de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, et de l'Institut Paris Région, de juillet 2020, qui me la suggère. Que dit ce travail sur « Les trajectoires résidentielles des habitants des QPV » ? Tout d'abord qu'ils sont tout autant mobiles que les autres, c'est-à-dire qu'environ 10 % des habitants des QPV déménagent chaque année. Dans plus de la moitié des cas, ils quittent la géographie prioritaire. Dans plus de 40 % des cas ils changent de statut d'occupation et 31 % d'entre eux accèdent à la propriété. Il y a donc une réelle trajectoire d'émancipation et d'ascension sociale. C'est le premier point important. Le second, pour nous législateurs, c'est que cette trajectoire se réalise à proximité immédiate des quartiers pour ne pas perdre l'ancrage amical et familial. Dans 30 % des cas, les habitants des QPV s'installent dans la bande des 300 mètres entourant le quartier et bénéficiant d'un taux de TVA réduit pour le logement neuf intermédiaire. Dans cette même zone, plus de 40 % des primo-accédants ont un revenu inférieur à 30 000 €, deux fois plus qu'ailleurs. C'est la raison pour laquelle, j'ai proposé un amendement en première partie, qui a été adopté, pour revenir au périmètre de 500 mètres, tel que voulu en 2003 par Jean-Louis Borloo, car cela fonctionne. Cette bande à proximité des quartiers est une zone dynamique et de mixité effective qui facilite l'insertion des QPV rénovés dans leur environnement urbain et social plus large.
J'en viens au troisième et dernier volet de mon analyse : l'ANRU a redémarré mais le Gouvernement est resté sur le bord de la route.
L'Agence nationale pour la rénovation urbaine a été critiquée pour son immobilisme au cours de ces dernières années. Mais aujourd'hui, l'ANRU a redémarré. Entre juillet 2018, après la confirmation du doublement du programme à hauteur de 10 milliards d'euros - dont un milliard financé par l'État initié dès 2016 par François Hollande - et mars 2020, l'ANRU a validé à marche forcée les projets de plus de 400 quartiers sur les 450 concernés par le nouveau programme national de renouvellement urbain, le NPNRU. Ce sont l'essentiel des moyens qui sont désormais engagés, plus de 85 % des projets sont validés. Ils doivent entraîner plus de 33 milliards d'euros de travaux, tous financeurs confondus, sur la durée du programme.
Déjà 290 opérations concernant 10 000 logements sont achevées. 600 sont actuellement en chantier. Par rapport à l'objectif fixé par le Premier ministre de 300 quartiers en travaux à la fin de 2021, en octobre 2020, les chantiers ont démarré dans 230 quartiers.
Mais le Gouvernement n'est pas au rendez-vous de ce redémarrage. Comme je l'ai déjà indiqué, il doit apporter un milliard sur la durée du programme, 200 millions sur la durée du quinquennat. En termes d'autorisations d'engagement, 15 puis 185 millions d'euros ont été inscrits en 2018 et 2019. En termes de crédits de paiement, en revanche, le compte n'y est pas. Entre 2018 et 2021, l'État versera 80 millions d'euros. Il aurait dû payer 125 millions d'euros. Il manque donc 45 millions d'euros par rapport à la programmation annoncée. Comment croire que ce sera rattrapé l'an prochain ou au cours du prochain quinquennat ?
Je vous propose donc un amendement pour rétablir les crédits prévus.
Dans ce contexte, le discours du Président de la République aux Mureaux frise le déni de réalité. Le 2 octobre, le budget venant d'être présenté un mois après le plan de relance, il annonce une augmentation des moyens de l'ANRU alors que justement dans le budget, les moyens de l'État en faveur de l'ANRU diminuent et qu'il n'y a rien dans le plan de relance !
Dès lors, comment aider l'ANRU à accélérer et à répondre aux demandes supplémentaires qui lui sont faites à la fois pour tenir compte de la COVID mais aussi tout simplement parce que les besoins sont grands ?
À cet égard, le plan de relance et le budget 2021 sont une triple occasion manquée : occasion manquée pour l'État d'avancer le décaissement du milliard d'euros promis sur l'ensemble du NPNRU ; occasion manquée pour l'État d'amorcer une dotation supplémentaire et de solliciter une contribution du principal financeur du programme, Action Logement. Au contraire, il ponctionne un milliard pour financer les aides au logement et non l'investissement. Occasion manquée enfin de solliciter les bailleurs sociaux qui financent également l'ANRU, en allégeant ou supprimant la réduction de loyer de solidarité qui pèse pour 1,3 milliard d'euros sur leurs comptes. Cela aurait également un impact sur l'ensemble du secteur du logement social et de la construction.
En conclusion, madame la Présidente, mes chers collègues, je crois que ce budget est doublement inquiétant. Il est inquiétant parce que le Gouvernement a oublié les quartiers prioritaires. Je me suis donc efforcée, dans la limite qui est la nôtre du fait de l'article 40, de redresser cette trajectoire.
Il est inquiétant ensuite par l'absence de perspectives qu'il dessine. Prenons garde que nos craintes et nos manières de les combattre ne deviennent des prophéties auto-réalisatrices. Au contraire, comme l'avait impulsé Jean-Louis Borloo et les très nombreuses personnes qui ont participé à son travail dont la plupart des maires signataires de l'appel du 14 novembre dernier : « Nous sommes capables de traiter l'essentiel de ces problèmes en quittant les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l'annonce du chiffre tient lieu de politique. Redevenons une puissance d'action ».
Ceci étant et compte tenu des importants amendements que la commission va porter et que je souhaite voir aboutir, je propose un avis favorable sur ces crédits. Je vous remercie.
Merci beaucoup pour ce rapport précis et détaillé qui pose un certain nombre de pistes de réflexions urgentes et dont il faut se saisir pour que ces quartiers prioritaires reprennent toute leur place dans notre territoire et soient aussi montrés comme des quartiers dynamiques qui apportent une plus-value.
C'est un excellent rapport que j'approuve à 99 %. Je voudrais insister sur l'audition que nous avons eue des maires de tous bords. Derrière les grandes annonces de milliards qui tomberaient chaque jour dans les quartiers, la méthodologie utilisée pour mener les actions dans ces quartiers est telle que l'argent n'est pas perçu par ces territoires. Critères bureaucratiques, appels à projets, documents à remplir pour ne rien avoir au bout du compte... Cette situation kafkaïenne, je la connais depuis longtemps ! Quand j'étais maire, la situation était déjà dramatique et elle s'est amplifiée depuis. Il est important de réfléchir à la méthodologie qui permet de retrouver sur le terrain les crédits votés par le Parlement et que les besoins des territoires soient pris en compte.
J'approuve dans ce sens la logique du fonds spécifique pour les quartiers. Le Gouvernement dit qu'il va y avoir 1 % mais tout sera mis dedans avec l'ensemble des allègements de TVA... Ce sera un méli-mélo technocratique qui ne permettra pas aux gens de voir l'argent arriver réellement dans leurs quartiers. Les politiques ordinaires ne se mettent pas en oeuvre. Les nombreux critères établis ne positionnent pas ces quartiers dans les priorités. Cela ne veut pas dire qu'il faut arrêter l'effort des politiques classiques dans les QPV, par égalité républicaine. Mais il y a des besoins particuliers notamment en termes d'éducation.
Pour conclure, la loi sur le séparatisme est louable mais quand on entretient les défaillances en termes éducatifs, avec un affaiblissement de l'éducation populaire, il ne faut pas s'étonner que certaines personnes - minoritaires -, devant ces difficultés, se réfugient dans des voies non républicaines. Nous voterons les amendements et nous soutenons la démarche que Viviane a engagée avec une réflexion plus stratégique
Valérie Létard vient de nous rejoindre. Notre amendement a-t-il été voté, Mme Létard ?
Oui, à la quasi-unanimité. C'est le premier étage de la fusée, la prolongation du travail que nous avons collectivement mené avec la commission des affaires économiques à quatre voix. Il s'agit de la traduction budgétaire de notre propos : ne pas sceller le sort d'Action Logement avant d'entamer la discussion avec les partenaires sociaux. L'amendement défendu maintenait une compensation pérenne de 300 millions à Action Logement d'une recette qui avait été supprimée à Action Logement. Il y aura un deuxième étage à la fusée, un autre amendement à l'article 47, visant à supprimer la ponction d'un milliard d'euros. Il s'agit de prendre les fonds d'Action Logement pour les mettre dans le budget du Fonds national d'aide au logement (FNAL) - qui finance les aides personnelles au logement (APL). Un milliard plus 300 millions, c'est le montant annuel de la collecte de la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC), le 1 % logement ! Si la ressource annuelle est totalement enlevée, la discussion ne portera plus que sur ce qui restera d'Action Logement, les revenus tirés de son patrimoine.
Il a lu notre rapport, mais il n'en partage pas tous les éléments. Il a pris acte de la position du Sénat. Je pense que la discussion n'est pas terminée et nous aurons d'autres rendez-vous au printemps !
J'avais déjà pris connaissance des amendements de Viviane Artigalas auparavant. Notre groupe est solidaire de cette initiative qui vise à flécher et identifier les moyens qui peuvent aller en direction des communes avec des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Nous sommes aussi favorables à l'amélioration de ce budget pour qu'il soit plus en cohérence avec les engagements de l'État sur l'ANRU et sur l'accompagnement des populations dans le cadre de la politique de la ville. Avec une précarité croissante, il y aura un besoin accru de présence humaine et d'accompagnement sur de nombreux sujets pour éviter que les choses ne se dégradent encore plus. Nous devons être au rendez-vous pour l'accompagnement vers l'insertion professionnelle, la prévention de la délinquance, les violences intrafamiliales... Toutes les politiques qui au quotidien doivent se trouver en tout point de notre territoire, dans ces quartiers comme ailleurs !
Le soutien aux associations est une dépense de fonctionnement facile à supprimer, non récurrente et remise en question chaque année. Cette présence associative et le tissu qui maille ces quartiers sont remis en question. Les budgets sont réduits et bout à bout cela questionne sur la capacité d'accompagnement des collectivités pour faire face à des difficultés sociales accrues. Cela ne veut pas dire : tout pour les quartiers, rien pour ce qui se passe autour ! Il y a des lieux de concentration des difficultés à ne pas occulter. Il faut des solutions pour tous et les adapter aux réalités de la ruralité et de l'urbanité en difficulté. Il faut flécher des moyens et être capable de vérifier leur emploi.
Comme vous l'a dit Viviane Artigalas, nous avons auditionné lundi une délégation des 101 maires. Il nous a fallu une grande réactivité pour trouver des amendements qui apportent des réponses aux demandes légitimes des 101 maires. Je rejoins ce qui a été dit par Marie-Noëlle Lienemann : il est toujours difficile dans la politique de la ville de mettre en place des crédits contractualisés tout en faisant en sorte que les crédits de droit commun arrivent dans ces quartiers. Lorsque les crédits contractualisés sont supprimés, ils ne sont pas remis dans les politiques publiques ni dans les crédits de droit commun.
Je salue le travail de Viviane Artigalas avec son souci de globalité et de cohérence. Dans beaucoup de domaines nous manquons de perspective, de planification : il y a un travail extraordinaire qui a été fait par Jean-Louis Borloo. Il avait fait l'unanimité au moment de la présentation de son rapport à notre commission. Il serait bien de le réentendre au Parlement pour se réapproprier son travail. Nous parlons beaucoup des quartiers prioritaires mais Jean-Louis Borloo mettait les quartiers prioritaires en perspective avec le reste, y compris le souci des territoires ruraux pour avoir une politique globale et une politique de suivi.
Nous l'avons de nouveau auditionné dans le cadre de la mission flash sur Action Logement. C'était un bonheur de voir son engagement, son enthousiasme et la force qu'il continue à déployer sur ces sujets.
Nous pourrions collectivement demander à Jean-Louis Borloo de venir. L'intérêt qu'il porte à ce sujet et à l'avenir de la politique de la ville serait pour nous un éclairage utile au regard du plan qu'il a préparé et des solutions qu'il a proposées. Nous avons besoin d'une inscription dans le temps et d'une pérennité de la politique de la ville. Par ailleurs, il faut essayer d'avoir des moyens globalisés, visibles et traçables ; une visibilité et une transparence forte pour la politique de la ville. Comme cela a été évoqué, aujourd'hui il existe une séparation entre droit commun et politique spécifique mais normalement le droit commun s'applique en premier et s'adapte à la réalité du territoire pour venir traiter une question plus aiguë qu'ailleurs. Cela ne veut pas dire que l'on soutient l'un au détriment de l'autre.
Vous avez rencontré des maires. J'aurais voulu savoir si les maires ont fait part de risques et d'inquiétudes quant à leur capacité à accompagner les projets de l'ANRU compte tenu de leurs difficultés financières. Je pense aussi aux régions, aux départements et aux bailleurs sociaux qui peuvent accompagner ces projets.
Nous avons besoin d'un plan de rattrapage dans certains quartiers prioritaires, mais nous retrouvons les mêmes problématiques dans les zones rurales et en outre-mer. Il y a un manque de service public, d'investissement : ce sont des territoires fragilisés où la République recule. En Seine-Saint-Denis, nous avons été reconnus par Édouard Philippe pour mettre en place un plan de rattrapage, compte tenu des inégalités. Nous avons également besoin des politiques ordinaires ! Une fois que nous aurons rattrapé notre retard, il faut que l'égalité républicaine vaillent partout, sinon la différence réapparait au bout de dix ans. Pendant le confinement, les inégalités se sont accrues et les difficultés de nos territoires rendent le plan de rattrapage en vigueur quasi inopérant dans les domaines de la santé ou de la police. Par exemple, nous avions 104 lits de réanimation avant la crise contre 400 à Paris, avec 200 000 habitants d'écart. Il nous en manque 300 ! 300 lits de réanimation demandent un plan de rattrapage mais une fois le chiffre de 400 atteint, il nous en faudra peut-être 500... Il faut l'égalité républicaine partout et tout le temps sinon nous ne nous en sortirons jamais. Pour se faire entendre, c'est compliqué !
Il nous a paru important avec Sophie Primas, Valérie Létard et Dominique Estrosi Sassone de recevoir rapidement les maires. Nous avons travaillé ensemble dans l'urgence. Le gouvernement n'a visiblement pas de vision sur cet écosystème, il ne fonctionne qu'avec des chiffres et des budgets. Bercy dirige cela avec la volonté de récupérer de l'argent pour le budget de l'État. Il a été répondu aux maires que le milliard est présent dans le plan de relance mais nous avons nous-mêmes du mal à nous retrouver sur les guichets et les modalités d'accès aux différents dispositifs ! Imaginez ce qu'il en est pour les maires des quartiers ! Dans l'urgence, nous essayons d'apporter des réponses concrètes à ces maires. C'est une question de méthode. Ils ont besoin de fonds simples qui arrivent rapidement chez eux : aujourd'hui, pas demain.
Nous avons auditionné Jean-Louis Borloo dans le cadre de la mission Action Logement. Je pense qu'il faudra le réauditionner pour continuer le travail de proposition. Je fais déjà des propositions stratégiques pour la politique de la ville, nous avons des pistes partagées avec les maires et il nous faut continuer ce travail.
Pour certains cofinancements, les communes et collectivités locales sont en difficultés par manque de ressources mais aussi par manque de visibilité sur les capacités de l'État à accompagner les projets sur le long terme. N'oublions pas qu'Action Logement est le principal financeur de l'ANRU. Si l'État favorise les aides au logement, il ne subventionne pas l'investissement. L'État veut ponctionner encore une fois Action Logement et les bailleurs sociaux n'ont pas de visibilité sur la capacité de l'État à financer ces programmes sur le long terme. Je ne sais pas d'où sortira l'argent promis au discours des Mureaux. Peut-être qu'il viendra d'Action Logement, mais il faut leur laisser de l'argent !
Le premier amendement AFFECO.5 vise à rétablir les crédits de paiement au financement de l'ANRU, tels que le Gouvernement s'est engagé à les verser au cours du quinquennat. Ces engagements pris n'ont pas été tenus. Pour répondre à l'appel des maires, nous souhaitons que ces 45 millions d'euros reviennent sur les CP du programme pour l'ANRU.
L'amendement est voté à l'unanimité. Il n'y a pas de vote contre ni d'abstention
L'amendement AFFECO.5 est adopté à l'unanimité.
Le deuxième amendement AFFECO.8 vise à augmenter de 150 % les moyens pour les actions de santé et d'accès aux soins dans les quartiers. Une étude, que j'ai mentionnée, a montré que l'épidémie de Covid-19 a particulièrement impacté les quartiers. En 2018, il avait été décidé de doubler le nombre de centre de santé d'ici 2022. En 2018, il y en avait 209 dont 42 maisons de santé pluridisciplinaires et en 2020 il y a 222 centres de santé et 78 maisons pluridisciplinaires. Il est important de continuer ce travail au moment où les hôpitaux sont débordés et où les centres de santé sont trop éloignés des quartiers. Ils doivent être sur place. Je propose 15 millions d'euros pour augmenter ces crédits.
L'amendement AFFECO.8 est adopté à l'unanimité.
Les maires nous ont saisis sur les questions d'éducation. L'Éducation Nationale doit être présente dans les quartiers en partenariat avec des associations locales, avec les acteurs de terrain. La mission prévoit des crédits pour 40 cités éducatives supplémentaires. Nous proposons d'en ajouter 40 de plus pour accompagner ces quartiers dans la prise en charge des enfants en décrochage et en difficulté. C'est l'objet de l'amendement AFFECO.6.
L'amendement AFFECO.6 est adopté à l'unanimité.
Sur les programmes de réussite éducative, l'amendement AFFECO.7 vise à augmenter de 50 % les moyens de ce programme pour doubler ses crédits sur deux ans. Le programme repose sur une approche globale qui permet d'accompagner les difficultés des enfants repérés dans le cadre scolaire avec une équipe de soutien. Ces programmes sont une réussite et il est important de pouvoir les doubler dans le plan de relance.
L'amendement AFFECO.7 est adopté à l'unanimité.
Il a été répondu aux maires que le conseil national des villes existe déjà mais il ne fonctionne pas de manière satisfaisante. Nous proposons avec les maires un conseil national des solutions qui jouera un rôle de vigie pour généraliser des solutions locales au niveau national. Il y a peu de projets qui partent du terrain avec une approche du bas vers le haut - l'approche bottom up en anglais. Les solutions seront généralisées si elles sont efficaces sur l'ensemble du territoire, les maires souhaitent travailler au cas par cas. La création du conseil national des solutions vise à organiser ce travail de vigie qui n'est pas réalisé par le conseil national des villes. C'est l'objet de l'amendement AFFECO.9.
Le vote est identique à celui des précédents amendements.
L'amendement AFFECO.9 est adopté à l'unanimité.
Je remercie sincèrement Viviane Artigalas pour son travail. L'avis donné est favorable sous réserve des amendements proposés et votés à l'unanimité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires » sous réserve de l'adoption des amendements.
Merci de m'avoir désignée pour vous présenter les crédits de la mission « Outre-mer ». C'est mon premier budget et je mesure l'importance de ce rôle dans ces temps très difficiles.
S'agissant de l'évolution des crédits, comme l'indiquait mon prédécesseur Michel Magras, « je n'ai jamais vu un budget des outre-mer affiché en baisse ». Cela s'explique, en partie, par la plasticité des crédits, avec, par exemple, des enveloppes qui peuvent parfois relever de la mission « Éducation » ou de la mission « Outre-mer ». Les crédits proposés pour 2021 ne dérogent pas à cette règle avec 6,4 % de hausse pour les autorisations d'engagement et + 2,6 % en crédits de paiements.
Sur les volumes de crédits je me limiterai à deux remarques. Tout d'abord, du point de vue économique, il est assez facile de démontrer que les 2,7 milliards en AE et 2,4 milliards en CP prévus pour 2021 n'auront guère plus d'impact que la traditionnelle enveloppe de 2 milliards d'euros, à peu près constante depuis une dizaine d'années. Il y a deux explications : d'une part, depuis 2019, le différentiel de CICE, quand il a basculé en exonérations de charges, est venu gonfler de façon purement comptable la principale ligne de ce budget : 1,5 milliards d'euros sont prévus pour 2021 dont au moins 300 millions correspondent au recyclage du CICE. Pour autant, les entreprises n'y ont pas nécessairement toutes gagné au change, même si on note des mesures positives d'élargissement de ces exonérations spécifiques aux outre-mer qui se décident en loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). D'autre part, 170 millions de crédits proviennent, en quelque sorte, de la « poche » des ultramarins : en effet, le Gouvernement s'est solennellement engagé en 2019, à recycler les prélèvements supplémentaires générés par la suppression de dispositifs fiscaux qui bénéficiaient aux ménages et aux entreprises. Le bleu budgétaire affiche donc 2,4 à 2,7 milliards mais l'injection de nouvelles liquidités pour alimenter l'économie ne varie pas fondamentalement d'années en années. Une fois de plus, contrairement à certains préjugés tenaces, les outre-mer ne sont pas des budgétivores et je souligne qu'à l'inverse, le principal défi est la difficulté d'activer et de consommer ces crédits - j'y reviendrai car ce point est fondamental.
Ce maintien avec une légère augmentation correspond à la logique générale du budget de l'État qui a surtout concentré les crédits de relance dans une mission ad hoc. Sur ce point, je pars d'un constat : sur les 100 milliards d'euros du plan de relance, 1,5 milliard d'euros ont été fléchés pour les outre-mer. Ce chiffrage a soulevé des inquiétudes car les outre-mer représentent 4 % de la population de la France et, les années précédentes, 4 % du total des crédits du budget de l'État, comme le montre le document orange dit de « politique transversale ». Alors, certes, lorsque les chiffres pour 2020 seront disponibles, on constatera sans doute que le PIB des outre-mer a globalement moins baissé que la moyenne nationale : - 5 % au lieu de - 10 % selon les estimations réalisées très tôt par le réseau des CCI. Cela démontre que le secteur public administratif a joué un rôle d'amortisseur mais cela masque le risque d'effondrement de pans entiers du secteur marchand ultramarin qui ont subi le choc Covid dans une phase où ils étaient déjà très fragilisés par les crises sociales, économiques et les catastrophes naturelles des années précédentes. Si les chantiers de construction ont repris dès le mois de juillet dernier, le secteur du tourisme devrait perdre plus de 60 % de son chiffre d'affaires en 2020 par rapport à 2019, ce dont témoignent des hôtels quasiment vides à la veille d'une saison touristique qui sera décisive. Je rappelle ici qu'on peut faire le tour du monde en restant en France.
Cela dit, au cours des auditions, le ministère des outre-mer m'a assuré que l'enveloppe de relance reste ouverte et peut aller au-delà de ces 1,5 milliard. Je vous suggère cependant de formuler plusieurs recommandations sur la mise en oeuvre de ce plan dans les outre-mer. La commission, en examinant la mission relance, s'est d'ores et déjà inquiétée à juste titre de la territorialisation et de la fluidité d'accès aux aides. Pour les outre-mer, j'ajoute qu'il faudrait flécher plus précisément les crédits territoire par territoire et, simultanément, infléchir la logique de financement des projets selon la méthode du « premier arrivé, premier servi » car cela risque d'écarter ceux qui ont le plus besoin d'accompagnement mais ne disposent pas des capacités suffisantes pour mettre au point leur dossier très rapidement. Comme vous le savez, l'économie des outre-mer est constituée très majoritairement de très petites ou micro-entreprises et, par exemple, en Guyane et à Mayotte, un tiers des entreprises ignoraient l'existence des dispositifs de soutien mis en place lors du premier confinement, faute d'un accès à internet suffisant. Cela amène à une troisième recommandation : améliorer les soutiens à la numérisation, à la gestion et à la couverture numérique dans les territoires ultramarins. Il s'agit là d'un socle dont les acteurs - entreprises, salariés et consommateurs - ont besoin ne serait-ce que pour développer le télétravail, la téléformation et les capacités de communication des entreprises.
J'en viens au second grand axe de mon exposé. Si on prend en compte l'ensemble des financements de relance, dont les crédits de l'État ne sont qu'une composante, on discerne une chance historique pour les outre-mer de redynamiser le secteur de la construction et de la réhabilitation qui a un puissant effet d'entrainement sur l'ensemble des économies ultramarines.
Je rappelle que nous partons d'une situation très dégradée : on compte, dans les outre-mer un logement pour 1,8 personnes contre un logement pour 2,8 personnes en moyenne nationale. Le logement social est particulièrement insuffisant, à quoi s'ajoutent l'habitat indigne (110 000 logements) et le vieillissement du parc.
Pour répondre aux besoins, l'objectif a été fixé de façon réaliste par le Sénat au moment du vote de la loi dite égalité réelle : 15 000 logements par an construits ou réhabilités pour la période 2017-2027. Ce point de repère, introduit à l'initiative de notre commission, avait été considéré comme minimaliste par certains, mais on ne l'atteint pas et, plus inquiétant encore, on s'en éloigne. Par exemple, dans le logement social, le nombre des constructions ou réhabilitations avoisinait 9 000 par an en 2015 et 2016, il a baissé pour atteindre 6 660 en 2019. Cette baisse est d'autant plus paradoxale que les crédits de la Ligne budgétaire unique (LBU) ont été tendanciellement maintenus et n'ont été « ajustés » à la baisse que pour s'adapter à une sous-consommation qui s'observe depuis 2017. Pour 2021, les AE sont prévus en hausse (+ 8,7 % à 225 millions d'euros) et les CP en baisse (- 2,7 % à 178 millions d'euros).
Face à la complexité croissante du sujet logement - qui a donné lieu à de multiples rapports, conférences ou analyses - et certaines divergences d'appréciation entre les acteurs, les auditions budgétaires permettent de dégager deux séries de constats et de recommandations.
En premier lieu, La vue d'ensemble des financements de relance mobilisables pour le logement ultramarin permet d'envisager un bond en avant historique dans les années qui viennent. En effet, deux plans volontaires de très grande ampleur vont s'articuler avec les traditionnels crédits budgétaires (LBU) et dispositifs fiscaux.
D'une part, Action Logement a acté le 25 avril 2019, la mise en oeuvre d'un Plan d'investissement volontaire (PIV) de 9 milliards d'euros au total. Les Partenaires sociaux y ont inclus une enveloppe spécifique d'1,5 milliard d'euros dédiée aux outre-mer constituant un engagement sans précédent avec des prêts bonifiés, des fonds propres, des quasi-fonds propres et des subventions. 8 700 logements sont d'ores et déjà programmés et financés à hauteur de 300 millions d'euros.
D'autre part, le groupe CDC Habitat, dont le patrimoine représente la moitié du parc social ultramarin, mobilise 10 milliards d'euros pour un plan de relance national : s'agissant de son volet outre-mer, 6 000 projets de construction doivent se concrétiser. Les lancements de chantiers des Sociétés immobilières d'outre-mer (SIDOM) du Groupe devraient représenter au total 22 600 logements d'ici 2025. De plus, 1 500 logements sont réhabilités chaque année pour un montant de 100 millions d'euros.
Je souligne que ces plans volontaires en faveur du parc de logements ultramarin représentent des montants presque comparables aux 3,6 milliards d'euros de financements cumulés de l'État (en subventions et en dépenses fiscales) pendant 15 ans, de 2002 à 2017.
S'agissant des principales raisons du ralentissement de la construction dans les outre-mer et des recommandations efficaces, on peut retenir les points suivants :
- la Cour des comptes insiste sur le coût du foncier ainsi que sur les normes ou exigences administratives inadaptées. Elle préconise de réemployer les crédits non consommés de la LBU pour financer les opérations de réhabilitation et les fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain. Comme le font observer les bailleurs sociaux, ces redéploiements ne doivent pas conduire à « ponctionner » les crédits de la LBU de façon structurelle ;
- l'Union sociale pour l'habitat (USH) et l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM) soulignent la difficulté de recouvrer les loyers avec des locataires à très faibles revenus. Ils souhaitent donc plus d'aide à la pierre et de subventions pour équilibrer financièrement les projets de construction autrement que par une augmentation des loyers. Or l'administration semble s'inquiéter des coûts de construction et la LBU serait désormais censée financer chaque logement social à hauteur de 22 200 euros au lieu de 26 000 les années précédentes. Par ailleurs, la question de l'ingénierie leur parait secondaire avec un argument assez convaincant : jusqu'en 2017, leur capacité à construire a été démontrée ;
- les représentants d'Action Logement ont témoigné que les difficultés de construction, bien réelles, sont surmontables avec une approche territorialisée, concertée et pragmatique ;
- les représentants de la Caisse des dépôts Habitat, qui mettent en avant leur souci de rigueur de gestion, observent qu'on a plus de difficultés à trouver des constructeurs et des aménageurs que des financements. Pour juguler les imperfections actuelles, ils mettent l'accent sur la nécessité de constituer des filières intégrant aménageurs, constructeurs et bailleurs ;
- tous les intervenants s'accordent donc sur la nécessité de réduire le carcan normatif pour réduire les coûts de construction, utiliser des matériaux de construction locaux et adapter les logements aux besoins. Il convient donc, à ce titre, de poursuivre la mise en oeuvre des recommandations de la délégation sénatoriale aux outre-mer sur ce point ;
Enfin je propose à la commission d'insister sur un point majeur : la phase de relance économique des outre-mer doit intégrer les nouvelles générations ultramarines. Face à un taux de chômage des jeunes vertigineux, et qui risque encore de s'aggraver, j'observe que les territoires ultramarins sont déjà, par exemple avec le Service militaire adapté (SMA), un laboratoire d'initiatives de formations à succès. Pour enclencher, de manière beaucoup plus globale, un cercle vertueux d'activation des crédits et de formation des jeunes, nous proposons, de mettre en avant le concept d'« entreprise formatrice » dans les outre-mer, en s'inspirant des pays les plus performants du monde. Il s'agit, en particulier, pour les secteurs bénéficiant d'aides publiques et parfois confrontés à des baisses d'activité, d'intégrer plus systématiquement la jeunesse ultramarine dans le développement d'entreprises et de filières économiques efficaces. Encore faut-il articuler ce mouvement avec un statut accordé à ces jeunes et des perspectives de carrières attractives facilitées par un niveau d'exonération de charges bien calibré.
Compte tenu de la hausse de ce budget, des engagements pour aller au-delà de 1,5 milliard dans le plan de relance, des avancées en LFSS sur les exonérations, je vous propose enfin d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission outre-mer. L'idéal aurait été de vous proposer un amendement sur le réemploi des crédits non consommés mais il n'est juridiquement pas possible d'empiéter sur ce qui relève de la compétence de l'exécutif, conformément à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).
En vous écoutant, je me pose une question sur la couverture numérique. Nos outre-mer peuvent-ils bénéficier des nouvelles avancées du satellitaire, avec le lancement, en janvier 2020, d'Eutelstat Konnect qui doit proposer des services d'accès à Internet à un débit maximal de 100 Mbit/sec et contribuera à réduire fortement la fracture numérique dans 40 pays en Afrique et dans 15 pays d'Europe ?
Le système existant de câblage sous-marin permet en principe une desserte convenable de nos îles en numérique mais les difficultés se situent dans la capacité d'ingénierie pour distribuer la fibre optique avec des coûts qui sont nettement plus élevés qu'en France hexagonale.
Je me demande si les capacités satellitaires permettraient de dépasser ces difficultés filaires.
Je souhaite évoquer les orientations futures de la souveraineté alimentaire de nos territoires ultramarins. Ceux-ci sont très dépendants d'importations de denrées alors qu'ils disposent d'un gros potentiel de développement avec, en particulier, une agriculture dite de petite échelle composée de structures à dimension très réduite. Cependant, beaucoup de terres ont été abandonnées en raison des mouvements de population vers les villes. Il faut trouver les moyens de réhabiliter ces exploitations et de développer une polyculture adaptée aux besoins spécifiques des territoires, alors qu'aujourd'hui les quasi monocultures - comme la canne à sucre à la Réunion - ont pris une place trop importante. Je travaille également sur les plantes médicinales : on trouve, dans les outre-mer, des ressources particulièrement intéressantes et des atouts à développer dans ce secteur. Nous allons relancer un groupe informel sur les plantes médicinales et nous serions très heureux d'accueillir la rapporteure Micheline Jacques, dans la mesure de ses disponibilités.
Je suis très sensible à votre invitation d'autant que j'ai une formation de biologiste. Il y a effectivement une biodiversité extraordinaire dans nos territoires ultramarins ; c'est un atout majeur et nous pourrions développer des petits laboratoires innovant avec, à la clef, des perspectives d'emplois pour les jeunes talents scientifiques qui partent à l'étranger, faute de débouchés sur place.
Je me demande si nos réflexions générales en matière de logement et de politique de la ville pourraient mieux intégrer les problématiques ultramarines spécifiques. C'est une simple interrogation.
On retrouve des similitudes, comme en matière de constructions neuves, et Mme Micheline Jacques les a bien mises en évidence. La rapporteure pour avis a cependant évoqué certaines particularités, par exemple dans le logement social - secteur dans lequel l'USH est très engagée - et la résorption de l'habitat indigne ou informel qui me parait un des défis majeurs, comme nous l'avions constaté lors de notre déplacement dans les Antilles avec la Présidente Sophie Primas, dans le cadre de notre initiative sur l'habitat indigne. Même si les problématiques ont des grands axes communs, les crédits sont rattachés à des missions budgétaires différentes et les outre-mer doivent faire face à des difficultés spécifiques, avec des coûts de construction beaucoup plus élevés que dans l'hexagone et des approches différentes pour répondre aux attentes locales.
Les normes ne sont effectivement pas adaptées et elles varient d'un territoire ultramarin à l'autre. Chaque territoire a des caractéristiques et des attentes différentes, ne serait-ce que du point de vue topographique, climatique, du risque sismique, de la nature des sols. Nous avons également d'autres difficultés : il faudrait, par exemple, pouvoir développer, sur place, des filières de traitement de l'amiante. Aujourd'hui, lorsque les opérateurs font des travaux de réhabilitation, ils sont obligés d'envoyer les produits amiantés en France hexagonale. Il est donc possible de développer, autour du BTP, tout un ensemble d'activités annexes, en organisant des formations sur place et en créant des emplois dans un contexte de très fort taux de chômage.
Je félicite à mon tour la qualité du rapport. Si j'ai bien compris, il ne nous est pas proposé, à ce stade de l'examen du projet de loi de finances, de reprendre les amendements présentés par l'USH. Ces amendements me paraissent soulever des points importants. Cela rejoint d'ailleurs la remarque de la rapporteure pour avis sur l'importance des filières. Aujourd'hui, les coûts de construction apparaissent très élevés dans les outre-mer en raison de l'insularité et aussi de la disparition de certaines entreprises qu'il n'est pas facile de reconstituer. Je connais bien la thèse de Bercy selon laquelle il faut éviter d'augmenter les crédits logement pour l'outre-mer pour ne pas favoriser la hausse des coûts de construction mais il faut bien constater qu'un certain nombre de projets, dans le logement social ou très social, ne peuvent s'équilibrer financièrement qu'avec des prévisions de loyer beaucoup trop élevées pour les locataires à faibles ressources de ces territoires. Il faut donc que le Gouvernement accepte d'augmenter les crédits alloués par opération, sans quoi les sous-consommations de crédits vont perdurer. Par ailleurs, je connais depuis bien longtemps la problématique des normes : c'est un peu un serpent de mer et il ne doit pas servir à masquer la réalité des autres surcoûts.
Je rejoins l'analyse de Micheline Jacques sur la nécessité de développer des accords cadre par territoire portant sur les sujets logement, filière du bâtiment, nouveaux métiers, nouveaux emplois et potentiel de mobilisation des matériaux locaux. À partir de là, on pourrait mesurer l'évolution des coûts de construction grâce à des observatoires locaux qui permettraient de pointer les cas où les prix sont abusifs. Face à l'ampleur des besoins, il faut perfectionner ces filières. De plus, je soutiens : l'amélioration des soutiens fiscaux à la construction ainsi qu'à la réhabilitation, l'idée du prêt à taux zéro et la généralisation des opérations d'accession très sociale à la propriété car cela correspond aux attentes de certains ultramarins.
La rapporteure pour avis nous a proposé d'émettre un avis favorable sur les crédits de la mission outre-mer. Je consulte la commission sur cette recommandation. Le Groupe communiste républicain citoyen et écologiste vote contre tandis que le Groupe Écologiste Solidarité et Territoires ainsi que le Groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ne prennent pas part au vote.
La commission émet un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
La réunion est close à 12 h 40.