Intervention de Anne-Catherine Loisier

Commission des affaires économiques — Réunion du 25 novembre 2020 à 9h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Anne-Catherine LoisierAnne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis sur les crédits « Numérique et postes » de la mission « Économie » :

Je souhaite au préalable remercier mon collègue Patrick Chaize pour nos échanges sur cette mission. Comme pour l'ensemble du budget cette année, la mission « Économie » est complétée par le plan de relance, qui reprend plusieurs préconisations que nous avions formulées au printemps. Je pense notamment à l'inclusion numérique ou à la numérisation des PME, dont M. Serge Babary vient de parler en détails.

J'ai souhaité cette année concentrer mon avis budgétaires sur trois principaux points, dont deux figuraient dans nos réflexions sur le plan de relance. L'autre point, concernant La Poste, est d'une actualité budgétaire plus récente.

Premier point : le Sénat a semble-t-il enfin été entendu sur le financement des réseaux de télécommunications à usage fixe. Cela faisait plusieurs années que nous plaidions en faveur d'une rallonge budgétaire substantielle pour donner de la visibilité aux acteurs des réseaux sur tout notre territoire. L'année dernière, nous avions plaidé pour 322 millions d'euros supplémentaires. Cette année, en troisième projet de loi de finances rectificative, j'avais obtenu, en lien avec la commission des finances, une rallonge de 30 millions d'euros. Dans le plan de relance, c'est un surplus de 240 millions d'euros qui est dégagé. Au-delà de cette enveloppe, le Gouvernement estime pouvoir « recycler » 280 millions d'autorisations d'engagement non utilisées au préalable. En tout, cela ferait 550 millions d'euros. Ce n'est pas encore les 670 à 680 millions que la filière réclame pour couvrir l'ensemble du territoire, et cette enveloppe sera composée pour une bonne partie de crédits qui ne sont pas nouveaux - puisque, comme je l'ai déjà dit l'année dernière il y a une part de recyclage -, mais c'est déjà un budget conséquent, qui permettra de sortir des errements de ces dernières années. Nous avons d'abord connu une fermeture du guichet « France très haut débit », puis nous avons observé sa réouverture, mais dans des conditions resserrées. Ces 550 millions d'euros donneront lieu à l'établissement d'un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d'initiative publique. Il conviendra que celui-ci établisse un cadre stable, pérenne, et de nature à traiter les raccordements longs et complexes à venir, pour faciliter les investissements et ne laisser personne au bord du chemin numérique.

Sur le terrain, si la dynamique enclenchée est bien réelle, il y a encore des millions de locaux qui ne sont pas couverts ni en très haut débit ni en fibre optique jusqu'à l'abonné. Le confinement a bridé la dynamique haussière mais heureusement, si l'on suit les premières tendances de l'année, on arrive à des estimations oscillant entre 4,8 et 5 millions de prises installées en 2020, contre 4,8 millions en 2019. Le retard pourrait donc être rattrapé grâce à la mobilisation des entreprises. C'est essentiel car 35 % des locaux restent inéligibles au très haut débit et 48 % des locaux restent inéligibles à la fibre - et c'est 75 % en zone rurale. Nous sommes toujours bons derniers de l'Union européenne sur le très haut débit fixe. En somme, le chemin reste long à parcourir mais le signal envoyé par le projet de budget, à travers le plan de relance, est encourageant.

S'agissant du mobile, la dynamique des déploiements dans le cadre du « New Deal » apparaît vraiment positive si l'on regarde les derniers chiffres : la France est ainsi passée de la 18e à la 13e place en Europe et cela devrait encore s'améliorer. Compléter la couverture du territoire en 4G et ne pas prendre de retard sur la 5G sera un véritable défi industriel pour les acteurs des télécommunications. Pour accompagner ce mouvement, je proposerai en séance de parvenir à une fiscalité plus favorable aux déploiements d'antennes mobiles à travers deux amendements : l'un prolongeant le dispositif d'exonération existant en zone de montagne, l'autre - qui est plutôt un amendement d'appel dans l'attente d'un rapport des services de l'État sur le sujet - plafonnant le produit de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) « mobile » à son niveau de 2020. Ainsi, nous préserverions les recettes perçues jusqu'alors par les collectivités locales tout en créant un environnement plus favorable à cette nouvelle vague de déploiements tant attendue.

J'en viens au deuxième point s'agissant de la mission « Économie », qui concerne le financement des missions de service public de La Poste. Année après année, les missions de service public confiées à La Poste sont sous-compensées par l'État. En tout, La Poste estime le déficit non compensé de ces missions de service public à 850 millions d'euros. Dans ces conditions, nous risquons une dégradation des services.

Il en va de même s'agissant de la mission de transport et de distribution de la presse. Sa compensation baisse encore de quelques millions d'euros, sans que La Poste n'ait été consultée. Une mission d'inspection est en cours pour faire des propositions. Nous y serons attentifs.

Cela doit conduire notre commission à mener une réflexion plus globale sur l'ensemble des missions de service public de La Poste, en particulier sur un renouveau du service universel, peut-être plus numérisé et qui réponde davantage aux attentes de nos concitoyens dans les années à venir.

Mais dans ce projet de loi de finances, l'urgence porte sur la mission d'aménagement du territoire. Cette mission de service public qui garantit un maillage territorial fort de 17 000 points de contact et qui se traduit par des actions de financement concrètes, en lien avec les commissions départementales de présence postale territoriale, est financée par des abattements de fiscalité locale, en particulier par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Or, la suppression de la moitié de la CVAE régionale dans le projet de loi de finances pour 2021 fait perdre 66 millions d'euros d'abattements correspondant, qui finançaient la mission d'aménagement du territoire. L'État n'avait manifestement pas anticipé le sujet car rien n'est prévu dans le projet de budget pour compenser cette perte ! Cette mission est déjà déficitaire à hauteur de 60 millions d'euros. Poursuivre sur cette voie serait prendre le risque d'une dégradation importante des services. Il convient donc que l'État compense les effets de la réforme de la fiscalité de production. Il tiendrait ainsi sa parole, car il s'était engagé dans le contrat de présence postale territoriale signé avec les élus locaux à un financement annuel de 177 millions d'euros par an. Un amendement a été adopté par le Sénat en première partie au projet de loi de finances sur ce sujet, en affectant une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée au fonds national de péréquation territoriale. Si c'est un signal assurément bienvenu, le Gouvernement n'est pas disposé à l'accepter. Cette solution risque donc de ne pas prospérer au cours de la navette. C'est pourquoi je vous proposerai, en lien avec M. Patrick Chaize, président de l'observatoire national de présence postale, d'adopter un amendement de crédits dotant à hauteur de 66 millions d'euros la mission « Économie » pour maintenir le niveau de financement de cette mission d'aménagement du territoire. C'est une solution à laquelle le Gouvernement semble adhérer. Afin que l'État honore sa parole sur toute la durée du contrat de présence postale territoriale, j'assortirai l'amendement d'une demande que le Gouvernement s'engage à reconduire la subvention dans les années à venir.

Au-delà de l'urgence, je disais qu'il faudrait nous pencher également sur le financement à plus long terme des missions de service public. La crise sanitaire a porté un nouveau coup dur au service universel postal : elle a accéléré de deux ans la baisse du courrier par rapport aux prévisions, générant un déficit prévisible de la mission d'environ 1,5 milliard d'euros en 2020 selon La Poste. Cet effondrement de l'activité courrier est insoutenable pour l'entreprise publique et ne peut être compensé par la croissance des services colis. Nous devrons mener ce chantier de réflexion en 2021. C'est l'occasion de créer un nouveau service universel modernisé, le cas échéant plus numérisé.

Enfin, j'ai souhaité me pencher cette année sur le sujet de la fiscalité applicable aux centres de stockage de données - les data centers. Ces infrastructures sont essentielles à notre avenir numérique, notamment comme élément de souveraineté. Un avantage fiscal a été créé en 2019 pour inciter à l'implantation de data centers en France. Il y avait deux raisons à cela : d'abord, la vive concurrence entre États européens pour accueillir ces infrastructures numériques stratégiques ; ensuite, pour maximiser l'avantage compétitif de notre pays que constitue son prix de l'électricité, parmi les moins chers. Il fallait donc que la fiscalité accompagne cet effort d'attractivité.

Mais il y avait deux limites à ce dispositif aujourd'hui en vigueur, limites que je proposerai de corriger en séance publique à l'occasion de ce projet loi de finances. D'abord, l'avantage fiscal ne s'applique pas à tous les data centers, mais seulement aux plus énergivores, créant une rupture d'égalité et qui se justifie d'autant moins que cela n'incite pas à réduire l'empreinte environnementale des data centers. Je proposerai d'y revenir à travers un amendement qui étend l'avantage fiscal à tous les data centers. Ensuite, il s'agit d'obtenir, en contrepartie, des engagements environnementaux. Jusque-là aucun dispositif de ce type n'a été adopté, malgré ce qui avait été initialement envisagé. C'est ce que propose de corriger le projet de loi de finances en mettant en place une forme d'éco-conditionnalité du dispositif, qui consiste notamment en l'adhésion à un programme de mutualisation des bonnes pratiques de gestion énergétique. Dans une logique conciliation entre attractivité et exigences environnementales, je proposerai en séance un amendement visant à aligner ces exigences sur celles déjà édictées au niveau européen, dans le cadre du code de bonne conduite européen auquel adhèrent de nombreux acteurs de la filière. C'est une approche européano-compatible qui devrait séduire le ministre Cédric O, qui nous a montré à maintes reprises son attachement à l'échelon européen ! Cela favorisera l'intégration des data centers français dans un référentiel environnemental commun à l'échelle européenne.

Pour conclure, je vous invite, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous propose sur La Poste, à émettre un avis favorable sur ces crédits qui, comme vous l'aurez compris, sont sauvés par le plan de relance.

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