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- Présidence de M. Christophe-André Frassa, vice-président -
La pandémie mondiale de covid-19 nous conduit inévitablement à nous interroger sur notre processus démocratique : contrairement à d'autres États, la France a fait le choix de reporter plusieurs échéances électorales, dont le second tour des dernières élections municipales.
L'épidémie n'est pas la seule cause de cette érosion démocratique : le taux de participation aux élections législatives est ainsi passé de 69,2 % des électeurs inscrits en 1993 à 48,7 % en 2017.
Le virus contrarie toutefois l'acte de vote et instille le doute chez les électeurs, notamment chez les personnes vulnérables. Il remet également en cause le déroulement des campagnes électorales, en restreignant les possibilités de rencontre avec les candidats. Pourtant, personne n'imagine un report de l'élection présidentielle de 2022 !
C'est dans ce contexte que notre commission des lois a lancé, il y a un mois, une mission d'information sur le vote à distance afin de dresser un état des lieux de la situation.
Par « vote à distance », nous visons, en réalité, trois dispositifs très différents : le vote par procuration, que nous pratiquons déjà ; le vote par correspondance « papier », que la France a abandonné depuis 1975, même s'il existe toujours pour les Français de l'étranger et les personnes détenues ; et le vote par Internet, qui est actuellement mis oeuvre pour certaines élections de nos compatriotes expatriés.
L'objectif de la mission d'information était de s'interroger sur la faisabilité de ces dispositifs, en particulier en vue des élections départementales et régionales de 2021, dont le Gouvernement a proposé le report en juin prochain.
Je tiens à saluer l'engagement de tous les membres de cette mission pluraliste : nos collègues Philippe Bas, Guy Benarroche, Philippe Bonnecarrère, Cécile Cukierman, Éric Kerrouche, Alain Marc, Alain Richard et Jean-Yves Roux.
Nous avons travaillé dans des délais très contraints : en quatre semaines, nous avons organisé sept auditions et quatre tables rondes, recueillant ainsi l'avis de 28 personnes. Nous avons également mené une consultation auprès de l'ensemble des présidents de région et de département : 43 réponses écrites ont été reçues, issues de quatre régions et de 39 départements. Enfin, la mission s'est appuyée sur l'étude de droit comparé sollicitée par Éric Kerrouche et Philippe Bonnecarrère.
Les conclusions de la mission d'information doivent servir de base à un débat plus large, réunissant l'ensemble des formations politiques. Des modifications aussi profondes de notre culture démocratique impliquent, en effet, un consensus transpartisan.
En premier lieu, nous souhaitons réaffirmer la primauté du vote à l'urne, qui constitue un véritable rituel républicain. Tout le monde en est d'accord, mais cela va mieux en le disant ! Depuis 1913, l'isoloir protège les électeurs contre les pressions extérieures. Le vote est organisé dans chaque commune, arrondissement ou quartier, et je tiens à saluer l'engagement des milliers de bénévoles qui tiennent nos bureaux de vote à chaque scrutin.
Durant nos auditions, nous avons été alertés sur les difficultés rencontrées par les électeurs « mal-inscrits » : le rattachement à un bureau de vote ne correspond pas à leur lieu de vie effectif. Il faut lutter contre ce phénomène, qui concernerait 7,6 millions de Français, une proportion considérable !
À l'issue de nos travaux, nous avons rejeté l'idée d'une ouverture anticipée des bureaux de vote : ce serait très difficile à gérer et très coûteux pour les communes.
J'en viens à présent au vote par procuration. Il constitue un mode d'expression habituel pour les Français, même si seuls sept pays européens le pratiquent. À l'élection présidentielle de 2017, plus de 3,3 millions de personnes ont voté par procuration.
Je connais les réserves d'Éric Kerrouche et de Guy Benarroche sur les procurations. Néanmoins, le mandant fait lui-même la démarche auprès d'un officier de police judiciaire et il choisit son mandataire parmi les personnes de confiance qui partagent ses opinions politiques, ce qui assure la sécurité du vote. Le risque de « trahison » du mandataire envers son mandant existe mais il est très faible. Ce système est efficient et reste une habitude acceptée de tous.
Le recours au vote par procuration a été étendu pour le second tour des élections municipales du 28 juin 2020. Je rappelle qu'il s'agissait déjà, à l'époque, d'une initiative sénatoriale.
Notre mission propose de pérenniser ces assouplissements dans notre droit électoral, et ce, dès les prochaines élections régionales et départementales de 2021 : chaque électeur pourrait disposer de deux procurations, contre une seule actuellement ; les personnes vulnérables pourraient plus facilement établir leur procuration depuis leur domicile, pour éviter les files d'attente en gendarmerie.
Ces propositions semblent faire consensus : plus de 83 % des présidents de région et de département ayant répondu à notre questionnaire y sont favorables.
Nos travaux ont ensuite porté sur le vote par correspondance « papier ».
Notre pays en garde un mauvais souvenir : le dispositif mis en oeuvre entre 1946 et 1975 était très limité - avec 1,58 % des votants aux élections législatives de 1967 -, mais surtout trop fragile face aux fraudes. Les exemples étrangers nous démontrent toutefois que des procédures plus sécurisées sont possibles, notamment en Allemagne et en Suisse.
Le vote postal doit respecter plusieurs conditions préalables pour être mis en place. Je précise d'emblée, qu'à ce jour, ces conditions ne sont pas remplies. Des expérimentations nous semblent donc nécessaires pour sécuriser cette modalité de vote.
Première condition, le vote par correspondance « papier » doit rester un dispositif complémentaire du vote à l'urne.
Deuxième condition, il faudrait organiser la confection et l'acheminement des plis. Le vote postal est complexe à mettre en oeuvre car il implique au moins trois flux : la transmission du matériel de vote à l'électeur, l'envoi de l'enveloppe d'expédition des électeurs vers un lieu sécurisé - et restant à déterminer, comme la préfecture, le tribunal judiciaire ou le commissariat - et l'acheminement des plis jusqu'aux bureaux de vote. Les représentants de La Poste se sont montrés confiants quant à leur capacité de relever ce défi logistique, mais le premier confinement a démontré les difficultés que pouvait connaître l'entreprise : le taux d'absentéisme a atteint plus de 20 % chez les facteurs ! L'acheminement des professions de foi pour le second tour des élections municipales s'est bien passé, mais cela ne nous rassure pas totalement...
Troisième condition, il faut garantir la sécurité du vote postal. Plusieurs dispositifs peuvent être envisagés pour vérifier l'identité de l'électeur, avec différents niveaux d'exigence. Ils vont de l'envoi de la copie de ses documents d'identité et de ses justificatifs de domicile à la rencontre physique avec un tiers de confiance.
En pratique, un dispositif de suivi devrait être mis en place pour s'assurer du bon acheminement des plis. Ces derniers devraient être conservés dans un lieu sécurisé jusqu'au jour du scrutin.
Quatrième condition et non des moindres, il faudrait refondre le calendrier électoral pour prendre en compte les délais incompressibles du vote postal. Il faudrait, en particulier, avancer d'au moins deux semaines le délai limite pour le dépôt des candidatures et prévoir au moins deux - voire trois - semaines entre les deux tours de scrutin. Ce dernier point est sans doute le plus sensible : à part pour l'élection présidentielle, les tours de scrutin sont traditionnellement séparés d'une semaine. Passer ce délai à deux semaines risque d'accroître la démobilisation du corps électoral. Cécile Cukierman a eu raison d'insister sur ce point au cours de nos travaux !
Enfin, cinquième condition, il faudrait réorganiser les bureaux de vote et le dépouillement, car l'électeur doit pouvoir voter à l'urne jusqu'à la clôture des bureaux de vote, même s'il a déjà envoyé son pli de vote par correspondance. Des événements de fin de campagne peuvent en effet l'amener à modifier son vote. Cette exigence nécessite des contrôles particuliers - et difficiles à mettre en place - dans les bureaux de vote. La durée du dépouillement s'en trouvera allongée, alors que les Français restent attachés à la publication rapide des résultats.
Le vote postal implique donc de nombreuses modifications dans notre vie démocratique. Les auditions nous ont convaincus qu'il ne pourra pas être mis en oeuvre pour les élections régionales et départementales de 2021. Il faut des garanties de sécurité suffisantes et une élection avec un corps électoral de 47 millions de personnes ne peut s'organiser dans la précipitation et en l'absence de consensus. D'ailleurs, parmi les 43 présidents de région ou de département qui ont répondu à notre consultation, seuls 20 % estiment que le vote par correspondance « papier » peut être mis en oeuvre pour les prochains scrutins.
Nous proposons donc de mener des expérimentations pour tester la solidité et la sécurité de la chaîne logistique et mesurer l'impact du vote postal sur la participation électorale.
Nous avons eu un débat sur les conditions de cette expérimentation. Je préconise de commencer par des consultations locales ou partielles. Une chose est sûre : l'expérimentation doit concerner toute une circonscription, au risque, dans le cas contraire, de créer des inégalités d'accès au suffrage entre les électeurs d'une même circonscription.
Nos collègues Jacky Deromedi, Christophe-André Frassa et Jean-Yves Leconte évoqueront ultérieurement le vote par Internet des Français de l'étranger. Ces scrutins sont très spécifiques car les électeurs peuvent se trouver à des centaines de kilomètres de leur bureau de vote !
À l'échelle internationale, seule l'Estonie utilise massivement le vote par Internet - pour 1,3 million de personnes seulement...
Là aussi, l'extension du vote par Internet supposerait que soient remplies cinq conditions préalables : se prémunir contre les cyberattaques, ce qui n'est pas encore garanti ; s'assurer de l'identité des électeurs, ce qui passe par la création d'une identité numérique robuste ; garantir l'accessibilité de la plateforme de vote ; prendre acte de la suppression du rituel républicain du vote physique et assurer la transparence des résultats.
Le vote par Internet ne pourra donc pas être mis en oeuvre pour les élections régionales et départementales de 2021, cela ne fait aucun doute.
Personne ne ferme définitivement la porte à cette modalité de vote : près de 60 % des présidents de région et de département consultés déclarent que le vote électronique pourrait être mis en place à moyen terme, sous réserve d'une sécurisation - qui est encore insuffisante.