Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le mois de mars dernier, le Gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, mobilise des moyens exceptionnels pour protéger nos entreprises et leurs salariés des conséquences économiques de la crise sanitaire.
Le « quoi qu’il en coûte », la solidarité et la combativité des Français ont démontré leur efficacité : 30 % de faillites en moins ont été enregistrées par rapport à 2019. Les mécanismes mis en place ont donc fonctionné – même si cela ne préjuge pas de 2021.
Dans ce contexte, notre commission consiste à accompagner les entreprises dans leur transformation économique et à préserver les emplois des salariés. Le succès, mardi dernier, de la reprise de l’usine Daimler de Hambach illustre cette stratégie.
La proposition de loi soumise à l’examen du Sénat vise à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d’une entreprise de déposer une offre de rachat de l’entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan. Présenté par la sénatrice Sophie Taillé-Polian, ce texte supprime la disposition introduite par l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020.
Prise dans un contexte de crise sanitaire ayant conduit à l’arrêt quasi total de notre économie en quelques heures – je ne manquerai pas d’y revenir –, cette ordonnance simplifie un dispositif préexistant et dérogatoire inscrit dans le code de commerce, qui permet aux dirigeants d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire ou à leurs parents ou alliés de présenter, avec des précautions et des garanties définies par la loi, une offre d’achat partiel ou total de l’entreprise.
Avant d’en venir au fond de cette proposition de loi, je formulerai deux remarques.
D’abord, il est inscrit très clairement dans l’ordonnance en question que la simplification introduite prendra fin le 31 décembre 2020, soit très exactement dans vingt et un jours. Je veux donc rassurer la sénatrice Taillé-Polian sur ce point : elle n’aura pas à patienter longtemps – ni à attendre l’issue d’une longue navette parlementaire – pour être satisfaite… Cette échéance avait été clairement rappelée par le Gouvernement lors d’une séance de questions d’actualité, voilà environ deux mois.
Ensuite, je m’interroge sur l’intitulé de cette proposition de loi : « supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d’une entreprise de déposer une offre de rachat de l’entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan ». « Après avoir organisé son dépôt de bilan », vraiment ?
Pour échanger avec un très grand nombre d’entreprises, de toutes tailles, et pour avoir eu, dans une vie antérieure, une expérience au sein d’une entreprise et comme investisseur, je puis vous assurer que je ne connais pas beaucoup de chefs d’entreprise qui organisent sciemment leur dépôt de bilan. Prétendre le contraire me paraît très déconnecté du quotidien que vivent nos chefs d’entreprise !
Il n’aura échappé à personne au sein de cette assemblée que nous connaissons, depuis mars dernier, une crise économique d’une violence inouïe. Le quotidien des dirigeants et des salariés, dans ce contexte, ce sont l’incertitude et l’angoisse, la peur de voir les efforts d’une vie s’effondrer en quelques jours, malgré des mois de lutte et des nuits sans sommeil.
Cette détresse et cette peur, le Gouvernement les entend. Il met tout en œuvre, quoi qu’il en coûte, pour soutenir celles et ceux qui ne cessent de se battre, chaque jour, pour sauver leur activité : le fonds de solidarité, des prêts garantis par l’État, l’activité partielle la plus protectrice d’Europe pour préserver les salariés, des exonérations de charges sociales.
Non, madame la sénatrice, les chefs d’entreprise n’organisent pas la faillite de leur entreprise : ils se battent pour la survie de leur activité ! Au reste, nombre d’entre eux sont préoccupés par la protection de leurs salariés.
Je vous remercie néanmoins d’avoir déposé cette proposition de loi, car son examen fournit au Gouvernement la possibilité d’expliquer les objectifs de ce dispositif simplifié. De ce point de vue, je tiens à saluer le travail approfondi de Mme la rapporteure Thomas. Son rapport délimite exactement le périmètre du dispositif, ainsi que les garanties prévues par la loi. Par ailleurs, il réfute l’idée que ce dispositif constituerait un effet d’aubaine pour les entreprises.
Pour bien comprendre les objectifs du Gouvernement dans cette simplification d’un dispositif, je le répète, préexistant, il faut se replacer dans le contexte du 16 mars dernier. En dépit des mesures massives prises par le Gouvernement pour soutenir notre économie, nous craignions alors que des entreprises ne soient contraintes de fermer, en raison non d’une faute de gestion ou d’un manque de compétitivité, mais d’un facteur extérieur à leur activité – la crise sanitaire. Dans ces conditions, notre objectif était de mettre tous les atouts de notre côté et tous les outils au service des entreprises en difficulté pour leur permettre de passer ce cap.
Tel est le contexte dans lequel a été amodié ce dispositif existant de longue date dans le code de commerce. Sa simplification se justifiait à double titre.
D’abord, il s’agissait de sauver le maximum d’emplois. L’activité partielle a bénéficié, à son plus haut pic, à plus de 12 millions de salariés, soit un salarié du privé sur deux – ce qui traduit bien la violence de la crise –, comme le Gouvernement s’y était engagé. Prise dans le même esprit, l’ordonnance a permis de sauver des milliers d’emplois : 3 769 emplois chez Orchestra Prémaman, 9 429 emplois au sein du Groupe Novares ou encore, plus modestement, 59 emplois chez le lunettier jurassien L’Amy – soit, dans les deux derniers cas, l’intégralité des emplois. Le dispositif a donc profité à des entreprises de toutes tailles.
Ensuite, il s’agissait de répondre à l’urgence, qui ne permettait pas nécessairement à des repreneurs de se porter acquéreurs d’entreprises, compte tenu des délais très courts et des conditions de travail dégradées pour eux. Ainsi, le dépôt de bilan et la reprise de Novares ont eu lieu alors que le premier confinement n’était pas encore levé.
Simplifier ne veut pas dire réduire les garanties protectrices. Dans le droit commun, le débiteur ou les dirigeants disposaient déjà de la faculté de reprendre une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, sur réquisitions spéciales du ministère public, par un jugement spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs. Dans le dispositif simplifié, ni le ministère public, ni le jugement spécialement motivé, ni les contrôleurs n’ont disparu de la procédure ; le Gouvernement a mis un point d’honneur à les conserver dans la simplification.
Le changement est d’ordre strictement procédural : le débiteur ou les dirigeants peuvent former une requête en vue d’une offre de rachat, sans que le ministère public soit tenu de la reprendre à son compte. La présence de ce dernier est obligatoire à l’audience ; il peut présenter des observations et, surtout, interjeter appel, avec effet suspensif.
Non, il ne s’agit donc pas d’une régression des protections, non plus que d’un effet d’aubaine. Quand un dirigeant voit son entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, il risque de perdre son outil productif face à une offre concurrente : rien ne lui garantit qu’il pourra reprendre son entreprise, et il ne bénéficie d’aucun avantage ni d’aucune priorité face à une éventuelle offre alternative déposée devant le tribunal de commerce. C’est à celui-ci qu’il appartient de déterminer la meilleure offre au regard du maintien des activités, de la préservation des emplois et de l’apurement du passif.
À cette occasion, je salue le travail considérable accompli par les tribunaux de commerce sur tout le territoire. Ils sont des acteurs essentiels pour les entreprises dans la période particulière que nous traversons.
Un cas emblématique, Camaïeu, prouve bien que le dirigeant ne bénéficie d’aucun avantage : dans cette procédure, le tribunal de commerce de Lille a suivi l’avis du comité social et économique de l’entreprise, donc la voix des salariés, qui s’étaient prononcés en faveur de l’offre concurrente de celle des dirigeants.
Le Gouvernement estime que la prorogation de ce dispositif simplifié au-delà du 31 décembre prochain n’est pas nécessaire. Les parties prenantes, entreprises et tribunaux de commerce, fonctionnent désormais de manière quasi normale, et chacun est sensibilisé à la nécessité de faciliter les cessions d’entreprise. Nous laisserons donc ce dispositif s’éteindre à l’échéance prévue.
En revanche, madame la rapporteure, une mission a été lancée par le garde des sceaux et moi-même pour rechercher la manière d’améliorer l’accompagnement par les tribunaux de commerce des entreprises en difficulté, en particulier les TPE, moins familières de ce type d’institutions. Il est vrai, madame Taillé-Polian, que nous avons des progrès à faire pour que les petites entreprises se sentent prises en charge et bienvenues dans les tribunaux de commerce. Dans cette perspective, la mission rendra ses conclusions à la mi-janvier.