Intervention de Daniel Salmon

Réunion du 10 décembre 2020 à 10h30
Suppression de la possibilité de rachat par le dirigeant après le dépôt de bilan — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Daniel SalmonDaniel Salmon :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le tribunal de commerce d’Orléans a scellé en octobre dernier le sort d’Inteva Products France.

Ce groupe, filiale d’un équipementier automobile américain, était en redressement judiciaire depuis le mois de juin. La justice a tranché : c’est la maison mère, candidate à sa reprise, qui rachète son entreprise, après avoir organisé son dépôt de bilan pour une transaction fixée à 1, 25 million d’euros. Ce rachat lui permet d’abandonner – excusez du peu – 169 millions d’euros de créances !

Dans les faits, ce rachat entraînera la fermeture de l’usine de Saint-Dié-des-Vosges, qui emploie 223 salariés, ainsi que 42 licenciements sur les 160 postes que compte le siège à Sully-sur-Loire, soit 265 licenciements au total. Voilà un exemple assez parlant de ce que permet l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai dernier.

Celle-ci facilite la reprise d’une entreprise en redressement judiciaire par son dirigeant et permet un apurement de la dette, le ou les dirigeants se délestant au passage d’une partie des salariés. Auparavant, une réquisition spéciale du parquet était nécessaire pour pouvoir procéder ainsi. Sinon, il fallait respecter un délai minimum de cinq ans. Le Gouvernement a donc procédé à un sérieux assouplissement de la règle initiale.

Cette disposition a été prise dans l’objectif de limiter la casse économique et sociale post-covid et avec la volonté affichée de préserver les emplois. Cela peut se comprendre pour les PME de certains secteurs qui déposent le bilan alors qu’elles ont peu de concurrents et en l’absence de repreneur potentiel. Il faut d’ailleurs reconnaître que la mesure a pu être salutaire pour certaines petites entreprises.

Toutefois, ce dispositif n’ayant pas été suffisamment encadré, il a eu des effets d’aubaine et a ouvert la voie à des dérives inacceptables.

Ainsi, de grands groupes se sont engouffrés dans la brèche pour restructurer à moindre coût. C’est le cas d’Inteva Products France, mais aussi de l’entreprise Orchestra Prémaman, qui s’est séparée de plusieurs centaines de salariés, l’opération ayant permis à l’équipe dirigeante de poursuivre l’aventure à peu de frais après l’apurement du passif du groupe, estimé à 500 millions d’euros.

On peut citer également l’entreprise Alinéa, qui a supprimé près de 1 000 emplois. Permettez-moi un rappel historique : en 2019, c’est-à-dire avant la crise sanitaire, cette enseigne avait réalisé 257 millions d’euros de chiffre d’affaires et enregistré 62 millions d’euros de pertes.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, grâce à cette ordonnance, des entreprises effacent les dettes qu’elles ont contractées auprès de fournisseurs, de l’État et même des organismes sociaux. En résumé, elles repartent de zéro sur le dos de la collectivité. L’entreprise réduit ses effectifs à moindre coût puisque les licenciés sont indemnisés au minimum, sans aucun complément. Et encore une fois, ce sont les salariés qui paient le prix fort.

Il s’agit, pour de grands groupes peu soucieux des conséquences économiques et sociales de leurs décisions, non plus de sauvegarder des emplois, mais d’utiliser, voire de dévoyer des procédures juridiques temporaires pour s’alléger de difficultés financières accumulées avant la pandémie. Était-ce là l’intention du Gouvernement ?

Assouplir les règles de droit commun pour faciliter les reprises et éviter les faillites serait sans doute bénéfique dans un monde entrepreneurial tout à fait bienveillant, mais dans celui que nous connaissons, où un certain nombre de chefs d’entreprise agissent d’abord en acteurs économiques cyniques, leur rationalité étant tout entière tournée vers l’optimisation des coûts et la recherche du profit, nous savons que cela se fait trop souvent au détriment des droits des salariés.

Cette disposition doit arriver à terme le 31 décembre. Nous saluons le fait que la commission des lois ait choisi de ne pas la proroger, car tel était le risque. Nous serons attentifs à ce qu’elle ne le soit pas par d’autres canaux légistiques dans les mois à venir. Cette proposition de loi aura eu le mérite d’alerter et d’appeler à la vigilance.

Nous notons au passage que l’on n’entend ni le Gouvernement ni la majorité sénatoriale se plaindre de l’endettement de l’État qu’entraîne le recours à cette procédure. On laisse filer la dette publique pour renflouer les comptes de ces entreprises sur le dos du contribuable, selon un mécanisme – hélas classique – de privatisation des profits et de socialisation des pertes. Demain, on viendra nous expliquer que le coût du service public est insoutenable au regard de l’endettement de la Nation…

Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur de ce texte.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion