Intervention de Fabien Gay

Réunion du 10 décembre 2020 à 10h30
Suppression de la possibilité de rachat par le dirigeant après le dépôt de bilan — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, quelques jours après le premier déconfinement, la ministre du travail d’alors, Muriel Pénicaud, a pris une série d’ordonnances, qui ne visaient certainement pas à reconnaître la covid-19 comme maladie professionnelle, ou à faire respecter leurs contrats aux assureurs et à sauver ainsi de nombreux commerçants et artisans.

Au lieu de cela, de multiples ordonnances ont été prises pour déroger au code du travail ou sur la consultation des comités sociaux et économiques. Celle du 20 mai dernier, qui nous intéresse aujourd’hui, ouvre la possibilité, pour le dirigeant d’une entreprise, de déposer une offre de rachat de l’entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan.

Pourtant, l’article L. 642-3 du code de commerce interdisait à un dirigeant, ainsi qu’à ses parents ou alliés, de formuler une offre de reprise de sa propre entreprise dans le cadre d’un plan de cession, et ce dans un souci de moralisation des affaires, afin d’éviter les conflits d’intérêts et les fraudes, même s’il existait déjà des dérogations quand l’intérêt général le commandait.

Le code de commerce, comme de nombreux éléments procéduraux en cas de faillite, a été pensé pour protéger les créanciers. Il s’agit d’éviter que le débiteur ou les dirigeants ne conservent directement ou indirectement des actifs de l’entreprise, alors même qu’ils se débarrasseraient du passif. C’est donc une protection pour l’ensemble des créanciers, entreprises et sous-traitants, mais aussi pour l’État.

Il s’agit également d’empêcher la fraude à l’assurance, le non-paiement des créances salariales, ainsi que le risque de « nationalisation » des salaires consistant à les faire payer par le régime de garantie des salaires.

Sous couvert de faciliter le maintien de l’emploi, mais en évitant toute étude d’impact et tout débat démocratique au Parlement, l’ordonnance modifie en son article 7 cette disposition importante du code de commerce.

Cette ordonnance a fait polémique, au Medef comme chez les salariés. Bien évidemment, on nous a dit : « C’est pour les entreprises qui sont en difficulté à cause de la covid. Nous serons vigilants quant aux effets d’aubaine, et le tribunal et le ministère public seront intraitables, afin que ce ne soit pas l’occasion d’effacer des dettes et de réduire les effectifs ».

C’est évidemment raté, car de nombreuses entreprises qui ont fait appel à cette procédure avaient déjà des dettes fiscales et sociales et des plans sociaux dans les cartons avant même la crise de la covid.

Les exemples sont nombreux : Camaïeu, Inteva Products, Orchestra, Phildar, Ymagis, et la liste est longue… Il est vrai que, dans certains cas, ce sont des offres concurrentes qui ont remporté la partie, comme pour Camaïeu, vous l’avez dit, madame la ministre.

Cependant, que dire de l’entreprise Orchestra, qui croulait sous une dette de 650 millions d’euros bien avant la covid, et qui a été reprise par son fondateur Pierre Mestre, contre l’avis des représentants des salariés ?

Le meilleur exemple, c’est Alinéa, propriété de la famille Mulliez, dont la fortune, classée sixième de France, est évaluée à 26 milliards d’euros. L’entreprise a été placée en redressement judiciaire le 13 mai 2020 et n’a pas présenté de plan de redressement viable. En conséquence, le tribunal de commerce de Marseille a validé, le 14 septembre dernier, l’offre de reprise formulée par Alexis Mulliez, son président, assortie de la fermeture de plusieurs points de vente et de la suppression de près de 1 000 emplois.

Sous couvert de la crise économique due à la covid-19, la famille Mulliez, dont le groupe compte plus de quarante enseignes, enchaîne les plans de licenciements et les fermetures de sites, lesquels étaient pour la plupart envisagés depuis bien longtemps. Ainsi, Phildar, son enseigne de fils à tricoter et de prêt-à-porter – 137 suppressions d’emplois et 116 fermetures de magasins sur les 131 actuels –, a finalement été rachetée par les mêmes propriétaires !

Comment peut-on encore nier que ce procédé de dépôt de bilan-rachat, sans garde-fou ni contrepartie, a créé un réel effet d’aubaine pour certains dirigeants, et surtout pour certains grands groupes ?

La commission des lois précise dans son rapport que « les licenciements en procédure collective sont soumis aux mêmes formes et garanties que les licenciements économiques de droit commun. ».

Or la réalité est légèrement différente. Dans un plan de sauvegarde de l’emploi, la procédure est longue et les négociations avec les représentants syndicaux font que les congés de reclassement, de mobilité, les primes légales et supralégales, ou encore les plans de départ volontaire, bien mal nommés, sont plus favorables aux salariés que dans des plans de licenciements en procédure collective, dont les délais sont extrêmement raccourcis.

Enfin, le groupe CRCE avait raison d’alerter, dès le premier projet de loi de finances rectificative, sur le risque que ces dérogations ou exceptions pendant la période de crise ne s’inscrivent dans le droit commun. En effet, cette ordonnance doit prendre fin le 31 décembre prochain, mais la commission des lois propose de la proroger au-delà, voire de l’inscrire dans le droit commun. Pour nous, cela est inacceptable !

Nous voterons donc des deux mains cette proposition de loi, en espérant, si elle devait ne pas être adoptée aujourd’hui, que l’ordonnance prendra fin définitivement quand l’année s’achèvera…

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