Intervention de Édouard Courtial

Réunion du 10 décembre 2020 à 10h30
Suppression de la possibilité de rachat par le dirigeant après le dépôt de bilan — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Édouard CourtialÉdouard Courtial :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle. Voilà en peu de mots les raisons qui ont présidé à l’adoption de l’article 7 de l’ordonnance du 20 mai 2020 qui nous occupe ce matin. En effet, ce dispositif est né de la crise et ne saurait, à ce stade, lui survivre.

Entrée en vigueur alors que la France sortait à peine de son premier confinement, l’ordonnance en question répondait à l’urgence de soutenir nos entreprises les plus en difficulté. Elle complétait celle du 27 mars 2020 afin de mieux prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire et de faciliter ainsi la reprise de l’activité.

Souvenons-nous de notre sidération collective face à la situation inédite que nous vivions alors et qui se poursuit. Souvenons-nous des craintes et des incertitudes quant au redémarrage tant attendu et des espoirs timides de reprise. Souvenons-nous qu’il nous fallait être dans l’action pour éviter un effondrement de l’économie française.

C’est dans ce contexte que l’article 7 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l’épidémie de covid-19 a été rédigé.

Cette mesure a donc assoupli, jusqu’au 31 décembre 2020, la procédure permettant aux dirigeants d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ou à leurs parents ou alliés, de présenter une offre d’achat partiel ou total de l’entreprise.

Néanmoins, l’objet de la proposition de loi sur laquelle nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui n’est autre que l’abrogation de cet article 7. Alors que le temps législatif ne s’inscrit pas toujours dans le temps très court, nous pouvons légitimement nous étonner d’un tel texte, conscients de cette échéance.

Les auteurs de la proposition de loi arguent que certains chefs d’entreprise auraient profité de l’effet d’aubaine qu’offrait cet assouplissement de la procédure de reprise. Je ne peux que déplorer les quelques dérives qui sont très marginales.

Ainsi s’explique, sans doute, la volonté de supprimer le dispositif de l’article 7, alors même que la crise couve toujours. Nous en mesurons les conséquences quotidiennes dans nos territoires. Cependant, peut-être que les circonstances ont obscurci les jugements… Je n’ose croire qu’il s’agisse de voir dans tous les chefs d’entreprise des personnes sans scrupules, alors qu’ils sont les forces vives de notre économie.

Plutôt que de succomber à l’émotion ou à l’idéologie, engageons un débat constructif afin de nous approcher, le plus possible, de la réalité des faits.

Deux étapes se distinguent, à mon sens, en vue de suivre cette démarche.

La première consiste à rappeler les motifs qui justifient l’assouplissement prévu par l’ordonnance du 20 mai 2020. Deux raisons conjoncturelles ont été retenues par le ministère de la justice : d’ordre économique, d’une part, car le climat des affaires, très incertain, laisse craindre un manque de repreneurs potentiels ; d’ordre moral, d’autre part, car les dirigeants d’entreprises ont été mis en difficulté par une crise sanitaire, dont ils ne sont pas responsables. Il était de ce fait légitime de faciliter leurs offres de reprise.

La seconde consiste à évaluer la nature du dispositif et sa mise en œuvre.

Concernant sa nature, le dispositif est d’ordre procédural : il permet au débiteur ou à 1’administrateur de former lui-même une requête en vue d’une offre de rachat, sans exiger que le ministère public la reprenne à son compte. Il reste pour le moins très encadré. Outre que le jugement doit être spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs comme le droit commun l’exige, la présence du ministère public à l’audience est obligatoire. Ce dernier peut présenter, à cette occasion, ses observations et, le cas échéant, interjeter appel.

Concernant la mise en œuvre du dispositif, un examen attentif de la jurisprudence montre que les tribunaux ont fait un usage prudent de la possibilité qu’il offre. Il a été le plus souvent utilisé avec l’assentiment des organes de la procédure, des salariés et du parquet, toujours en prenant en compte les spécificités de chacun des cas, et avec parcimonie.

Il faut aussi rappeler que la majorité des dirigeants sont honnêtes ! Ils n’ont aucun plaisir à venir déposer le bilan de leur entreprise au greffe du tribunal de commerce, parce qu’une page de leur vie se tourne. Certains y voient même un déshonneur et garderont dans leur mémoire cet instant.

En conclusion, les deux étapes d’évaluation du dispositif d’assouplissement en montrent toute la cohérence : l’idée à l’origine du dispositif est légitime et sa mise en application demeure prudente et efficace.

Demain, le sort du tissu productif français, notamment des petites et moyennes entreprises qui font la richesse et le dynamisme de nos territoires, sera suspendu à ce type de mesure de soutien. J’ai une pensée pour nos restaurateurs et tous ces chefs d’entreprise qui ne peuvent toujours pas exercer leur activité à cause du maintien des mesures sanitaires.

Je suis pleinement en accord avec les conclusions du rapport de la commission des lois, dont je salue le sérieux, sur une éventuelle prorogation, voire une pérennisation du dispositif.

Enfin, permettez-moi de formuler un vœu, celui que le Gouvernement use de toutes les possibilités offertes par notre droit pour sauver les entreprises viables, mais fragilisées par la crise, et préserver ainsi des milliers d’emplois.

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