Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je peux aisément comprendre l’indignation de nos concitoyens lorsque les médias ont annoncé qu’il était désormais possible pour le dirigeant d’une entreprise ayant organisé son dépôt de bilan de faire une offre de rachat de sa propre entreprise.
Cela semble, au premier abord, aller complètement à l’encontre de la morale qui doit présider au monde des affaires, car la personne qui met en œuvre cette possibilité n’échappera pas au soupçon de vouloir contourner les lois applicables, notamment en matière de licenciement.
Toutefois, il n’en est rien, comme le souligne à juste titre le rapport de la commission des lois.
En effet, bien que la procédure ait été facilitée par ordonnance, le rachat d’une entreprise par son dirigeant était déjà autorisé par la loi, dans des conditions strictes et contrôlées par un juge. Ainsi, il est habituellement prévu que le ministère public demande que le rachat soit autorisé, et même lorsque cette faculté est employée, rien ne garantit que le juge y ouvre droit.
Cette possibilité, qui est par ailleurs très peu utilisée, est avantageuse lorsqu’il n’existe pas d’offre de rachat ou lorsque les offres sont insuffisantes pour permettre un apurement du passif, le maintien de l’activité et la préservation des emplois.
En outre, ni la procédure de sauvegarde, ni la liquidation judiciaire, ni la cession, qui peuvent déboucher sur un rachat, ne permettent de contourner les procédures, et les règles afférentes aux licenciements économiques restent de mise si des réductions d’emplois doivent avoir lieu.
Il s’agit donc d’une fausse polémique, résultant d’une désinformation, d’une méconnaissance du droit applicable, mais aussi de la diabolisation des chefs d’entreprise, lesquels chercheraient forcément à contourner la loi et à nuire à leurs employés. Je trouve cette vision extrêmement dommageable alors que la crise économique touche durement de nombreuses entreprises. Leurs dirigeants sont désemparés et préféreraient, j’en suis certain, ne pas avoir à vendre le fruit de longues années de travail.
J’estime naturel que le Gouvernement ait assoupli la procédure et supprimé jusqu’au 31 décembre 2020 la nécessité pour le ministère public de former une requête pour que le rachat par le dirigeant de l’entreprise puisse avoir lieu. Cet assouplissement vise uniquement à répondre aux nombreuses faillites qui interviennent et risquent d’intervenir, et dont les entreprises ne sont pas responsables. Ces faillites s’expliquent non par la mauvaise gestion du dirigeant, mais bien par la crise.
Devrions-nous laisser les chefs d’entreprise française tout perdre, au risque que leurs entreprises soient rachetées par des investisseurs étrangers ou, pis, qu’elles ne puissent être vendues et que tous leurs employés soient licenciés et viennent gonfler les chiffres du chômage, lesquels ne cessent de grimper ?
Je suis bien conscient que cette proposition de loi a été déposée dans le but de protéger les salariés des licenciements. Cependant, mes chers collègues, nous devons garder à l’esprit que cette protection n’est possible que si nous aidons également les entreprises. Ce sont elles qui créent de l’emploi, et il serait tout simplement contre-productif de leur mettre davantage de bâtons dans les roues en cette période difficile.
Bien évidemment, les largesses qui peuvent leur être accordées doivent être proportionnées et limitées dans le temps. C’est le cas du dispositif que nous examinons, car les tribunaux contrôlent très attentivement le respect de la procédure, et la souplesse consistant à ne plus rendre la requête du ministère public obligatoire prendra fin au 31 décembre 2020.
Passée cette date, la procédure habituelle reprendra. Le rachat par le dirigeant restera possible, comme cela est le cas depuis plusieurs années, mais dans des conditions plus strictes que celles qui ont pu avoir cours ces derniers mois.
Il ne me semble donc pas nécessaire, à quelques jours de l’échéance de ce dispositif, de l’abroger, pas plus qu’il ne semble utile de le prolonger.
Nous avons pour habitude de retravailler le droit, de l’améliorer, c’est l’un de nos rôles en tant que parlementaires. Cependant, n’oublions pas que le droit est souvent bien fait et qu’il n’est pas toujours nécessaire de le modifier. Faisons confiance aux juges pour l’appliquer correctement, pour faire preuve de prudence, mais aussi de justesse, ce qu’ils ont d’ailleurs fait à plusieurs reprises ces derniers mois lorsque des propositions de rachat ont été faites par le dirigeant de l’entreprise en vente.
La commission des lois a très justement remarqué dans son rapport que le droit applicable est efficace et que les modalités prévues en matière de rachats d’entreprises sont mieux connues des dirigeants, mais aussi des tribunaux, sensibilisés à la nécessité d’être souples en cette période. Elle a de ce fait estimé qu’il n’y avait pas besoin de modifier la loi et je partage pleinement son avis.
Je tiens à féliciter la commission des lois pour son travail encore une fois de qualité. Il démontre le sérieux et l’efficacité de la Haute Assemblée, qui ne s’engouffre pas, à la première porte ouverte, dans la polémique.