Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 10 décembre 2020 à 10h30
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Jean-Michel Blanquer :

Madame la présidente, madame le rapporteur, chère Monique de Marco, mesdames, messieurs les sénateurs, après son examen en première lecture à l’Assemblée nationale le 14 février dernier, la proposition de loi du député Paul Molac relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion est aujourd’hui discutée par votre Haute Assemblée.

Cette proposition de loi nourrit une ambition que nous avons tous en partage et qui figure depuis 2008 en toutes lettres dans notre Constitution, à l’article 75-1 qui dispose : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Par ces mots, ce sont les attaches et les cultures de nos concitoyens qui sont reconnues. Par ces mots, ce sont les richesses des pays et des langues qui ont été et sont pleinement considérées comme parties prenantes de l’identité de chacun d’entre nous.

Comme la philosophe Simone Weil l’écrivait, nous savons que « l’enracinement est peut-être [notre] besoin le plus important et le plus méconnu. Chaque être humain a besoin d’avoir de multiples racines. »

Très souvent, dans mes fonctions de ministre de l’éducation nationale, je suis amené à dire que nous devons donner « des racines et des ailes » à nos enfants, et que la question de leur ancrage dans la nation française est fondamentale. Nous devons d’abord et avant tout dire à nos enfants qu’ils sont les enfants de la République : ce message n’est non seulement pas incompatible, mais se nourrit des appartenances locales qui sont évidemment aussi la sève de notre beau pays.

Aucune société ne se projette avec confiance dans l’avenir sans de tels attachements. Tel est d’ailleurs le projet même de notre école : donner à chaque enfant des racines, par la transmission des savoirs des siècles passés, et lui donner des ailes, par l’accès aux connaissances les plus modernes.

C’est bien pourquoi, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je suis un partisan de l’enseignement des langues régionales : il est pour moi évident que les langues de nos régions figurent parmi les trésors culturels que compte notre pays ; j’ai également la conviction qu’elles contribuent à l’accomplissement intellectuel et sensible d’un être humain.

Dans mes différentes fonctions, j’ai eu à promouvoir les langues régionales, notamment comme recteur de Guyane. Je considère en effet que la diversité linguistique est de la plus haute importance : elle fait partie, d’une certaine façon, de ce que l’on appelle parfois la biodiversité de la vie humaine.

L’éducation nationale s’est pleinement saisie de cette richesse pour la proposer à nos élèves et la faire vivre. C’est pourquoi l’on ne doit jamais caricaturer ni notre pays ni notre système éducatif comme étant hostile aux langues régionales : ce n’est pas vrai !

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 514 professeurs sont aujourd’hui titulaires du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (Capes) section langues régionales : basque, breton, catalan, corse, créole ou occitan-langue d’oc. Rappelons à cet égard qu’une agrégation des « langues de France » est ouverte depuis la session 2018, et que sept enseignants étaient agrégés de cette discipline en 2019.

Tous ces professeurs permettent aujourd’hui à 170 000 de nos élèves d’apprendre une langue vivante régionale. Chaque jour, nous nous attachons à faire progresser ce chiffre en proposant un parcours cohérent depuis l’école jusqu’au lycée.

J’en veux pour preuve la place ménagée aux langues régionales dans la réforme du lycée général et technologique.

Aujourd’hui, avec le nouveau lycée, un élève peut choisir de suivre un enseignement de langue et de culture régionales : tout d’abord, comme langue vivante B, avec un coefficient plus important qu’avant notre réforme – 6 sur 100 contre 2 sur 40 auparavant –, ce qui est le cas pour 4 367 élèves ; mais aussi comme langue vivante C, dans le cadre d’un enseignement optionnel, ce qui est le cas pour 3 389 élèves ; et, enfin, comme enseignement de spécialité sur le cycle terminal, avec des programmes riches et ambitieux adossés à des coefficients importants – 16 sur 100 au baccalauréat : 134 élèves de première sont concernés, et nous attendons les chiffres pour la terminale.

Nous avons donc démultiplié les possibilités d’apprendre une langue régionale au lycée, en maintenant les mêmes volumes horaires pour l’offre déjà existante et, surtout, en proposant, avec les nouveaux enseignements de spécialité, des horaires importants qui permettent aux élèves de découvrir de manière approfondie les caractéristiques, tant des langues que des cultures régionales.

J’ai entendu les critiques sur les difficultés que rencontreraient certains lycéens pour suivre un enseignement en langue régionale. Assurément, nous pouvons çà et là améliorer l’offre et le maillage, et je continuerai à m’y employer.

Pour autant, sachons tirer le bon diagnostic de la situation actuelle : les demandes des élèves et des familles sont en constante baisse, et ce indépendamment du nouveau lycée. Nous le savons tous, il n’est pas possible d’envisager des classes à un, deux ou trois élèves. Il faut donc agir pour susciter et stimuler la demande.

Le numérique nous donne aujourd’hui la capacité de répondre à ce défi, en endiguant la baisse constatée, voire – j’en suis convaincu – en encourageant une nouvelle dynamique.

J’ai donc demandé au Centre national d’enseignement à distance (CNED) de concevoir, pour la rentrée 2021, des parcours pour les élèves intéressés par le basque, le breton, le corse et l’occitan. Ils disposeront ainsi d’une offre de formation de qualité, qui pourra s’appuyer sur un accompagnement dans leur établissement par un professeur aux compétences reconnues.

Nous pouvons également progresser dans d’autres domaines. Je pense à la formation initiale, et en particulier à des modules spécifiques pour l’enseignement du bilinguisme.

Notre action n’est pas isolée : elle est pleinement concertée avec les acteurs et les défenseurs des langues régionales, qui siègent dans les conseils académiques des langues régionales, et qui font vivre ces langues au sein des offices publics de langue régionale.

Ces différents éléments, mesdames, messieurs les sénateurs, n’en sont que quelques-uns parmi d’autres que je pourrai développer tout à l’heure. Ils vous auront cependant permis de mesurer l’engagement de notre ministère pour la promotion des langues régionales.

Alors, pourquoi avoir supprimé les articles 3 à 7 de cette proposition de loi, qui portaient justement sur l’enseignement des langues régionales ?

J’ai eu l’occasion de le dire à l’Assemblée nationale le 14 février dernier, et je le redis aujourd’hui : les différents sujets traités dans ces articles ont déjà été discutés voilà plus d’un an dans le cadre de la loi pour une école de la confiance. Le Parlement a donc déjà tranché.

Sur d’autres aspects, plusieurs articles et amendements étaient de pure forme. Ils étaient la plupart du temps déjà satisfaits.

Aujourd’hui, nous abordons de nouveau un texte sur lequel plusieurs arguments ont été développés. L’un d’entre eux concerne l’enseignement dit « immersif », sur lequel je voudrais revenir un instant.

J’ai souligné tout à l’heure mon attachement à la reconnaissance et au développement de l’enseignement des langues régionales. Mais, en ce domaine, l’exigence d’équilibre s’impose et, en matière d’enseignement, cet équilibre doit se manifester à travers le respect des deux langues enseignées, qui peut aller jusqu’à la parité horaire dans le cadre de l’enseignement bilingue.

L’enseignement des langues régionales est un aboutissement et l’expression de notre idéal français, celui que nous avons construit au travers de notre histoire, et qui consiste précisément en une juste articulation entre la Nation et le pays, entre l’ambition de partager une même langue, de porter un message et des valeurs qui nous élèvent en tant que Français, et la reconnaissance bien légitime de nos attaches.

Le sujet n’est pas nouveau, nous le savons : il a déjà été éclairé par un avis du Conseil d’État en 2002. Je m’y tiendrai scrupuleusement, et je m’y tiendrai d’autant plus que je suis convaincu que les premières années d’apprentissage du français sont absolument fondamentales : c’est cette même conviction qui m’a conduit à défendre l’abaissement de l’instruction obligatoire à trois ans.

Aussi, l’expérimentation d’un enseignement immersif doit rester l’exception, une exception issue d’une demande légitime et soumise à un cadre, un protocole, une régulation et une durée déterminés.

Il ne s’agit donc pas d’une opposition de principe, mais de faire valoir notre grande priorité, qui est aussi un devoir à l’égard des enfants, à savoir la qualité de l’enseignement du français pour tous nos élèves.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, j’aborderai la proposition de loi qui est au centre de nos échanges aujourd’hui avec une ambition et des exigences chevillées au corps : l’ambition de faire mieux pour la promotion et l’enseignement des langues régionales, l’exigence du discernement et de la mesure, afin de garder toujours à l’esprit les efforts déjà déployés et le nécessaire respect de nos différents engagements et, enfin, l’intérêt des élèves et le respect du cadre juridique, qui constituent nos boussoles.

Je ne doute pas que nous partagerons ces exigences dans le cadre des discussions utiles et passionnantes qui vont suivre et qui doivent bien entendu nous unir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion