Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chère Monique de Marco – dont je voudrais saluer la qualité du travail –, mes chers collègues, ni la France ni la République n’ont eu de rapports faciles avec les langues de nos territoires qualifiées de « régionales ».
Celles-ci furent longtemps le symbole de la France restée celle du cheval de trait, archaïque, voire réactionnaire. Beaucoup de nos langues, appelées alors avec plus ou moins de mépris « patois », ne résistèrent pas au rouleau compresseur de la modernité.
L’école a contribué à ce recul. Mais l’urbanisation et la télévision jouèrent finalement, à partir des années 1950 et 1960, un rôle au moins tout aussi grand dans la rupture de la transmission familiale.
Pour autant, nous ne sommes plus en 1950. Nos langues, au moins là où elles ont survécu, si elles ne sont pas autant parlées dans les rues de nos villages et encore moins de nos villes, le sont désormais à l’école, où elles furent longtemps interdites : une inversion de situation, caractérisée par un recul de nos langues dans la société, mais par une irruption salvatrice à l’école.
Devons-nous le relever et le saluer ? Oui, monsieur le ministre !
Devons-nous nous en contenter ? Non, monsieur le ministre !
Car c’est sur l’école que reposent, désormais, la préservation et le développement de nos langues. C’est un renversement historique !
Or si l’institution scolaire a fait des efforts, elle n’a jamais intégré la notion de politique linguistique et son objectif final, la production de locuteurs complets, sachant vivre et travailler dans leur langue. Dans nos territoires, l’éducation nationale a trop souvent un train de retard, car elle n’intègre pas le réveil des langues, la demande sociale et l’appétence des jeunes générations pour ce qui est un élément du réveil des territoires.
Au Pays basque par exemple – je le dis sous le contrôle de Frédérique Espagnac –, nous avons compris depuis longtemps que les territoires sans identité étaient des territoires sans projet.
La langue appartient certes au patrimoine, mais elle est d’abord un facteur d’attractivité, et finalement, loin d’une approche muséographique et nostalgique, elle s’inscrit pour nous comme un facteur de modernité. Elle est aussi, loin des fantasmes jacobins, un vecteur d’intégration, de solidarité et de préservation du tissu social, dans un pays où il se délite si souvent.
Dans ces conditions, s’il faut féliciter Paul Molac pour sa proposition de loi – et je tiens à saluer sa présence dans nos tribunes –, il faut regretter que l’Assemblée nationale ait exfiltré tous les articles du texte qui concernaient l’enseignement, comme s’il pouvait y avoir une politique en faveur des langues régionales sans renouveler, fortifier, conforter la transmission via l’école.
Depuis la loi Deixonne, ce n’est en effet que par les marges que l’éducation nationale aborde le sujet, en annexe de lois majeures pour l’école ou les collectivités, comme la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République ou encore la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance. Dans toutes ces lois majeures, les langues régionales sont un sujet mineur.
Parallèlement, mes chers collègues, la loi, dite Toubon, du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, pourtant voulue pour lutter contre l’anglomania, fut rarement utilisée face à la percée de l’impérium anglo-américain, mais très souvent contre les langues de France.
Combien de fois ai-je entendu préfets, recteurs, directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) se draper dans cette loi de 1994, trahissant la volonté du législateur à tel point que mon ami Alain Lamassoure m’indiquait un jour que, s’il avait su comment cette loi serait instrumentalisée, il ne s’y serait pas associé.
Je conclurai en disant mon soutien à cette proposition de loi, qui rappelle l’État à ses obligations : préservation de ce patrimoine immatériel, sécurisation juridique de la présence des langues régionales dans les espaces publics, utilisation des signes diacritiques, cadrage de la loi Toubon.
Il faudra aussi parler de l’école, et ce sera l’objet des amendements que nous défendrons.
Nos langues de France sont une richesse. Le pays qui prône, ou du moins prônait, l’exception culturelle ne peut laisser dépérir ce trésor inestimable.
Le développement durable, c’est la transmission aux générations de demain d’un capital naturel et humain. Il est de la responsabilité de notre génération d’assurer cette transmission, pour les générations futures.
Dans certains territoires de France, ce matin, au travers des élèves des réseaux Seaska, Diwan, la Bressola, des calendrettes, d’ABCM, ou ceux des écoles publiques et privées bilingues, en basque, breton, catalan, occitan, alsacien ou dans nos langues ultramarines, les générations futures nous regardent et attendent que nous soyons à la hauteur des générations qui nous ont précédés et qui aimèrent et parlèrent leur langue maternelle.