Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a rien de plus politique que les batailles linguistiques, parce que la langue est le principal marqueur identitaire. Sans langue commune, point d’appartenance collective. Dans le fond, c’est peut-être pour cela que l’Europe peine à s’intégrer davantage : elle est orpheline d’une langue commune. En miroir, imposer sa langue, c’est imposer sa culture, sa vision du monde, son identité.
Telle fut la logique de la construction nationale française : pour soumettre les particularismes locaux, il fallait imposer la langue du roi. C’est tout le sens de l’ordonnance de Villers-Cotterêts par laquelle François Ier imposa le français comme seule et unique langue administrative du pays, au XVIe siècle.
Cette guerre linguistique s’est poursuivie jusqu’au XXe siècle, jusqu’aux générations dont j’ai fait partie, à qui l’on interdisait de parler leur idiome régional à l’école, et ce jusque dans la cour.
Mais, aujourd’hui, la bataille linguistique de la construction nationale est gagnée. Tellement bien gagnée, d’ailleurs, que, comme cela a été rappelé, la quasi-totalité des soixante-quinze langues régionales françaises sont en voie d’extinction.
Cela a ouvert une nouvelle bataille linguistique : celle de leur sauvetage. Maintenant, l’enjeu est patrimonial, linguistique, culturel. Les jeunes en quête d’identité sont en demande ; les anciens, dont certains parlent encore leur idiome, surtout en zone rurale, sont aussi coupés de leurs racines par ce dépérissement.
La Palice, lui-même maréchal de François Ier, le dirait « en bon françois » : les langues régionales se meurent de ne plus être parlées.
Elles ne sont plus parlées parce qu’elles ne sont plus enseignées : l’école est le nerf de la guerre linguistique de sauvegarde patrimoniale.
Rien d’étonnant à ce que toutes les lois récentes visant à protéger les langues régionales soient intervenues sur le terrain de l’éducation : la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a posé le principe que les familles doivent être informées de l’offre d’enseignement. Elle a aussi encouragé l’accès aux enseignements de langue régionale, soit sous la forme d’un enseignement de langue et de culture régionales, soit sous celle d’un enseignement bilingue.
La loi NOTRe du 7 août 2015 a concrétisé la faculté de choix laissé aux familles, en prévoyant un système de compensation entre communes : celles qui proposent cet enseignement se voient compenser la prise en charge des enfants venant des communes qui ne l’offrent pas. La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a élargi cette possibilité aux écoles sous contrat.
Aussi louables que soient ces initiatives, elles sont encore insuffisantes. Pour ne prendre que l’exemple de l’Alsace, celui que je connais naturellement le mieux, pour la maternelle et le primaire, seules les écoles associatives ABCM, c’est-à-dire des écoles privées, proposent un véritable enseignement en alsacien.
Même dans le supérieur, la situation n’est pas plus brillante, puisque, sur l’ensemble du cycle à l’université de Strasbourg, seuls trente étudiants sont inscrits en langue allemande, langue très proche de l’alsacien, une partie d’entre eux se destinant normalement à devenir de futurs enseignants. Or la majorité d’entre eux partent, à la fin de leur cycle, en l’Allemagne, où les salaires sont bien meilleurs.
Seul l’office pour la langue et les cultures d’Alsace et de Moselle, soutenu par le département et la région, relayés par l’intercommunalité et la commune, remédie à l’absence de pratique scolaire de l’alsacien en dispensant des cours en périscolaire ou des cours du soir pour les adultes. Mais ces efforts ne peuvent être que limités, parce que l’on ne trouve même plus d’enseignant, pour une raison que j’ai déjà évoquée.
On le voit bien, il faut aller plus loin en matière d’enseignement des langues régionales. Or l’Assemblée nationale a supprimé tout le volet éducatif de la présente proposition de loi, ce que nous regrettons. Nous soutiendrons donc les amendements tendant à rétablir l’article 3, qui pose le principe de la reconnaissance de l’enseignement des langues régionales comme matière facultative dans le cadre de l’horaire normal d’enseignement. Cet article ne fait qu’étendre à toutes les langues régionales l’article L. 312-11-1 du code de l’éducation, qui prévoit déjà que la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse.
Mais, pour maintenir le particularisme corse, l’enseignement des autres langues régionales ne pourrait être dispensé qu’après la signature de conventions entre l’État et les régions et pourrait ne s’appliquer qu’à certains territoires ciblés.
Dans ce cadre contractuel, la langue régionale devrait être obligatoirement proposée aux élèves sans, bien sûr, être obligatoire.
De plus, un tel enseignement ne saurait se substituer aux autres ; il s’y surajouterait.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe, la promotion des langues régionales est une compétence partagée des collectivités territoriales. Ces dernières ont besoin d’un cadre juridique renforcé pour mettre en œuvre cette compétence, ce que leur offrirait l’article 3.
En revanche, les autres articles du dispositif supprimé à l’Assemblée nationale iraient trop loin et pourraient ouvrir une brèche dans laquelle tous les communautarismes pourraient s’engouffrer. Nous ne soutiendrons donc pas leur rétablissement.
Hors champ éducatif, le reste du texte va dans le bon sens. L’incorporation des langues régionales dans le patrimoine immatériel va de soi, ainsi que l’inclusion parmi les trésors nationaux des biens présentant un intérêt majeur pour la connaissance des idiomes.
Enfin, loin d’être folklorique, la possibilité pour les régions de promouvoir les langues locales dans l’espace public est également un axe de mise en valeur patrimoniale non négligeable.
Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte.
Veelen dank fers züherre, un a scheener nochmedaa ! Merci beaucoup pour votre attention et bon après-midi !