Intervention de Sabine Drexler

Réunion du 10 décembre 2020 à 14h30
Protection patrimoniale et promotion des langues régionales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sabine DrexlerSabine Drexler :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si, aujourd’hui, la langue française est omniprésente jusque dans les villages les plus reculés, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le paysage linguistique de notre pays était bien différent : outre le français, presque tous ses habitants parlaient ce que l’on appelle communément un dialecte, fruit de particularismes ancestraux qui ont survécu à l’épreuve du temps.

Alors que, à ce titre, ces langues sont un vrai trésor, les paradoxes historiques et idéologiques ont voulu qu’elles soient longtemps reniées, négligées, dépréciées et méprisées, avec l’obligation qui a été faite à beaucoup d’entre nous de ne parler que le français.

Le résultat s’en ressent aujourd’hui lourdement.

L’usage du dialecte par les enfants permet certes de maintenir des liens intergénérationnels, mais s’il était davantage pratiqué, il permettrait également à ces adultes en devenir de s’approprier leur histoire, de les rendre plus forts en ancrant leurs racines dans une terre dont la langue s’est enrichie au fil du temps, au fil de ce que fut la vie de ceux qui l’ont habitée.

C’est la raison pour laquelle il faut préserver et valoriser cette richesse ; les langues régionales témoignent, si tant est qu’on veuille les entendre, de ce que nous sommes et de ce que nous avons été, de nos modes de vie présents et passés, des liens qui nous unissent.

En Alsace, et chez moi dans le Sundgau, un territoire où trois frontières se rejoignent, les vicissitudes historiques ont imposé tantôt le français, tantôt l’allemand comme langue officielle.

Mon arrière-grand-père, né en 1865, a, durant sa vie, changé quatre fois de langue officielle. Pendant ce temps, parfois clandestinement, l’alsacien, l’alémanique, plutôt, qui en est la racine, est resté la langue du quotidien. Alors que je n’en aurais pas fondamentalement besoin, je m’astreins à parler cette langue qui remonte au Ve siècle.

L’alémanique, tel qu’il est pratiqué chez nous, est parlé par six millions et demi de personnes et témoigne d’une histoire que nous avons en commun avec le Bade-Wurtemberg et la Bavière en Allemagne, avec le nord de la Suisse, l’ouest de l’Autriche, le Liechtenstein et le nord de l’Italie.

En Alsace, la question de l’emploi est une raison supplémentaire de pratiquer la langue régionale, car l’alémanique, depuis les années 1950, est aussi synonyme d’opportunités économiques et d’emploi. Dans le Sundgau, il permet à de très nombreux habitants de travailler en Suisse et de bénéficier de revenus confortables, même pour des emplois parfois peu qualifiés.

Depuis quelques années, pourtant, la très grande majorité des jeunes ne parlent plus l’alsacien et n’accèdent plus, de ce fait, aux emplois transfrontaliers : ils viennent gonfler les rangs des demandeurs d’emploi d’un territoire jusque-là préservé, et qui a perdu ses propres outils de production.

Pour que nous soyons à la hauteur de l’enjeu, la tâche qui nous incombe aujourd’hui consiste à souffler sur les braises des langues régionales en soutenant la mise en œuvre de leur enseignement et en valorisant leur pratique.

À ce titre, il faut d’abord les protéger ; c’est le rôle de l’État d’en être le gardien. Il faut aussi les promouvoir, c’est à l’éducation nationale de le faire, à travers une politique publique éducative qui s’adapte aux langues et aux identités régionales dans leur diversité.

La question de la place faite par l’école républicaine à l’enseignement des langues régionales est centrale, car celui-ci ne doit pas être l’apanage des seules écoles privées et des associations.

Monsieur le ministre, faites confiance aux territoires qui ont besoin que vous soyez à leurs côtés ; nous comptons sur vous et espérons que vous soutiendrez les amendements qui vous seront présentés.

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