Intervention de Guillaume Chevrollier

Réunion du 10 décembre 2020 à 14h30
Préservation des biens communs pour la construction du monde d'après — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier :

Selon celui-ci, la crise sanitaire a révélé, « d’un côté, les dégâts du libéralisme économique et d’une mondialisation non régulée et, de l’autre, l’état de décohésion de notre société et la mise en danger de nos écosystèmes ».

Face à la crise de la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui et qui a créé, comme vous le dites très bien, chers collègues, une société ultra-individualiste et marchande, vous proposez une approche en termes de « biens communs ».

J’aimerais faire preuve de bienveillance à votre égard, mais qu’est-ce que le bien commun ? Voilà toute la question.

Le bien de chacun et le bien de la communauté au plan matériel et social consistent à rechercher ensemble les conditions sociales qui permettent le développement et le bien de l’humanité. Il y a un objectif social dans la recherche du bien commun. Celui-ci a trait à l’eau, à l’alimentation, au logement, au travail, à l’éducation, à l’environnement, à la biodiversité, aux transports, aux soins, à la culture, à la religion.

Le bien commun, c’est ce qui doit guider notre action de législateurs, car la première justification de la politique, de mon engagement comme du vôtre, chers collègues, est d’œuvrer pour le bien commun.

Le problème est que la notion de « bien commun » demeure très largement un objet juridique mal identifié, qui n’a guère reçu de consécration en droit français. Le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 31 janvier 2020, consacré l’objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains », tiré du préambule de la Charte de l’environnement.

L’absence de définition solide de cette notion, dans son texte lui-même comme dans le reste de l’ordre juridique, est la faiblesse de cette proposition de loi, relevée d’ailleurs par M. le rapporteur et par un certain nombre de sénateurs en commission. Cette absence est de nature à la fois à fragiliser son application et à laisser de facto au seul juge constitutionnel la responsabilité de fixer, par son interprétation, les contours du concept. Il convient de ne pas laisser la porte ouverte à l’interprétation, donc au relativisme.

La proposition de loi procède, en substance, à des modifications de nature à inscrire directement et à de multiples endroits dans le corps du texte constitutionnel des principes de protection de l’environnement et à introduire un certain nombre de notions nouvelles en droit, en lien avec les « biens communs ». Ces modifications comprendraient en particulier des dispositions garantissant constitutionnellement la possibilité pour le législateur de limiter les droits de propriété et la liberté d’entreprise lorsqu’il s’agit de protéger ces « biens communs ».

Une autre question soulevée est celle de l’opérativité du concept de « biens communs mondiaux » dans la perspective de sa présence au sein du seul droit constitutionnel français. Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle affirment vouloir créer une forme d’« État de droit opposable aux États ». Toutefois, si la Constitution oriente nécessairement l’action internationale de la République française, elle n’est pas de nature à amener à elle seule la « souveraineté solidaire » des États, autre notion assez vague invoquée par les auteurs du texte. Il s’agirait in fine d’inscrire dans la Constitution une pétition de principe susceptible d’interférer avec les relations qu’entretient la France avec les autres pays du monde.

La recherche du bien commun traduit une espérance profonde de l’humanité dans son existence politique, économique et sociale. Dans un monde marqué par l’individualisme et le communautarisme, comment répondre aux urgences et aux défis de cette espérance ?

Je pense, à titre personnel, que la première réponse est de retrouver notre souveraineté et notre liberté.

Cette mondialisation déréglée constitue une attaque directe contre l’environnement, nos emplois et notre modèle, lequel doit contrer une logique commerciale qui est maîtresse de tous les échanges aujourd’hui, avec les limites que cela comporte.

Nos institutions, nationales comme européennes, sont aujourd’hui affaiblies à cause d’une administration surpuissante et des excès de normes parfois incompréhensibles. Elles ne nous protègent plus.

Nous payons le court-termisme des politiques publiques. La réindustrialisation et la valorisation des filières stratégiques, que ce soit l’agriculture, la santé ou la défense, sont indispensables. Notre autonomie et notre souveraineté alimentaires sont vitales pour notre sécurité sanitaire et environnementale.

Il nous faut réapprendre à produire ce que nous consommons. Dans un marché de 500 millions d’habitants comme celui de l’Union européenne, nous devons pouvoir trouver un point d’équilibre et de l’éthique.

Nous devons réaffirmer que nous croyons aux échanges, à la force de nos entreprises, à la compétence de nos entrepreneurs et de nos agriculteurs et à l’excellence de nos savoir-faire. Mais pour que cette liberté d’échanger ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous ! C’est une réciprocité qu’il faut rechercher dans nos échanges.

Une seconde réponse, après la souveraineté, consiste à s’appuyer sur les corps intermédiaires pour défendre notre bien commun.

Je crois que les Français doivent retrouver confiance en eux et en leur pays. Les corps intermédiaires, que sont les familles, les entreprises, les territoires, nos communes à taille humaine, espaces de vie sociale et d’apprentissage de l’engagement, nos associations, avec l’engagement bénévole associatif, garantissent une préservation du bien commun. Ils aident aussi à une responsabilité collective et sont un frein aux risques d’abus du pouvoir d’en haut.

J’insiste sur la famille, corps intermédiaire qui fait aussi partie du bien commun et qui assume un rôle social indispensable.

La protection des biens communs peut être assurée par ces corps intermédiaires plus que par le droit constitutionnel.

Il faut, pour cela, engager des réformes en profondeur dans notre pays, en particulier de l’administration, qui a un poids trop important – 35 % en France, contre 24 % en Allemagne.

Il y a trop de technocratie, et celle-ci est parfois guidée par l’application excessive d’un principe de précaution qui étouffe la liberté entrepreneuriale et l’innovation dans les territoires. Il n’y a pas d’avancées humaines sans prise de risque ni liberté. Donnons davantage de liberté !

Faisons confiance à l’intelligence collective pour développer un esprit d’entreprise. Nos territoires regorgent d’atouts dans ce domaine. Je le mesure chaque jour dans mon département, où fleurissent des initiatives très positives pour défendre le bien commun et agir en sa faveur.

Il me semble que, pour protéger les biens communs, nous devons retrouver notre souveraineté et notre liberté. Le texte que nous examinons aujourd’hui ouvre un débat intéressant, mais je pense qu’il faut aller au-delà.

Le groupe Les Républicains votera contre cette proposition de loi constitutionnelle.

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