Intervention de Dany Wattebled

Réunion du 10 décembre 2020 à 14h30
Préservation des biens communs pour la construction du monde d'après — Rejet d'une proposition de loi constitutionnelle

Photo de Dany WattebledDany Wattebled :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons cet après-midi vise à inscrire dans la Constitution l’engagement de l’État à protéger les « biens communs mondiaux ».

Seraient par ailleurs consacrés de nouveaux objectifs de valeur constitutionnelle tenant à la protection du sol et à la sécurité et à l’autonomie alimentaires, ainsi qu’un principe de conciliation entre, d’une part, le « respect des biens communs » et, d’autre part, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre.

Historiquement, la notion de « biens communs » est avant tout de nature économique.

Lorsque, en 1968, paraît l’article de l’écologue américain Garrett Hardin, « La tragédie des communs », à part les historiens et les lecteurs de Karl Marx ou de Karl Polanyi, tous les économistes semblaient avoir oublié la notion de « biens communs ». Dans cet article, l’auteur estime que chacun est guidé par son avidité et va essayer de bénéficier au mieux des biens communs, sans prendre en charge leur renouvellement. Il en conclut que la gestion optimale des biens communs passe soit par la privatisation du bien considéré, soit par la nationalisation, et qu’il vaut mieux créer des inégalités que conduire à la ruine de tous.

Cet article va rester une référence longtemps, jusqu’à ce que, en 1990, Elinor Ostrom conteste cette théorie, en faisant le récit de nombreux cas où des groupes réussissent à échapper à la tragédie des communs décrite par Garrett Hardin. Plutôt que des pièges qui se referment systématiquement sur les individus, elle décrit des formes d’ingéniosité collective, qui permettent de gérer de manière pérenne des ressources communes. Elinor Ostrom sera la première femme à obtenir, en 2009, le prix Nobel d’économie, pour ses développements sur la théorie des communs.

En droit français, la notion de « biens communs » est inconnue. En revanche, notre droit connaît les « choses communes », qui ne sont pas susceptibles d’appropriation, comme l’air ou l’atmosphère, ou bien les choses « hors commerce », placées par la loi en dehors de la sphère des échanges civils et commerciaux, tels que les éléments du corps humain ou les droits extrapatrimoniaux.

Il existe également diverses institutions juridiques organisant la propriété, l’usage ou la jouissance collectifs de certains biens, notamment le domaine public, les « licences libres » ou encore des modes collectifs de propriété privée, tels que la communauté de biens des époux, l’indivision, la copropriété ou la propriété des personnes morales.

En outre, notre droit reconnaît à la puissance publique diverses prérogatives pour porter atteinte à la propriété privée à des fins d’intérêt général. Je veux parler du droit d’expropriation, du droit de préemption ou encore du droit d’imposer des servitudes d’utilité publique.

Selon les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle, la protection effective des « biens communs » impliquerait de contrebalancer le poids excessif accordé aujourd’hui aux droits et libertés économiques dans la jurisprudence constitutionnelle. Or le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle, qui sont certes protégés par la Constitution, ne jouissent d’aucune prépondérance par rapport aux autres principes et objectifs constitutionnels.

Madame la ministre, mes chers collègues, un grand nombre de catégories et d’institutions juridiques peuvent être utilisées pour construire des régimes visant à protéger certaines ressources ou à en garantir l’usage partagé.

La notion de « biens communs » n’apparaît pas suffisamment définie et sa consécration dans la Constitution ne semble pas utile pour atteindre les objectifs visés.

Pour ces raisons, le groupe Les Indépendants s’abstiendra sur ce texte.

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