Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le monde d’après, c’est le monde que nous laissons à nos petits-enfants. Certains d’entre eux ne sont même pas encore nés. Certains essaient déjà aujourd’hui, au quotidien, d’imaginer des solutions pour rendre ce monde viable.
Pour leur faciliter la tâche, nous devons relever plusieurs grands défis qui se dressent face à nous : le défi social, le défi climatique, le défi sécuritaire. Sans aucun doute, ces défis se rejoignent en plusieurs points. Ils convergent autour des notions de « souveraineté », d’« écologie » et de « biens communs ».
Cette proposition de loi constitutionnelle, déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en mai 2020, vise à modifier l’article 1er et l’article 34 de la Constitution afin d’y conforter l’objectif de préservation de l’environnement et d’y introduire la notion de « biens communs ».
Examinée en commission des lois le mercredi 2 décembre dernier, elle a été rejetée. En effet, sa rédaction est apparue trop imprécise au rapporteur Arnaud de Belenet, s’agissant notamment de la notion de « biens communs », qui n’est pas définie en droit français.
Toute révision constitutionnelle appelle un regard acéré, en ce qu’elle implique une procédure extrêmement lourde et complexe. Ce n’est pas par amour de la technocratie, mais parce qu’il s’agit du texte suprême de notre ordre juridique. Y opérer des modifications au gré des évolutions de l’opinion publique serait dégrader sa valeur et sa portée.
Bien sûr, le pouvoir constituant est souverain pour modifier ce qu’il entend au sein la Constitution, hormis la forme républicaine du Gouvernement, protégée par l’article 89, alinéa 5. Bien sûr, nous avons la capacité de nous ériger en ce pouvoir constituant, le Conseil constitutionnel refusant de contrôler les lois de révision.
Pour autant, le véhicule proposé est-il le plus adapté ? L’exposé des motifs de cette proposition de loi est très peu précis s’agissant de ses objets : « Transformer la souveraineté solitaire des États en souveraineté solidaire et leurs irresponsabilités illimitées en responsabilités communes mais différenciées. » L’idée est, plus généralement, d’autoriser le législateur à porter plus largement atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre à des fins d’intérêt général.
Bien évidemment, nous partageons l’objectif que soient prises en compte ces exigences par la jurisprudence constitutionnelle. Cependant, le Sénat est la chambre de la prudence, du recul et de la puissance qui s’inscrit dans le temps. Il ne pouvait se borner à s’incliner devant l’objet d’un texte sans en examiner attentivement le contenu.
À ce titre, il paraissait nécessaire de s’interroger sur ce que permet de faire le cadre constitutionnel en vigueur.
Comme cela a déjà été dit, la Charte de l’environnement a été intégrée au bloc de constitutionnalité en 2005. Le Conseil constitutionnel a notamment tiré de son préambule, en 2020, un nouvel objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains ». Il a également retenu, sur ce fondement, que le législateur pouvait tenir compte des effets des activités exercées en France sur l’environnement à l’étranger. Il doit, enfin, se prononcer prochainement sur le principe de non-régression. Le cadre constitutionnel actuel porte ainsi haut les objectifs des auteurs de ce texte.
Il existe un chemin pour mettre en œuvre ces objectifs sans contrevenir à la Constitution. La Convention citoyenne pour le climat avait d’ailleurs fait des propositions en ce sens.
Le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique, présenté par le Gouvernement le 29 août 2019, prévoyait déjà l’ajout d’une phrase selon laquelle la France « favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques ».
Aujourd’hui, deux points nous interrogent dans la rédaction de la présente proposition de loi : d’une part, certains termes nous apparaissent trop imprécis et trop incertains dans leurs effets. C’est le cas de la notion de « biens communs », notion de théorie économique fondée sur les critères de non-exclusivité et de rivalité, mais qui n’est pas définie en droit. Cette notion pourrait donc recevoir un contenu extensif selon l’application qu’en feront les législateurs futurs.
De même, la notion d’« autonomie alimentaire » pourrait, à l’avenir, contrevenir aux principes du droit européen tels que la libre circulation et la non-discrimination, ou encore venir se heurter au marché agricole commun.
D’autre part, l’article 3 nous pose quelques questions en ce qu’il semble introduire une hiérarchie générale au détriment du droit de propriété et de la liberté d’entreprendre. Cette hiérarchie pourrait fonder des mesures économiques et fiscales très défavorables aux TPE et PME.
Plus généralement, le législateur doit travailler en tenant compte de la jurisprudence constitutionnelle lorsqu’il élabore la loi ordinaire. Nous aurons d’ailleurs l’occasion de le faire lors de l’examen du projet de loi annoncé par le Gouvernement, dans la continuité de la Convention citoyenne pour le climat, qui devrait notamment renforcer la lutte contre le banditisme environnemental.