Intervention de Roselyne Bachelot

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Roselyne Bachelot :

Madame le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, après l’échec de la commission mixte paritaire il y a quelques jours, vous êtes amenés à examiner en nouvelle lecture le projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Je veux redire devant vous aujourd’hui l’importance de ce texte ; c’est l’aboutissement d’un long travail, dont l’impulsion a été donnée par le Président de la République lors de son discours à Ouagadougou en novembre 2017. Il y avait alors exprimé sa volonté de pouvoir réunir les conditions nécessaires à des restitutions d’œuvres relevant du patrimoine africain, dans le cadre du renouvellement et de l’approfondissement du partenariat entre la France et les pays du continent africain.

Ce projet de restitution de vingt-six œuvres issues du trésor de Béhanzin à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal s’inscrit dans le cadre d’une politique de coopération culturelle déjà bien engagée avec ces deux pays. Il prend également place dans un contexte général de réflexion sur le rôle et les missions des musées en Europe et dans le monde. Il tient compte du caractère exceptionnel des œuvres et des objets que nous souhaitons restituer aux deux pays qui en ont fait la demande.

Nous avons eu l’occasion d’en débattre longuement. Je ne m’attarderai donc pas en détail sur les caractéristiques ou la provenance de ces œuvres. Je veux, en revanche, revenir sur le sens, la portée et les conséquences du texte qui vous est soumis.

Votre assemblée le sait, le droit français propose plusieurs voies permettant de procéder à des restitutions. Dans le cas présent, le Gouvernement a décidé de procéder par la voie législative. C’est donc bien une décision du législateur, et non du juge, qui doit apporter une réponse à leurs demandes. Aussi, cette loi, si vous l’adoptez, n’aura pas pour effet de créer une jurisprudence, contrairement à la décision d’un juge.

Ce projet de loi ne vaut que pour le cas spécifique des objets qu’il énumère expressément. Il n’institue aucun « droit général à la restitution », en fonction de critères abstraits, qui seraient définis a priori. Il implique de déroger – ponctuellement – au principe d’inaliénabilité, auquel nous sommes tous attachés, mais ne le remet nullement en cause.

Je sais que le Sénat soutient la restitution des œuvres prévues par ce projet de loi. Il l’a exprimé à travers le soutien unanime aux articles 1er et 2 du projet de loi en première lecture. C’est donc avec regret que le Gouvernement a constaté l’échec de la commission mixte paritaire, essentiellement en raison du désaccord sur la création du conseil de restitution des œuvres.

Je reste persuadée de l’inutilité de cette instance, pour plusieurs raisons dont nous avons déjà discuté, mais que je rappelle brièvement.

D’une part, le travail scientifique existe déjà. Il est mené par les équipes de conservation des musées concernés et a permis d’orienter les choix faits par le Gouvernement. L’étude d’impact qui accompagne ce projet de loi en est l’illustration. Une telle instance ne ferait que doublonner les travaux des musées et des responsables de collections.

D’autre part, la création de ce conseil me semble en totale contradiction avec la volonté d’un dialogue direct, avec, d’un côté, les pays demandeurs et, de l’autre, le Parlement.

Vous l’avez tous exprimé sur ces mêmes travées il y a quelques semaines, chaque demande de restitution est unique, chaque objet a son histoire qu’il convient d’étudier et de faire étudier. Je reste en outre persuadée que la création d’une telle instance, alors que vous évoquez régulièrement le dessaisissement du Parlement de ses prérogatives, n’est pas la bonne solution. J’entends votre probable désaccord sur le texte sur cet unique point, et je le regrette.

Au-delà, je sais que le départ de l’ornement de dais de la reine Ranavalona III a suscité beaucoup d’interrogations. J’ai eu l’occasion de m’exprimer à plusieurs reprises : par écrit en réponse au courrier du président Laurent Lafon, lors de mon audition sur le projet de loi de finances, mais également lors d’une séance de questions au Gouvernement. Seule une convention de dépôt a été signée avec Madagascar. Il ne s’agit donc pas d’une restitution : comme vous le savez, celle-ci ne pourra intervenir qu’après l’adoption d’une loi permettant de déroger au principe d’inaliénabilité. Je reconnais que la concomitance de cette annonce au lendemain du débat est malheureuse, mais, comme je l’avais indiqué en commission, cette demande n’est pas récente, et il ne s’agit pas en l’espèce d’une restitution.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la fonction première de la culture, à laquelle nous sommes tous viscéralement attachés, c’est d’exprimer et d’explorer ce que notre condition humaine a d’universel. Cette conviction est au fondement de notre ministère français de la culture. C’est au nom de celle-ci que la France n’accepte de restituer des œuvres à d’autres États que si ces États s’engagent à ce que celles-ci gardent leur vocation patrimoniale. Dans le cas du Bénin et du Sénégal, ces garanties ont été données. La France accompagne les initiatives de ces deux pays en faveur du patrimoine, bien au-delà des seules restitutions.

Ce projet de loi, qui permettra la restitution des vingt-six œuvres issues du trésor de Béhanzin à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall et de son fourreau à la République du Sénégal, est un vrai acte d’amitié envers ces deux pays. C’est pour la France un honneur et une fierté de pouvoir jouer un rôle actif en la matière et de contribuer, au travers de ce texte, à ce que notre histoire commune continue sans cesse de nous nourrir les uns les autres.

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