Intervention de Max Brisson

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, sur le sujet qui nous préoccupe cet après-midi, sur le fond comme sur la forme, nous ne sommes en rien d’accord avec la manière de faire du Gouvernement. Nous le marquerons de manière solennelle et ferme.

En première lecture, nous avions déjà dit nos craintes et nos réserves quant à ce projet de loi, tout en rappelant notre attachement à une meilleure circulation des œuvres dans leur pays d’origine. Cette ouverture et cette bonne volonté, nous les avons exprimées de manière unanime en votant les articles 1er et 2 de votre texte, madame la ministre, mais nous vous avions aussi appelée à établir une méthode, à aborder cette question avec recul, distance, en vous donnant le temps de la réflexion.

Face à cette ouverture, l’Assemblée nationale et le Gouvernement n’ont nullement cherché le compromis. Ils n’ont pas jugé bon de nous entendre sur la nécessité de nous doter d’un conseil national de réflexion, demande pourtant soutenue sur quasiment toutes les travées de la Haute Assemblée. Même l’abandon du mot « restitution », avec sa charge culpabilisante, a été rejeté avec une implacable volonté sémantique de rétablir le texte dans sa version originale, conforme à une certaine vision de l’histoire.

Pourtant, les craintes que nous avions exprimées en première lecture étaient justifiées. C’est avec un certain vertige que nous l’avons constaté, en particulier au travers de la désagréable découverte du renvoi en catimini de la couronne du dais de la reine Ranavalona III aux autorités malgaches, au moment même où se déroulait ici l’examen du projet de loi.

Mais à quelque chose malheur est bon. Désormais les choses sont claires. Votre méthode est sur la table.

Pour répondre aux problèmes diplomatiques du moment, sur ordre du chef de l’État, vous transférez un bien sous couvert de prêt – la communauté des musées est mise devant le fait accompli. Vous indiquez ensuite aux musées qu’il s’agit d’une demande de restitution sans pour autant solliciter leur point de vue patrimonial et scientifique ; vous engagez alors, par une convention, une procédure de dépôt sur le long terme de l’œuvre d’ores et déjà dans son pays d’origine, une procédure qui est dévoyée et instrumentalisée. Enfin, vous préparez un projet de loi pour demander le transfert de propriété.

Le Parlement est relégué en bout de chaîne. Comme dans les parlements de l’Ancien Régime, nous ne sommes plus qu’une chambre d’enregistrement. Souverain à l’Assemblée nationale, le Gouvernement tient un lit de justice pour contraindre la représentation nationale.

Vous vous affranchissez des principes multiséculaires forgés justement pour que le patrimoine de la Nation ne soit jamais soumis aux humeurs du prince de l’instant. Vous contournez le Parlement, pourtant seul légitime depuis la Révolution française à autoriser toute aliénation du patrimoine national. Cette méthode est d’autant plus dangereuse qu’elle dévoie de son sens la pratique encadrée et définie du dépôt d’œuvres d’art, utilisée dans le cadre d’un projet scientifique et culturel, et non pour des processus de restitution. Méthode dangereuse également, car elle porte atteinte au principe d’inaliénabilité des collections nationales. Elle fragilise ce principe et fait grandir le risque d’un tarissement des dons individuels, alors qu’ils assurent souvent plus de 50 % de l’enrichissement des collections de certains de nos musées nationaux.

Bien évidemment, je partage la nécessité de renforcer la circulation des œuvres et l’accessibilité du patrimoine sur sa terre d’origine. Justement parce que je crois en la pertinence de cette démarche, j’en appelle à une réflexion sérieuse et à un travail approfondi sur la méthode.

Très tôt, et je veux saluer le travail de Catherine Morin-Desailly, le Sénat a perçu cet enjeu. Mais les outils qu’il avait souhaité mettre en place, comme la Commission scientifique nationale des collections, n’ont pas été utilisés. La réflexion engagée n’a jamais été poursuivie.

Si le discours du Président de la République à Ouagadougou a relancé la réflexion, celle-ci a abouti malheureusement aux propositions radicales du rapport Sarr-Savoy, qui ont tendu et faussé le débat. Le fait du prince, avec les transferts anticipés du pseudo-sabre d’El Hadj Omar Tall au Sénégal et de la couronne du dais de la reine de Madagascar, a ainsi été légitimé par le rapport Sarr-Savoy au nom d’une approche moralisatrice excluant toute réflexion historique et muséale.

Au lendemain du transfert vers Madagascar, avec le sentiment d’avoir été trompé, je fais partie de ceux qui regrettent d’avoir voté l’article 2 de votre projet de loi. Je ne suis pas le seul. Cet article officialise et cautionne une méthode que je réprouve.

À l’opposé de ce que vous diligentez, face à des demandes en ébullition, parce qu’elles répondent aux exigences morales du moment, il est urgent de nous doter d’une doctrine partagée. Il y a là l’occasion pour la France de s’inscrire dans une véritable politique de circulation des biens qui nous obligerait à un inventaire renouvelé de nos collections, à une réflexion sur leur provenance, leur cheminement, à une analyse de la construction de leur valeur esthétique et artistique, à une recherche approfondie de leurs ayants droit.

De même, cela pourrait être l’occasion de nous interroger sur la conception de l’universalisme de nos musées confrontés à des approches qui peuvent être légitimes, mais qui n’en sont pas moins en rupture avec ce qui fonde notre vision de la culture et qui portent aussi en elles des germes qui peuvent nous inquiéter. N’est-il pas temps en effet de réaffirmer cet universalisme dans le cadre d’un dialogue des cultures où nous ne pouvons abdiquer nos valeurs ?

En réponse à une question complexe, le Sénat vous a conviée, en vain, à élaborer une méthode globale croisant les questions de morale, de légalité, de légitimité, de respect des donations et des droits des descendants. Cette méthode aurait apporté sur la durée une réponse aux pays demandeurs, en construisant avec eux les meilleures voies pour renforcer la circulation des biens et le dialogue des cultures. C’est à cette démarche exigeante, rigoureuse, qui demande du temps – beaucoup de temps ! –, de la formation et des moyens à laquelle nous vous invitions. Le Gouvernement a préféré répondre par une méthode où la simplification le dispute à la précipitation.

En réponse à nos craintes, à maintes reprises, vous nous avez assuré que le projet de loi dont nous débattions était un projet de loi d’exception – des assurances dont je ne saurais dire si elles étaient sincères ou feintes. Malheureusement pour vous, il n’aura pas fallu attendre la fin de l’examen du projet de loi pour que celles-ci soient démenties.

Nos alertes sont aujourd’hui confortées. L’enchaînement des événements démontre leur justesse. Le Gouvernement refuse toute réflexion sur le transfert d’œuvres d’art pour agir à sa guise. C’est une erreur !

Cette erreur est d’autant plus grave que, lors de nos auditions, nous avons été régulièrement sensibilisés à l’intérêt d’une politique de circulation des œuvres construite sur un intérêt partagé, tant pour le pays demandeur que pour la France, sur une politique raisonnée en droit et qui soit le fruit d’une véritable coopération internationale entre chercheurs français et étrangers, afin de recouvrer les collections dispersées et de procéder à des dépôts cohérents au lieu d’isoler des biens de leur collection. Sans cela, nous serons, mes chers collègues, toujours à la merci de revendications aux finalités politiques, leurs auteurs profitant de nos incertitudes pour faire régner le soupçon et la culpabilisation.

Le conseil national que nous vous proposions, madame la ministre, permettait justement de s’opposer à cela en plaçant les scientifiques au centre des débats en toute transparence à l’égard du public, afin de dépassionner le débat.

Retentissent en moi cet après-midi, au moment de conclure cette intervention, les propos d’un conservateur que nous avons auditionné : « J’ai le sentiment que, comme pour les hommes, l’existence des objets précède l’essence. » Et ce conservateur de nous expliquer qu’il faut prendre en compte non pas uniquement un droit du sang de l’objet, mais aussi un droit du sol de l’objet, droit qui est le fruit du cheminement et de la construction de la valeur artistique. C’est dans cette prise en compte complexe des origines et du cheminement des œuvres que se fonde l’ambition éthique du musée universel.

Oui, nous avons besoin de construire une réelle politique de circulation de nos œuvres, politique partagée par les deux parties à la condition qu’elle s’inscrive dans une démarche scientifique et qu’elle ne soit pas une réponse à la diplomatie du moment dans un contexte d’approche moralisatrice de l’histoire !

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains soutiendra la motion de la commission tendant à opposer la question préalable. Ce sera la marque de notre opposition ferme et résolue sur la forme et sur le fond.

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