Intervention de Jean-Pierre Decool

Réunion du 15 décembre 2020 à 14h30
Restitution de biens culturels au bénin et au sénégal — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre DecoolJean-Pierre Decool :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les deux assemblées ont autorisé la sortie des vingt-sept biens culturels inscrits en annexe du présent projet de loi afin qu’ils soient restitués aux Républiques du Bénin et du Sénégal. Pourtant, la commission mixte paritaire a échoué, et nous le regrettons. Nous regrettons aussi la position du Gouvernement au sujet de l’article 3 introduit au Sénat. Nous voulions faire de cette loi de circonstance une loi nécessaire, capable de sécuriser les situations à venir dans une démarche transparente et démocratique.

L’enjeu de ce texte dépasse son objet. Il s’agit de la gestion du patrimoine culturel de la France. Le Sénat n’est pas une simple chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales, je regrette d’avoir à le rappeler. Nous ne pouvons faire l’impasse d’un débat contradictoire lorsque sont en jeu des collections publiques régies par les principes d’imprescriptibilité et d’inaliénabilité.

Les demandes de restitution sont nombreuses et vont probablement se multiplier. À l’heure où nous examinions en première lecture ce projet de loi, une couronne royale conservée au musée de l’Armée à la suite du don d’un particulier était transférée à Madagascar. Encore une fois, la décision du pouvoir exécutif précède celle du Parlement, mis devant le fait accompli. Nous devons retrouver le chemin de nos institutions républicaines et veiller à mettre en place une procédure applicable à toutes les situations, à tous les Gouvernements.

C’est la raison pour laquelle la commission de la culture avait introduit en première lecture un nouvel article, prévoyant la création d’un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extraeuropéens. Il s’agit non seulement de soustraire le sort de notre patrimoine culturel aux aléas politiques, mais aussi de fonder les transferts de biens culturels sur une démarche scientifique et démocratique. Avant toute décision officielle du Gouvernement, cette instance et le Parlement devraient être consultés – le Sénat y est très attaché. L’actuelle Commission scientifique nationale des collections s’est déclarée incompétente pour expertiser les demandes de restitution, s’éloignant ainsi de l’esprit de la loi qui l’avait créée.

Je partage le point de vue de Mme la rapporteure sur les conclusions trop caricaturales du rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, plaidant pour une restitution massive à leurs pays d’origine des œuvres africaines. Les collections extraoccidentales représentent une part importante de nos collections publiques. Nos musées ne sauraient se réduire à la seule représentation de la culture française. Les musées du monde entier sont les témoins du caractère universel de l’art, d’une richesse culturelle qui dépasse les frontières et les civilisations.

La sculpture africaine, pour reprendre les mots de Malraux, s’est lentement imposée au monde, mais de façon décisive. Nous sommes passés d’un référentiel d’imitation du réel à la recherche de l’expression libre, indifférente à la ressemblance. L’art africain, largement représenté dans nos collections, a bouleversé des pans entiers de l’art occidental, de Picasso à Matisse, de Braque à Derain… André Malraux en témoigne dans ses discours et ses écrits. Les masques Fang au Gabon, les portes Dogon au Mali, les poupées Ashanti au Ghana, de par leur puissance et leur retentissement, sont autant de manifestations du génie de l’Afrique, leur berceau. S’inscrivant dans le patrimoine culturel de l’humanité, ces œuvres ont une vocation universelle.

Madame la ministre, je connais votre grande implication pour favoriser l’accès à la culture. Pour autant, je soutiens la position de la commission de la culture et voterai la motion de rejet déposée. Je serai très attentif aux conclusions de la mission d’information présidée par Mme Catherine Morin-Desailly, et j’espère vivement que ce travail se traduira très prochainement par une proposition de loi à la hauteur des enjeux que représentent les restitutions d’œuvres pour les collections publiques françaises.

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